«Je vois plutôt un paradoxe en cette attitude», affirme Mohamed Darif, politologue et spécialiste des mouvements religieux. Explication : «Le soufisme est l'un des trois fondements de la politique religieuse de l'Etat (en plus du rite malékite et l'orthodoxie achâarite). Cela d'un coté, d'un autre : la politique religieuse de l'Etat est basée sur un principe : seul Amir Al Mouminine peut cumuler le politique et le religieux. «La Zaouia peut influencer certains choix politiques en poussant ses adeptes à pencher pour l'une ou l'autre partie». Les partis politiques n'ont pas le droit d'instrumentaliser l'islam et les zaouïas ne peuvent pas s'immiscer dans la chose politique». Or, l'une des missions du soufisme est justement de défendre cette politique de l'Etat et faire face aux fondamentalismes religieux. Ce qui revient à faire de la politique. Cela étant, la zaouïa Boutchichia a à maintes fois outrepassé ce cadre somme toute réduit. Les Boutchichis ont dénoncé la politique du ministère, mais ce n'est pas leur premier fait d'arme. Dans le passé, ils avaient également dénoncé la dilapidation et le détournement des biens publics. Ils se sont emportés contre la consommation et le trafic de drogue. Ils se sont, de même, faits avocat de la modernité telle que prônée par l'Etat. Ce qui fait dire à notre interlocuteur que «la zaouïa boutchichia est aujourd'hui au cœur de la politique». Elle peut même influencer certains choix d'une partie ou une autre parmi nos acteurs politiques. «Cela en incitant ses adeptes et sympathisants à adopter une attitude politique plutôt qu'une autre», explique Darif. «L'influence» de la Zaouïa ne se limite pas à cela. Elle peut également jouer le rôle d'un «faire-valoir» pour certaines personnalités politiques ou autres. «Il n'est pas rare de voir parmi l'assistance, à ces manifestations annuelles, des politiciens et hauts dignitaires de l'Etat, mais aussi des hommes d'affaires et des grandes entrepreneurs, en quête d'un capital symbolique», explique le politologue. Bref, des personnalités qui n'ont pas forcément un lien organique avec la Zaouïa mais dont le rapprochement avec la confrérie pourrait s'avérer profitable sur le plan politique ou de carrière. La Zaouïa pourra-t-elle pour autant se muer en un mouvement politique à l'image d'Al Adl de son ancien adepte Abdessalam Yassine ? «Cette hypothèse est à écarter», estime Mohamed Darif. Le rôle de la zaouïa Boutchichia étant justement de contrer ce genre d'organisations.