La présidence du groupe d'amitié France-Maroc à l'Assemblée nationale française sera désormais assurée par le Rassemblement national, qui en avait fait une priorité. Cette évolution interroge surtout sur la volonté d'un parti, taxé de xénophobe et anti-islam, de se rapprocher du Royaume. Premier groupe parlementaire en termes d'effectif à l'Assemblée nationale française (121 députés), le parti de Marine Le Pen a envoyé un «signal fort» lundi en choisissant le Maroc en premier parmi la vingtaine de groupes d'amitié parlementaires dont la présidence n'avait pas encore été attribuée. La nouvelle en soi ne constitue pas un bouleversement dans l'histoire politique entre Paris et Rabat. En effet, le rôle des groupes d'amitié parlementaires consiste essentiellement à tisser un réseau de liens personnels entre les parlementaires français, leurs homologues étrangers et les acteurs de la vie politique, économique, sociale et culturelle du pays concerné. Ce qui interroge, surtout, c'est la volonté du parti d'extrême droite de vouloir établir des liens forts avec un pays musulman, lui qui est régulièrement taxé d'islamophobe. L'avènement du Rassemblement national (RN) à la tête de la présidence du groupe d'amitié France-Maroc n'a d'ailleurs pas tardé à susciter des réactions épidermiques en France. Karim Ben Cheikh, député de la 9e circonscription des Français de l'étranger, qui inclut le Maroc, a ainsi fait part de son «effarement», et annoncé son intention de quitter ledit groupe d'amitié. «Par principe, en raison des idées xénophobes défendues par ce parti que j'ai toujours combattu, par respect pour les Marocains de France et leurs familles, je n'entends pas siéger dans un groupe présidé par l'extrême droite», a-t-il déclaré dans un bref communiqué publié sur ses réseaux. Une forte empreinte au Maroc Côté RN, on explique l'appétence du parti d'extrême droite pour le Royaume par le fait que le Maroc soit perçu comme un «grand pays de diplomatie et de développement économique». L'analyste politique Driss Aissaoui est du même avis, reconnaissant que «le Maroc est un pays qui prend de plus en plus d'importance dans la région». Dans un rapprochement avec l'une des forces politiques les plus en vue en France – pays avec qui Rabat entretient des relations historiques -, cela ne relève donc pas de l'absurde. Driss Aissaoui rappelle d'ailleurs que «lors des consultations électorales, le RN a toujours remporté beaucoup de voix au niveau du territoire marocain» (dans le cadre du vote des électeurs de la nouvelle circonscription). D'ailleurs, lors des législatives anticipées de juin dernier, au cours desquelles le RN a réalisé une véritable percée, Elodie Charron, la candidate du parti d'extrême droite, a obtenu de bons scores dans les différents bureaux de vote de la 9e circonscription au Maroc. Elle a notamment terminé deuxième à Agadir. Faut-il penser que les thèses – dont certaines très impopulaires – défendues par le RN trouvent écho au Maroc ? Le parti d'extrême droite a donné un élément de réponse en soulignant que le Maroc demeurait un acteur «important dans la lutte contre l'immigration». Une position nuancée par Aissaoui, qui relève que «le Maroc a toujours travaillé à promouvoir une immigration intelligente de manière à ce que les Marocains à l'étranger soient de véritables ambassadeurs des valeurs du Royaume, réputés pour leur éducation et leur capacité d'adaptation». Le RN verrait ainsi dans le Royaume un partenaire de choix dans la promotion d'une immigration de qualité. Mais ce n'est pas le seul point qui pourrait favoriser un rapprochement Maroc-RN. Puisque l'un des chevaux de bataille idéologique du parti de Marine Le Pen concerne les questions de souveraineté. Un argument auquel on est forcément sensible au Maroc, vu le prisme particulier à travers lequel le Royaume apprécie ses relations avec les partenaires étrangers. «Le Rassemblement national soutient la marocanité des provinces sahariennes du Royaume. C'est extrêmement important», soulignait le politologue Mustapha Sehimi à nos confrères de RFI, mercredi. Vu sous cet angle, un rapprochement avec le Maroc, où la question du Sahara est la première cause nationale, «ne peut pas être une mauvaise chose», renchérit Driss Aissaoui, soulignant que dans l'hypothèse d'un RN au pouvoir en France dans les prochaines années, le Maroc sera traité. Une nouvelle étape dans le processus de dédiabolisation Rappelons que le RN préside désormais 33 groupes d'amitié parlementaire au sein de l'Assemblée nationale française. Il est important de noter que près de la moitié (14) d'entre eux sont des groupes d'amitié franco-africains. Il faut surtout se rappeler que l'ancien Front national est engagé depuis plusieurs années dans une entreprise de «dédiabolisation» pour se départir de son étiquette de parti xénophobe. C'est d'ailleurs l'une des raisons derrière le changement de nom en 2018. Exit la rhétorique guerrière du «Front», pour embrasser celle du consensus à travers le «Rassemblement». Une recherche de consensus qui prévaut aussi à l'extérieur des frontières de la France. On a ainsi vu le RN prendre position sur des questions chères au cœur des pays africains comme la fin de la très controversée «Françafrique», et surtout de l'un de ses plus puissants symboles, le Franc CFA, qui a toujours cours dans plusieurs anciennes colonies françaises sur le continent. En visite au Tchad (sa première officielle sur le continent) en 2017, Marine Le Pen avait déclaré face aux députés tchadiens : «Si je veux que l'Afrique soit la première des priorités internationales de la France, ce n'est ni par charité, ni par cupidité. C'est tout simplement parce que notre intérêt commun rencontre notre amitié réciproque». Et dans la pure logique realpolitik, il ne reste plus qu'à définir les champs d'intérêt communs.