Un mois et demi après les élections du 23 octobre, l'Assemblée nationale constituante tunisienne (ANC) a adopté hier une Constitution provisoire permettant la désignation d'un exécutif et l'instauration des institutions. C'est « un départ de la Tunisie nouvelle », a lancé le président de l'assemblée Mustapha Ben Jaafar, alors que les élus entonnaient l'hymne national et que des députés de la majorité se congratulaient. Cet « instant historique », comme l'a qualifié Mustapha Ben Jaafar, n'a été possible qu'après de longs débats houleux et fastidieux. Entamées mardi, les discussions n'ont abouti qu'hier aux premières heures du matin, avec un vote des 217 députés validant le texte par 141 voix pour, et 37 contre. Le texte ainsi voté contient 26 articles, destinés à définir les grandes lignes des pouvoirs publics et les conditions de démarrage des institutions de l'Etat. Cette « mini-Constitution » devrait notamment permettre de désigner les futurs président et chef de gouvernement jusqu'à la tenue d'élections générales et l'adoption d'une constitution définitive par l'Assemblée Constituante. Cette période transitoire est censée durer un an, mais aucun délai n'a pas été formellement énoncé dans le texte comme le souhaitait l'opposition. Aux termes de la constitution provisoire, le président doit être « exclusivement Tunisien, de religion musulmane, descendant de parents tunisiens et âgé de 35 ans minimum ». Un président de parents tunisiens et musulmans Aux termes de la Constitution provisoire, qui définit les conditions de désignation du président, celui-ci doit être « exclusivement Tunisien, de religion musulmane, descendant de parents tunisiens et âgé de 35 ans minimum ». Pendant les débats, des élus ont bien tenté de défendre la candidature de binationaux, mais sans succès. Sur la procédure, le président est choisi au vote secret à la majorité absolue parmi des candidats qui doivent être parrainés chacun par quinze élus au moins. L'élection est prévue aujourd'hui. Selon toute vraisemblance, le poste devrait revenir à Moncef Marzouki, chef du Congrès pour la République (CPR), tandis que le poste de chef de gouvernement sera attribué à Hamadi Jebali, numéro deux du parti Islamiste Ennahda. Ce scénario a fait l'objet d'un accord entre la coalition majoritaire entre Ennhada et deux partis de gauche, le CPR et Ettakatol. Vif intérêt des citoyens Les prérogatives du président n'ont pas manqué d'enflammé l'hémicycle. L'opposition a d'ailleurs boycotté le vote, arguant que le futur président est dessaisi au profit du Premier ministre qui concentre trop de pouvoirs entre ses mains. Le président fixe avec le chef du gouvernement la politique étrangère du pays. Il est le chef suprême des Forces armées mais ne nomme ou ne révoque les hauts officiers qu' « en concertation » avec le chef du gouvernement. Une autre disposition controversée délègue « en cas de force majeure » les pouvoirs exécutif et législatif aux trois présidents (président de l'Assemblée, chefs de l'Etat et du gouvernement) et non plus au seul Premier ministre. Point positif des débats pour cette Constitution, les séances retransmises en direct à la télévision, ont suscité un engouement sans précédent des Tunisiens, des médias et réseaux sociaux, les uns s'emerveillant d'un « exercice de la démocratie », d'autres craignent à la « tyrannie de la majorité ». Les Juifs de Tunisie : des « citoyens à part entière » Depuis quelques jours, les juifs tunisiens sont au cœur d'une polémique. A l'occasion d'une cérémonie organisée à al-Qods, Silvan Shalom, vice premier ministre israélien, a appelé mercredi dernier les juifs de Tunisie à regagner Israël pour y résider « dans les plus brefs délais ». En réaction, le mouvement Ennahdha a qualifié ces propos d' « irresponsables et irrationnels », jugeant « fort suspect » le moment choisi. « Les membres de la communauté juive de Tunisie sont des citoyens à part entière disposant de la plénitude de leurs droits et de leurs devoirs », a affirmé le parti dans un communiqué. Une lecture de la citoyenneté, qui après l'adoption de la Constitution, pourrait être critiquée puisque les citoyens juifs sont explicitement exclus des postes de l'éxécutif. De son côté, le président de la communauté juive de Tunisie, Roger Bismuth a affirmé que cette polémique « n'est qu'une tempête dans un verre d'eau et une tentative de saper le processus engagé par la Tunisie après s'être débarrassée du joug de la dictature ». « Aucune partie étrangère n'a le droit de s'ingérer dans les affaires de la Tunisie, y compris les affaires de la communauté juive établie dans ce pays depuis plus de trois mille ans », a réagi cet homme qui défend l'existence d'une exception tunisienne. Pour rappel, la Tunisie compte quelque 1.500 juifs établis majoritairement à Tunis et à Djerba.