Mohamed Darif, professeur universitaire, estime que la restructuration du ministère des Habous et des Affaires islamiques n'est pas suffisante pour éradiquer le terrorisme religieux. Pour lui, l'Etat doit entamer des partenariats avec quelques tendances religieuses connues par leur adaptation à la réalité politique marocaine. ALM : Que pensez-vous de la restructuration du ministère des Habous et des Affaires islamiques? Mohamed Darif : C'est une mesure qui ne surprend pas du tout l'ensemble des observateurs. Depuis sa nomination à la tête du ministère des Habous et des Affaires islamiques, Ahmed Taoufiq a manifesté sa volonté d'insuffler une nouvelle dynamique dans la gestion du ministère. Son but est, comme tout le monde sait, de redorer le blason de ce qu'on appelle "l'Islam marocain". Celui-ci reposant sur la doctrine Achaârite, le rite malékite et le soufisme. Par ailleurs, l'ancien ministre, Abdelkbir Mdaghri Alaoui, a été sévèrement critiqué. La mission d'Ahmed Taoufiq était donc assez claire. En effet, ce département avait énormément besoin d'une restructuration, assurant une certaine centralisation et harmonisation de son action. La création de deux nouvelles directions, l'une chargée des mosquées et l'autre de l'enseignement traditionnel, répondent également à des exigences de proximité qui faisaient défaut jusque-là. Quelle est donc la finalité de cette réforme? En pratique, les objectifs sont certainement multiples. En matière de gestion des mosquées, la principale mission de nouvelle direction sera, à mon sens, d'assurer un contrôle efficace des prêches, essentiellement ceux du vendredi. Par ailleurs, si la création de la direction des mosquées se justifie amplement, compte-tenu du rôle qui lui est dévolu, celle de la direction de l'enseignement traditionnel l'est beaucoup moins. En fait, même si le ministre des Habous et Affaires islamiques affirme que des matières modernes seront introduites dans l'enseignement traditionnel, l'existance même de cette direction pose problème. Le fossé entre la notion de modernité et de tradition risque de s'aggraver davantage. A mon avis, cette branche doit être mise sous la responsabilité du ministère de l'Education nationale, car l'enseignement est un et indivisible. Pensez-vous que cette restructuration s'inscrit dans la politique du Maroc de lutte contre le terrorisme? C'est certainement vrai. Quand on parle de terrorisme, il faut bien préciser que c'est du terrorisme religieux dont il est question. Et plus exactement, le salafisme. Aujourd'hui, la politique religieuse du Maroc a pour but de faire face aux thèses salafistes. L'Islam marocain est composé d'éléments constants, qui sont l'Islam orthodoxe (rite malékite) et l'Islam populaire (soufisme). Quant aux variantes, elles ont pour but de faire face aux menaces qui guettent cet Islam marocain. Lors des années 1980, la menace était l'Islam politique. Mais aujourd'hui, c'est le salafisme qui est considéré comme l'ennemi. Justement, la restructuration du ministère des Habous et des Affaires islamiques est-elle suffisante pour combattre le salafisme? La restructuration peut certainement aider à cela. Mais, à mon avis, ce n'est pas du tout suffisant. Le problème est beaucoup plus profond. L'Etat a besoin de partenaires religieux qui puissent l'aider à mener à bien l'éradication du salafisme. L'exemple de l'économie est intéressant à soulever. Tout en se déclarant pour le libéralisme, l'Etat marocain a compris, trop tard, que le secteur privé était un allié de choix sans lequel aucune réforme ne peut réussir. La politique religieuse nécessite le même état d'esprit, celui du partenariat. Ne considérez-vous pas la nomination d'Ahmed Taoufiq, connu pour être un membre de la confrérie des "Boutchichia", comme un partenariat religieux entre l'Etat et les Soufistes? Ce n'est pas un véritable partenariat. Tout le monde sait qu'Ahmed Taoufiq représente l'Islam officiel. La confrérie des "Boutchichia" incarne elle-même la vision officielle. Le partenariat dont je vous parle doit être réalisé avec d'autre forces. La Jamaâ d'Al Adl Wal Ihssan, par exemple? Oui, effectivement. C'est un exemple parmi d'autres. Mais Al Adl Wal Ihssane a l'avantage d'être considéré comme l'ennemi numéro un des salafistes et plus particulièrement des wahabbistes. Dans plusieurs de leurs écrits, ces derniers qualifient Abdessalam Yassine d'impie et de mécréant. Le Souverain a souligné, dans son discours du 30 juillet, que les idéologies importées ne seront plus tolérées. Al Adl Wal Ihssane est partenaire idéal car il est omniprésent et fort. Le seul problème c'est que Al Adl Wal Ihssane est considérée comme un opposant au régime. C'est ce que disent certains. Mais ce n'est pas tout à fait exact. Al Adl Wal Ihssane s'oppose à la politique du régime et non pas au régime politique. La nuance est importante. Je ne dis pas qu'il faille créer un parti politique Al Adl Wal Ihssane. L'essentiel est de créer un dialogue entre la monarchie, en sa qualité d'Imarate Al Mouminine, et les partenaires religieux pour créer un consensus religieux. C'est grâce à ce dernier que l'on peut assurer un consensus politique. Pensez-vous que le Maroc se dirige vers ce consensus religieux? Il y a des signes avant-coureurs qui me permettent de répondre par l'affirmative. Je pense notamment à la réforme de la Moudawana. En franchissant ce cap, nous avons jeté les germes de ce consensus religieux. Le but est de parvenir à créer un système où l'Etat n'est pas laïc et les partis politiques ne sont pas religieux.