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Pierre Boussel : «L'Algérie adopte un ton martial avec le Maroc mais elle reste consciente des limites d'un affrontement avec une puissance alliée à l'OTAN»
L'Algérie accélère son réarmement qui affiche un budget militaire de 25 milliards de dollars pour 2025, ce qui place le pays parmi les cinq premiers importateurs mondiaux d'armements. Officiellement justifiée par la rivalité avec le Maroc, cette montée en puissance répond aussi à des impératifs internes, le régime cherchant à asseoir son autorité face aux défis économiques et sociaux. Entre alliances stratégiques avec Moscou et Pékin, expansion technologique et démonstration de force, Alger cultive une posture militaire tout en évitant l'engrenage d'un conflit ouvert. L'Algérie mène une politique d'acquisitions militaires sans précédent se hissant au cinquième rang mondial des importateurs d'armements et au premier en Afrique. Officiellement, cette expansion se propose de affirmer son rôle stratégique face au Maroc. Mais, derrière cette posture régionale se cache un enjeu plus profond : rappeler à la population que l'Etat conserve le contrôle dans un contexte économique et social tendu. Selon Pierre Boussel, journaliste et chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique, dans un article publié par GIS Reports, «malgré un taux de chômage à deux chiffres, l'Algérie a alloué un budget militaire de 25 milliards de dollars pour 2025. Ce choix traduit la volonté du régime d'afficher sa stature stratégique d'autant que la hausse des revenus issus des hydrocarbures, favorisée par les effets de la guerre en Ukraine, lui a offert une marge de manœuvre budgétaire inédite.» Une montée en puissance soutenue par des alliances stratégiques L'Algérie s'appuie sur des partenariats diversifiés pour mener à bien cette politique d'armement. Si Pékin joue un rôle croissant, Moscou demeure son principal fournisseur. «Depuis l'ère soviétique, la Russie occupe une place privilégiée sur le marché de l'armement algérien. Chaque acquisition – des missiles Iskander-M aux possibles Su-57 – traduit la proximité des deux pays et inscrit Alger dans une logique de puissance.» La Chine, de son côté, a octroyé certaines licences de production locale. «Pékin a accepté le montage de corvettes et la fabrication d'armements légers sur le sol algérien mais continue de privilégier l'exportation de systèmes complets. Parmi les récentes acquisitions figure le radar YLC-2v, capable de détecter des cibles aériennes à 500 kilomètres, un atout majeur pour la surveillance du Sahara et le contrôle des frontières, notamment avec le Maroc.» Une rivalité structurante avec le Maroc Le rapprochement militaire entre Alger et Moscou se double d'un face-à-face de plus en plus assumé avec Rabat. «L'Algérie perçoit la [reprise] des relations entre le Maroc et Israël, dans le cadre des Accords d'Abraham, comme une menace directe. L'idée de 'frontières avec Israël' est devenue un leitmotiv dans les discours officiels, exprimant une crainte d'ingérence et d'influence étrangère sur les choix stratégiques marocains.» Le Sahara constitue un autre point d'achoppement majeur. «Si une guerre ouverte entre les deux voisins reste improbable, les affrontements sporadiques entre les forces marocaines et les combattants du Polisario justifient, aux yeux d'Alger, le maintien d'une posture militaire offensive.» Enfin, Alger accuse Rabat de soutenir le Mouvement pour l'Autonomie de la Kabylie (MAK), un grief ayant conduit à la rupture des relations diplomatiques en 2021. «L'Algérie ne considère pas le MAK comme une simple question de politique intérieure. Pour l'armée, ce dossier pourrait constituer un casus belli si des preuves d'un soutien extérieur avéré venaient à émerger.» Un arsenal en expansion face à des défis internes Au-delà de ces tensions régionales, cette politique d'armement répond également à des préoccupations internes. «L'armée demeure le pilier central du régime algérien. Le Hirak (2019-2020) a profondément ébranlé les fondations du pouvoir, et la haute hiérarchie militaire veut rappeler que son rôle est incontournable.» Dans un pays où les cicatrices de la guerre civile (1992-2002) restent vives, l'appareil sécuritaire continue de lutter contre des foyers d'insurrection islamiste, bien que leur influence ait fortement diminué. «L'Algérie ne veut pas reproduire les erreurs du passé. L'armée traque sans relâche les groupes armés et démantèle régulièrement des caches d'armes, illustrant une vigilance permanente.» Une ambition stratégique encadrée par la prudence Si Alger alimente la rivalité avec Rabat, elle évite toute escalade qui dépasserait le stade de la démonstration de force. «L'Algérie adopte un ton martial, mais elle reste consciente des limites d'un affrontement avec une puissance alliée à l'OTAN.» Le poids des générations à la tête de l'Etat accentue cette retenue. «À 79 ans, le chef d'état-major, le général Chengriha et le président Tebboune, dont la santé demeure fragile, ne semblent pas enclins à déclencher un conflit ouvert. D'autant que l'opinion publique ne soutiendrait pas un tel engagement, dont l'issue serait incertaine.» L'Algérie continuera donc d'exhiber sa puissance militaire, comme lors du 70e anniversaire de la Révolution en novembre 2024 où elle a présenté le système russe anti-drones Repellent 1. Toutefois, cette démonstration ne saurait masquer d'autres réalités. «Le véritable enjeu du régime ne se situe pas à l'extérieur, mais à l'intérieur. Les Algériens attendent des réformes économiques, des infrastructures fonctionnelles, un accès fiable à l'eau et à l'électricité. Dans ce contexte, l'expansion militaire ne répond en rien aux préoccupations quotidiennes de la population.» Une surenchère militaire aux effets imprévisibles L'accumulation d'armements fait peser un risque d'incident qui pourrait dégénérer. «En poursuivant cette surenchère et en entretenant une posture antagoniste avec ses voisins, l'Algérie s'expose à une spirale incontrôlable. Un incident militaire avec le Maroc pourrait suffire à provoquer un engrenage dont ni Alger ni Rabat ne maîtriseraient l'issue.» Dans un tel scénario, l'Algérie chercherait à consolider son influence régionale en se rapprochant de la Tunisie et de la Libye. «Le régime pourrait tenter d'ériger un axe tripartite en Afrique du Nord, présenté comme une alternative stratégique au Maroc. Cette ambition, qui s'inscrit dans une volonté d'exercer un rôle de premier plan, n'élude toutefois pas les difficultés à structurer un projet cohérent dans une région politiquement fragmentée.»