À peine est-il investi que le nouveau Premier ministre égyptien, Essam Charaf, ouvre une page sur Facebook. Sa nouvelle fonction met pourtant à son service tout l'appareil médiatique officiel, riche en radios, presse et télévisions. Mais ayant lui-même participé aux manifestations de la place Tahrir, il cherchait probablement à véhiculer auprès des jeunes l'image d'un Premier ministre «branché». Essam Charaf n'est pas le premier à avoir cédé à cette nouvelle mode. Bien avant lui, le Conseil militaire égyptien s'était pressé de créer sa page Facebook dès que Moubarak avait «abdiqué». On peut comprendre que d'austères militaires, déconcertés par le pouvoir magique de cette nouvelle arme qu'ils ne soupçonnaient pas aussi dévastatrice, se soumettent à cette expérience. Plus excentrique encore est l'initiative du Premier ministre palestinien Salam Fayyad. Il ne s'est pas contenté de créer une page Facebook, mais en a fait un outil de recrutement de ses futurs ministres. Il a ainsi invité «ses fans» à lui faire des suggestions de noms pour son nouveau cabinet. Prévoyant, il s'est probablement dit qu'il serait plus judicieux de laisser le choix aux jeunes de Facebook que de risquer de les voir demain manifester pour réclamer la démission du gouvernement. Les hommes politiques donnent l'impression de craindre Internet et de chercher par tous les moyens sa bénédiction. Cela vire au tragi-comique. L'histoire moderne est remplie de moments de fascination qu'exercent les nouvelles technologies sur les hommes. Une fascination qui finit souvent par des déceptions. L'informatique s'est ainsi accompagnée de problèmes de sécurité, les portables sont soupçonnés de nuire à notre santé, et Internet facilite aussi bien l'accès à l'information qu'à la manipulation. On a conclu un peut rapidement que Facebook était un véritable déclencheur de révolutions. Il suffirait désormais de trouver une cause «juste», de lancer un appel et de descendre dans la rue. C'est aussi simple que ça ! Un outil de compensation Il est probable que la chaîne Al Jazeera a joué un rôle beaucoup plus déterminant dans les révolutions arabes que ne l'a fait Internet. On ne peut cependant nier que l'utilisation de Facebook reste une innovation importante dans un monde arabe, qui manque affreusement de moyens de médiation capables de porter les revendications des populations. Sans partis politiques crédibles, ni institutions représentatives réelles, Facebook s'est désigné comme un lieu d'expression directe et sincère dans un monde faux. L'exaltant passage du virtuel au réel a ainsi triomphé d'un système machiavéliquement fermé. Il faut néanmoins rappeler que les jeunes des pays arabes sont loin d'être les premiers à utiliser Internet pour faire sauter des interdits. Les Occidentaux ont connu, bien avant, leurs appels à occuper des espaces publics interdits. Cela a commencé avec les flashmobs, ces rendez-vous pris sur le net qui rassemblent de nombreuses personnes dans un lieu public, le temps d'accomplir une action rapide, souvent amusante. Les premières manifestations de ce genre se sont déroulées aux Etats-Unis et n'ont pas manqué de mobiliser la police, qui y voyait une source de risque pour l'ordre public. Mais Facebook a surtout fait parler de lui par les appels à des apéros géants, aussi meurtriers que les manifestations politiques sous des régimes autoritaires. Il existe bien entendu une différence majeure entre les revendications politiques, les flashmobs et les apéros géants, qui ne sont, en fin de compte, que des fêtes jouissives. Rien à voir avec les revendications politiques plus sérieuses et plus graves des jeunes du monde arabe. La logique reste pourtant la même : les jeunes ont envie de se saisir d'un espace public pour faire passer un message ou y exercer une activité prohibée. Mais ce n'est pas parce qu'il a été utilisé «sérieusement» que Facebook devient un outil politique. Presque tous les hommes politiques occidentaux disposent aujourd'hui d'une page Facebook ou d'un blog. Le rôle dévolu à ces outils reste cependant limité à une forme de communication. On a cru un moment que grâce à cette technologie, il serait désormais possible de faire de la politique autrement. À quoi sert encore un Parlement, si chacun peut exprimer directement ses opinons et donner son avis sur Facebook? Avec Internet investi de la légitimité que lui ont procuré les révolutions arabes, tout individu prétend désormais faire de la politique dès qu'il réussit à fédérer autour d'une action un certain nombre de personnes. Internet restera un formidable outil de débat et de pression sur les hommes politiques, mais il ne peut se substituer à la démocratie représentative. On peut le regretter, quand on voit l'état de nos partis politiques. Il nous reste à espérer que nos hommes politiques auront compris le message et qu'au lieu de courir créer leur page sur Facebook, ils se mettent à la vraie politique, celle des vrais projets. Khalil Mgharfaoui Chercheur au Laboratoire d'études et de recherches sur l'interculturel.