Depuis quelque temps, tout le monde crie, tout le monde braille, tout le monde râle, tout le monde meugle. Vraiment, on ne s'entend plus gueuler. C'est venu d'un coup. À croire qu'ils attendaient un signe de quelque part pour donner de la voix tous ensemble. Ils attendaient qu'on leur ouvre la voie, quoi. Du silence, le plus plat d'avant, aux gueulantes les plus assourdissantes d'aujourd'hui, il y avait plus qu'un pas, mais que d'aucuns, jadis plus sages que des images et plus doux que des minous, n'ont pas hésité à franchir allègrement, mais sûrement non sans avoir demandé l'avis de leurs répétiteurs attitrés. Entre vous et moi, personnellement, je ne devrais pas trop me plaindre. Moi qui prônais depuis toujours le chahut comme philosophie et le tintamarre comme idéologie, je devrais plutôt pousser de grands youyous de satisfaction. Ce n'est pas l'envie qui m'en manque, mais, justement, j'ai peur, avec tout ce vacarme, que personne ne puisse apprécier mes talents de «youyouteur». I ls gueulent tous tellement, vous dis-je, alors, comment voulez-vous que quelqu'un m'entende ? Cela dit, eux aussi, ils ont beau crier, personne ne les écoute et donc personne ne comprend ce qu'ils disent. D'abord, parce qu'ils crient tous en même temps. Dès que le premier commence à l'ouvrir, tous les autres le suivent comme un seul homme ou comme une seule femme, puisque c'est selon. Ça peut durer comme ça, des heures. Et après ça, allez piger quelque chose à ce qu'ils racontent. Je crois que ça doit les arranger, quelque part. Comme, d'une part, ils n'ont pas grand chose à nous apprendre, et que, d'autre part, ils ne savent pas encore ce qu'ils doivent dire ou, surtout, ne pas dire, alors, ils préfèrent noyer tout ça dans un immense brouhaha. Mais, comme disait l'autre, qui dit parfois des choses sensées, mais pas toujours, «ils n'ont rien compris». D'ailleurs - je vais peut-être être méchant - je me demande s'ils finiront par comprendre, un jour. Tenez ! Parlons un peu plus sérieusement. Depuis que ces jeunes chevelu(e)s aux jolies bouilles et aux foulards palestiniens noués autour du cou ( Ah qu'est-ce que ça me rappelle le bon vieux temps !) sont sortis pour hurler leur raz-le-bol d'une situation figée et leur désir fou de tout changer, nos anciens guides ne savent plus où donner de la tête. Ils ne savent pas comment parler à ces «gamins», comme ils disent, quoi leur répondre, quoi leur promettre. Ils ont perdu la voix, quoi. Enfin... c'est une façon de parler. Et pourtant, avant, ils avaient belle allure avec leurs beaux costumes griffés et leur micro-cravate signée, à nous débiter du matin au soir, de leur voix monocorde et poussive et avec leur langue lourde en bois massif, leur éternel discours passéiste ou de satisfecit hyper cursif ou super long, puisque c'est selon. Aujourd'hui, malgré tous les grands appels au grand ménage qu'on n'a pas manqué de leur faire, pour qu'ils se décident enfin à bouger, ils sont encore là à attendre qu'on leur fasse d'autres signes plus clairs et plus précis, craintifs qu'ils sont et qu'ils ont toujours été de se voir, comme avant, grondés, voire vilipendés. Alors, je crois que c'est pour ça que, les pauvres, de peur de dire des bêtises et de risquer de se faire taper sur les doigts, ils préfèrent gueuler à gorge déployée. Comme ça, ils sont sûrs que personne ne pigera que dalle à ce qu'ils gueulent. Si vous ne me croyez pas, essayez de faire attention la prochaine fois et vous allez constater vous-mêmes que dès qu'ils voient un micro ou une caméra devant eux, et parfois avant même qu'on leur pose la question, ils commencent tellement à crier à tue-tête qu'on pourrait croire qu'ils l'ont perdue, la tête. Cela dit, je les comprends un peu. Tout ça est trop nouveau, trop différent, trop dur pour eux. Tout change si soudainement qu'ils n'ont même pas le temps de voir d'où vient le vent et, surtout, où il va. Alors, ne sachant pas comment s'y prendre, ils deviennent des crieurs. C'est normal, mettez-vous un peu à leur place. «Non ! Pas ma place !», crient-ils désespérés et pleurnichards. Franchement, ils me fendent le cœur. C'est vrai, ils ont raison : où vont-ils aller et que vont-ils devenir, eux qui n'ont rien vu venir ? En tout cas, je suis désolé, mais, pour l'instant, je n'ai aucune réponse pour eux. Tant pis ! Ils n'avaient qu'à, au moment où toutes les portes s'ouvraient à eux, ne pas tout fermer derrière eux. Maintenant, peut-être qu'ils reviendront un jour par la fenêtre. Qui sait ? En attendant, je vous dis bon week-end, vivement le changement et vivement vendredi prochain.