La légende prétend que Mark Zuckerberg, créateur de Facebook, a imaginé ce réseau social pour soigner sa timidité et sa difficulté de rentrer en contact avec les autres, en particulier les femmes. Il a fini par soigner son portefeuille puisqu'il est aujourd'hui à la tête d'un géant du Web dont le chiffre d'affaires atteint un milliard de dollars. Ce qu'il n'a certainement pas imaginé, c'est l'impact de ce réseau sur les relations humaines. Il va procréer des rapports originaux en devenant lieu d'expression et de partage. Il est en passe d'inventer des mécanismes inédits d'un tribalisme singulier où la rencontre digitale qui se passe du corps, de la vue et surtout du jugement des autres. Il y a plus. On se souvient en quoi, à l'occasion de la mort de Michael Jackson, Facebook a pu être un transmetteur instantané d'émotion. Inconnu, il y a encore quatre ans, Facebook revendique aujourd'hui un réseau social constitué de 400 millions de membres dont près d'un million au Maroc. Mais c'est en France avec ses 12 millions d'utilisateurs qu'il a suscité un curieux phénomène que d'aucuns n'hésitent pas à comparer avec soixante-huit, du moins dans sa dimension jouissive : Les apéros géants. Le principe est simple. Une invitation est lancée sur le réseau pour que, sur un lieu de précis dans la ville, se réunissent les gens pour boire un coup. Le succès est immédiat. Le phénomène a une capacité de mobilisation qui intrigue. D'immenses foules, jeunes pour l'essentiel, se donnent rendez-vous pour des happenings aussi spontanés qu'énormes, bon enfant et décontractés. Par un curieux mimétisme, les villes commencent à se singer. De Rennes à Brest, de Montpellier à Caen, les apéros déplaceront des foules immenses, jusqu'à dix mille personnes, au grand dam des préfets impuissants à endiguer le phénomène malgré des sommations vaines et des interdictions pieuses. A Nantes, la semaine dernière, avec la mort accidentel d'un jeune de 22 ans, fortement imbibé d'alcool, le phénomène va prendre une tournure politique avec le souci de savoir comment accompagner le phénomène à défaut de le maîtriser. Car pour les pouvoirs publics, ce qui est désarmant, c'est que pour la première fois ils ont à gérer des manifestations sans interlocuteur identifié, avec un organisateur anonyme et un état-major de l'ombre. Ces temps de sinistrose et de banqueroutes qui menacent même les Etats, constituent l'occasion de faire ressurgir l'un des traits de caractère français, dans son rapport à la fête. Il y a comme un besoin de défoulement libérateur. Facebook y joue son rôle de facilitateur. Il l'est d'autant qu'il est favorisé dans un espace où démocratie et liberté ont un sens.