J'ai eu parfois des doutes, mais depuis quelque temps, je suis de plus en plus persuadé que nous, Marocains et Marocaines, sommes plus que lunatiques. J'ai eu parfois des doutes, mais depuis quelque temps, je suis de plus en plus persuadé que nous, Marocains et Marocaines, sommes plus que lunatiques. Nous sommes des extra-terrestres. Je sais que nous n'aimons pas être traité(e) s de schizophrènes - schizos pour les intimes – pourtant, nous avons chacun et chacune, pas seulement deux personnalités, mais plusieurs. Nous sommes souvent, chacun ou chacune, selon le statut, le moment ou le lieu, tour à tour, méchant, gentille, tolérant, fermée, moderne, archaïque, révolté, soumise, démocrate, réactionnaire, hospitalière, raciste etc. etc. Peut-être c'est ça notre «spécificité», mais, franchement, je crois qu'il est temps qu'on mette un peu d'ordre dans ce fouillis. Je dis ça, mais je suis parfaitement conscient, «diversifié» comme les autres que je suis, que la tâche ne sera pas aisée. Encore faudrait-il qu'on décide enfin de le faire, et ça, je n'ai pas l'impression que c'est demain la veille. Au fond, je pense que ça arrange un peu tout le monde. Tenez ! Prenez nos politiciens. Plus schizos qu'eux, tu meurs. Ailleurs, c'est vrai, les discours et les comportements changent dès lors qu'on quitte la majorité pour l'opposition, ou vice-versa. Mais ça, disons, c'est «normal». Je devrais même dire que ça fait partie du jeu, qu'on appelle d'ailleurs, fort justement, «Le jeu démocratique». Mais, «chez nous, ce n'est pas pareil», comme disait l'autre pour nous taquiner (Bruno Etienne, si tu nous regardes de là-haut, tu vois que ça n'a pas beaucoup changé depuis ton départ). Ici, chez nous, c'est un peu n'importe quoi. On peut être, en même temps, dans le gouvernement et dans l'opposition. Dans la même journée, vous pouvez entendre un ministre défendre bec et ongles un projet gouvernemental, et quelques minutes après, ruer dans les brancards en brocardant et en raillant parfois ce même projet ou un autre projet encore en gestation. Et vous avez, de l'autre côté, des «opposants» qui soutiennent sans rougir, vote à l'appui, un programme du gouvernement sous prétexte qu'ils le trouvent «positif», voire «similaire» au leur. Oui, c'est probablement ça ce qu'on appelle chez nous : «La démocratie marocaine». Mais, en vérité, le meilleur, ou plutôt le pire, ce n'est pas ça. Moi, ce qui m'agace le plus dans tout ça, ce sont les perpétuels cris au complot lancés par les uns ou par les autres, dès le moment où des protestations commencent à s'exprimer plus ou moins ouvertement. On a même inventé une expression coquine pour résumer cette «complotite» : «Les poches de résistance». La «complotite» est passée, au fil du temps et des gouvernements, de simple maladie saisonnière, à une véritable pandémie. Non, je vous jure que je n'exagère pas. Vous n'avez qu'à essayer de discuter avec votre voisin, votre conjoint, votre collègue, votre pote ou votre boss, et vous allez voir qu'ils vont tous voir des complots partout. Ce qui est très grave et, du coup, très risqué, c'est que, justement, vous risquez gros si jamais on vous détecte et on décrète que vous êtes «comploteur» ou «comploteuse». Bon, on ne vous enverra pas en Sibérie – c'est si loin et si cher–, mais on va vous jeter au ban de la société. A mon avis, il n'y a pas pire punition. Vous serez non seulement constamment désigné(e) du doigt, mais, en plus, vous n'aurez aucune chance d'être un jour au gouvernement, ni même dans l'opposition. Que faire alors ? Je vais vous répondre par un joli dicton zoulou: «Si vous avancez, vous êtes morts, si vous reculez, vous êtes morts, alors pourquoi reculer ?». Vous avez compris ou bien je recommence ? Bon week-end les résistants et hou-hou-hou les autres.