Ils ont surclassé la presse et les médias, mais ils ne peuvent pas remplacer les partis politiques en matière d'encadrement de la population et l'élaboration de programmes. Les partis politiques marocains sont, depuis un certain temps, en perte de vitesse, et ils n'ont pas pu accompagner l'évolution de la population, surtout les jeunes. Eclairage de Mohamed Darif, politologue. - Finances News Hebdo : Est-ce qu'avec les manifestations du 20 février, on peut dire qu'on est dans une nouvelle forme de protestation et de revendication ? - Mohamed Darif : Les appels à manifester ont commencé à partir de Facebook, du fait qu'au départ le monde des réseaux sociaux étant virtuel, il était difficile d'estimer et d'identifier le nombre des instigateurs du mouvement du 20 février. On ignorait s'ils existaient réellement et s'ils étaient entièrement indépendants, et s'ils avaient des liens avec des forces politiques nationales ou étrangères. Car il est possible que certains mouvements politiques se cachaient derrière ces jeunes. Mais il est clair que les autorités ont fait preuve de bonne volonté avec les revendications de ces jeunes qui restent légitimes et acceptables, surtout du point de vue social et économique. Ce type de manifestations a toujours existé au Maroc. Depuis l'instauration du gouvernement d'alternance, des sit-in sont organisés, accompagnés de mouvements de protestation. - F. N. H. : Qu'en est-il des revendications des jeunes ? - M. D. : Il y a les jeunes issus des groupes de Facebook et il y a aussi certains partis de gauche, des partisans d'Al Adl wal Ihssane, et il y a des centrales syndicales et des associations des droits de l'homme. A cet égard, nous avons des difficultés à nuancer entre les revendications des jeunes de Facebook et celles, classiques, des partis politiques et des formations syndicales. Mais ce qui est sûr c'est que toutes les revendications sont classiques, comme par exemple celles, exigent une nouvelle constitution, plus démocratique. - F. N. H. : Est-ce qu'on peut parler d'un nouveau pouvoir, celui de l'Internet ? - M. D. : Dans ces manifestations, on peut parler du rôle des jeunes et aussi de celui des nouvelles technologies. Les jeunes représentent une bonne part dans la population marocaine, soit 60%. C'est un facteur capital, les jeunes ont des objectifs et des ambitions qu'il faut stimuler. Les autorités doivent prendre en considération ces revendications. Auparavant, c'était celui qui contrôlait les médias qui pouvaient influencer l'opinion publique ; aujourd'hui nous sommes devant un autre pouvoir : celui de l'Internet. Toute personne peut communiquer n'importe où et n'importe quand et se connecter à plusieurs sites. Il y a donc une révolution numérique à prendre en considération et qui peut assurer le changement vers le meilleur. Les slogans brandis par les manifestants ne sont que les prémices d'un nouveau souffle pour la société marocaine. Les demandes des jeunes sont classiques mais toujours d'actualité, comme la lutte contre la corruption, l'abus de pouvoir, la Justice, l'emploi, une bonne répartition des richesses, plus de démocratie, la séparation des pouvoirs. - F. N. H. : Mais est-ce que l'Internet peut changer le jeu politique au Maroc ? - M. D. : L'Internet est considéré comme un outil de communication et d'échange, de débat, de revendication et de protestation. Il est facile, pas cher, rapide et il peut toucher un grand nombre. C'est un monde virtuel, plus démocratique où les restrictions et les contraintes sont limitées. La communauté Facebook est la troisième population dans le monde. Avec ses 800 millions de membres, elle vient juste derrière la Chine et l'Inde. - F. N. H. : Ne pensez-vous pas que les partis politiques marocains n'ont pas accompagné cette évolution, qui pourrait être un atout, pour mieux mobiliser la base et les jeunes ? - M. D. : Si un parti politique a des structures solides, il peut créer son propre site et communiquer avec ses militants et les citoyens. Mais le problème, c'est que la plupart des partis n'ont pas la cote. Ils ont un déficit d'idée, de vision et de programme. Quand on voit certains responsables de partis parler à la télé, on remarque qu'ils sont d'un niveau qui laisse à désirer. Ces gens sont toujours dominés par les vieilles méthodes et ne peuvent pas communiquer avec les gens et les convaincre via le Net. - F. N. H. : Est-ce qu'il est possible que l'Internet va remplacer les partis, du moins au niveau des débats et des échanges? w M. D. : L'Internet ne peut pas remplacer les partis, mais il reste un lieu de débat et d'échange riche et diversifié. - F. N. H. : L'Internet via e-gov va permettre d'assurer des services publics, mais le problème c'est que certains ministères ou directions qui ont un impact direct sur le citoyen comme la Sûreté nationale, les collectivités locales, ne disposent pas d'un site Internet ? - M. D. : C'est vrai, il y a des administrations qui disposent de moyens conséquents mais pas de site pour communiquer avec les citoyens. Il y a des parties qui n'arrivent pas à avancer, qui ne peuvent pas dialoguer. Ce sujet concerne les partis et aussi le gouvernement. - F. N. H. : Est-ce qu'on peut dire que ceux qui n'ont pas trouvé leur vocation dans les partis ont opté pour les réseaux sociaux ? - M. D. : Les partis, avant l'apparition de Facebook, étaient faibles. Les réseaux sociaux, les blogueurs sont devenus un nouveau pouvoir. Certains le qualifient de cinquième. Moi, je dirais qu'il est le quatrième, il a en fait déclassé la presse. Certains sites sont visités par des milliers de personnes, avec une capacité énorme en matière d'archivage ou de stockage, ce qui n'est pas le cas de la presse classique qui est en perte de vitesse.