La sécurité dans les chantiers est loin d'être un souci majeur des professionnels intervenant dans le bâtiment. Les cimentiers et les constructeurs de matériaux de construction y sont sensibles alors qu'une bonne partie des promoteurs immobiliers, les entreprises de construction, et d'autres acteurs n'y accordent aucun intérêt. Résultat : environ 2 000 accidents mortels sont recensés chaque année au Maroc dans le secteur de la construction, selon les statistiques avancées, alors que le bilan réel serait plus alarmant. Certains professionnels parlent même du double du nombre des décès avancé. Et pour cause, le manque de couverture des risques et le nombre importants d'intervenants opérant dans l'informel favorisent la survenue des accidents dans les chantiers. Tout cela contribue au fait que c'est l'un des secteurs causant le plus de dégâts corporels, au même titre que la circulation routière. Les causes sont multiples : manque d'implication des professionnels dans la santé et la sécurité dans le travail et surtout manque de respect des consignes de sécurité dans les chantiers de construction en particulier. « Peu d'entreprise de construction tiennent de cahier de chantiers, malgré les accidents survenus dont celui de l'effondrement de l'immeuble de Kénitra », s'est indigné Abdelaziz Ouahabi, architecte et président du Conseil national de l'Ordre des architectes de Tanger, lors d'une conférence-débat organisée le 12 mars à Casablanca, en marge de la deuxième édition de Sécubat. Et d'ajouter : « nous avons mis en place la charte des chantiers propres et nous avons demandé à ce qu'elle soit appliquée et respectée par les différents intervenants que ce soit les promoteurs, les architectes, l'administration, les bureaux d'études, les laboratoires… mais rien n'est encore fait ». Même son de cloche auprès du Conseil de l'Ordre régionale des architectes de Casablanca qui regrette le manque de textes législatifs et réglementaires permettant d'améliorer la sécurité dans les chantiers. Bilan mitigé La lenteur décriée dans l'exécution des décisions concerne également la constitution de la commission de vigilance qui devait être constituée et qui jusqu'à présent, n'a pas encore vu le jour. Reste que le tableau n'est pas entièrement noir. Les sinistres de Rosamor (survenu en avril 2008) et de Kénitra ont amené les pouvoirs publics à créer une Commission ad-hoc, à revoir les textes, à renforcer les mesures en matière de sécurité, à mettre en place l'Institut National des Conditions de Vie au Travail (INCVT), à établir des contacts et à nouer des partenariats avec des organismes spécialisés, de gestion des risques et de renforcement de la sécurité tel l'INERIS-France. Malgré ces multiples dispositifs, sur le terrain la réalité est autre. Alors que les membres de la FNBTP et de la FMC surtout les cimentiers sont de bons élèves, les autres intervenants, à leur tête les promoteurs immobiliers, ne sont pas très regardant sur la sécurité dans les chantiers. Les assureurs imposent leur loi Face à cette situation qui perdure depuis des années et qui ne sera pas améliorée de sitôt, de nouvelles mesures ont été prises pour prévenir l'arrivée des accidents dans les chantiers et les réduire. Dès le second semestre 2013, est programmée l'entrée en vigueur de l'obligation de la garantie décennale et de la tous risques chantier, et ce conformément aux dispositions du contrat-programme du secteur de l'assurance, sur lequel ont travaillé plus de deux ans le ministère de l'Economie et des finances avec la Fédération marocaine des sociétés d'assurance et de réassurance (FMSAR). Signé en mai 2012, ce contrat programme vise à préserver 10 000 vies dont 8 000 contre les accidents de travail et 2 400 contre les accidents de la route. Pour ce qui est du secteur du bâtiment, les maîtres d'ouvrage n'auront plus le choix. Ils doivent souscrire à deux assurances obligatoires, dès le deuxième semestre. La première est celle de la RC habitation, qui sera mise en place d'une manière progressive. Elle couvre les maîtres d'ouvrage et l'ensemble des intervenants dans le chantier et protège les individus et les avoisinants. Seront exclues, dans un premier temps, les constructions à usage d'habitation personnelle, dont la superficie est inférieur à 800 m2, les bâtiments à usage d'habitation, de moins de 4 étages et dont la superficie est inférieur à 800 m2, les biens immobiliers à usage industriel ou commercial dont la superficie est inférieure à 400 m2, les ouvrages conduits pour le compte de l'Etat ainsi que les ouvrages d'art, de génie civil, tels les routes, les barrages… Pour ce qui est de la RC décennale, elle couvre les conséquences pécuniaires induites par un écroulement ou menace d'effondrement, dans les 10 ans suivant la date de construction d'une habitation. « Pour prévenir les risques, l'assureur demandera une étude de sol et d'autres études techniques bien avant le lancement de la construction », a insisté Bachir Baddou, directeur général de la FMSAR. Et d'ajouter : « il faut qu'il y ait le contrôle du respect de l'obligation d'assurance dans les chantiers. On peut même exiger la production du contrat d'assurances pour la délivrance du permis d'habiter ». Une chose est sûre, les assureurs ne comptent pas se laisser marcher sur les pieds. Ils sont sur pied de guerre pour faire respecter les clauses du contrat-programme et pour pérenniser ces acquis. Ces professionnels ont, donc du pain sur la planche, et doivent mettre d'ici juin prochain une offre dédiée qui soit compétitive, sachant que certaines entreprises, à défaut de trouver sur le marché, ce qu'elles recherchent font appel à des compagnies d'assurance étrangères. Tirer vers le haut la qualité du bâti Autres moyens qui tireront la qualité du bâti vers le haut, l'application du nouveau code parasismique et des nouvelles règles de béton armé. Concernant ce dernier volet, il est à rappeler que les ingénieurs marocains se basaient sur le règlement du béton armé aux Etats limites (BAEL) pour calculer leurs ouvrages, qui après plusieurs révisions, a été retiré du catalogue des normes françaises en 2010 en cédant la place à l'Eurocode 2. Actuellement les professionnels ne savent plus quel code utiliser. Pis encore, l'ancien règlement est toujours enseigné dans les écoles d'ingénieurs marocaines. Ces problématiques ont, d'ailleurs, été soulevées, lors des rencontres initiées en marge du salon Sécubat, qui s'est tenu du 12 au 14 mars, à Casablanca. In fine, une bonne organisation du secteur s'impose, et ce dans l'objectif d'assurer la qualité des constructions, pour la pérennité des ouvrages et de la sécurité des citoyens. Une mobilisation, tous azimut, est également nécessaire pour permettre de faire de la sécurité une priorité et ancrer une véritable culture de la sécurité. Les entreprises sont tenues d'investir dans ce créneau et d'attendre les fruits à moyen terme, car qui dit respect de la sécurité dit qualité et plus de compétitivité. Il ne suffit plus d'être certifié ISO pour faire partie des grands, l'engagement de l'entreprise vis-à-vis de ses collaborateurs et ses partenaires est également la clé d'une bonne performance.