Après ses résultats aux élections européennes du 9 juin, le Rassemblement national (RN) a été donné gagnant des élections législatives qui sont convoquées en France pour le 30 juin. Si cette prévision venait à se confirmer, ce serait le premier gouvernement de la France élu démocratiquement entièrement ou majoritairement d'extrême droite. Face à l'arrivée possible du RN, la France est saisie de vertige et ses alliés retiennent leur souffle. On se croirait presque en 1981, à la veille de l'entrée des communistes dans le deuxième gouvernement Mauroy. À cette différence près que la victoire en 1981 était socialiste, le parti communiste servant d'appoint avec 44 députés qui, avec ceux de deux autres partis de gauche, ont assuré à la coalition une majorité confortable. La situation, aujourd'hui, est différente. Le RN est, pour l'heure, le premier parti en France et tout indique, sauf retournement toujours possible, que son statut sera confirmé à l'issue du scrutin des 30 juin-7 juillet 2024. Autrement dit, une majorité de Français aura basculé à l'extrême droite. L'événement est de taille et devrait être appréhendé à sa juste valeur. Pourtant, à lire la presse française et en suivant les débats télévisés, le spectateur étranger s'interroge. Les «petites phrases» et les mots d'ordre donnent à penser qu'il y aurait, d'un côté, les «bons Français», ceux qui votent sagement à droite ou à gauche, et les «mauvais Français», ces égarés qui soutiennent l'extrême droite ou s'aventurent sur les terres inconnues et risquées de l'extrême gauche. En principe, tous les citoyens sont égaux et si le peuple s'exprime librement, qui peut juger que le peuple s'est trompé ? Qui a autorité pour lui en faire le reproche ? De quel droit certaines élites stigmatisent-elles les partisans du RN comme si d'un corps étranger il s'agissait ou d'inconscients fourvoyés ? Les électeurs du RN seraient-ils des parias ? Ils sont Français, tout comme les votants socialistes ou écologistes et, à tort ou à raison, le programme du RN les a séduits. Comme étaient algériens les électeurs du FIS, que le pouvoir militaire a diabolisés. Lorsqu'ils ont pris les armes contre les «éradicateurs», le régime algérien les a taxés de «terroristes». Pendant que la France bienpensante tétanisée s'étripe et se chamaille, au lieu d'opposer des arguments aux idées du RN et de démontrer en quoi le programme de ce parti serait dangereux pour la démocratie française, il nous importe quant à nous de savoir quelles sont les grandes lignes de la politique étrangère du RN et surtout quelle sera son attitude à l'égard du Maroc. Faut-il s'en réjouir ou s'en inquiéter, est-ce une bonne chose pour le Maroc ? Quelles sont les relations du Maroc avec l'extrême droite française ? En politique extérieure, le RN met l'accent sur la souveraineté et la préférence nationale, et défend une vision de la France plus indépendante des institutions européennes. Le parti a souvent souligné la nécessité de restaurer la «grandeur de la France» sur la scène internationale, notamment en renforçant les frontières et en adoptant une approche plus ferme sur les questions migratoires. Dans ce cadre, le Maghreb revêt une importance particulière pour le RN en raison de l'histoire, des liens culturels et des enjeux migratoires et sécuritaires qui en découlent. Le parti a exprimé des préoccupations concernant l'immigration en provenance du Maghreb, mettant l'accent sur la nécessité de contrôler les flux migratoires pour garantir la sécurité nationale et protéger l'identité culturelle française. Aux récentes élections européennes, le programme du parti a énuméré les mesures qu'il préconise pour lutter contre l'immigration illégale : – Instaurer une double frontière, française et européenne afin de contrôler les frontières nationales et permettre à Frontex de renvoyer les migrants illégaux. – Supprimer les subventions publiques aux ONG pro-migrants et lutter contre les trafics d'êtres humains, judiciariser l'aide à l'immigration illégale et mettre sous scellés les bateaux qui assurent la navette entre l'Europe et l'Afrique avec les mafias de passeurs. – Organiser le traitement des demandes d'asile dans les ambassades et consulats des pays d'origine pour éviter une immigration du fait accompli. – Expulser les clandestins, islamistes et délinquants étrangers. – Conditionner les aides au développement versées à des Etats tiers : maintien des populations dans leur pays d'origine, lutte contre les passeurs, reprise effective de leurs ressortissants expulsés. Adoptant une position critique à l'égard de l'Union européenne et de ses politiques envers les pays du Maghreb, le RN plaide en faveur d'une politique étrangère française plus indépendante, affirmant que la France devrait être libre de conclure des accords bilatéraux avec les pays maghrébins sans être entravée par les règles de l'UE. Le RN propose une série de mesures visant à renforcer les liens économiques et sécuritaires avec les pays du Maghreb, tout en mettant l'accent sur la nécessité de préserver les intérêts nationaux français dans la région. Cela inclut souvent des propositions visant à promouvoir le commerce et la coopération économique, tout en renforçant la coopération en matière de lutte contre le terrorisme et l'immigration illégale. Au plan sécuritaire, le RN plaide en faveur d'une coopération renforcée avec les gouvernements maghrébins pour lutter contre les menaces posées par les groupes terroristes opérant dans certaines régions du Maghreb. Le parti a également exprimé des inquiétudes concernant l'instabilité politique dans certains pays maghrébins et a appelé à un soutien accru aux gouvernements stables de la région. D'une manière générale, les représentants du RN ont régulièrement réaffirmé leur engagement envers une politique étrangère fondée sur la realpolitik. Concernant le Maroc, le RN n'a pas d'attitude hostile connue, bien au contraire. Plusieurs dirigeants de l'extrême droite française ont de la sympathie pour le Maroc, un pays qu'ils visitent volontiers. C'est ainsi que le fondateur et ancien président du Front National, ancêtre du RN, Jean-Marie Le Pen n'est pas un inconnu au Maroc, où il s'est rendu plusieurs fois. À son sujet, en décembre 1989, lors d'une rencontre avec la presse sur Antenne 2 (L'Heure de vérité) et en réponse à une question sur une éventuelle rencontre, le défunt roi Hassan II a déclaré : «Le jour où je penserai que M. Jean-Marie Le Pen peut m'apporter quelque chose ou que je peux peut-être le ramener sur certaines de ses idées, pourquoi pas ?» Un an plus tard, le 9 décembre 1990, Hassan II a reçu à Rabat Jean-Marie Le Pen qui, avec une délégation de députés français membres de son groupe parlementaire au Parlement européen, a visité le Maroc, y compris les provinces du sud. La visite du chef du Front national a suscité une polémique en France. Le Pen, pour sa part, a affirmé avoir «toujours eu beaucoup d'admiration et de sympathie» pour Hassan II. Ce dernier ne désapprouvait pas les idées du dirigeant nationaliste français sur la défense des intérêts nationaux en priorité et le nécessaire contrôle de l'immigration. Le défunt roi a exprimé à plusieurs reprises son opposition à l'assimilation des Marocains à l'étranger et les a invités à garder le lien avec leur pays et ne pas prendre part aux élections locales. S'exprimant à l'Assemblée nationale en octobre 2023, la présidente du groupe RN, Marine Le Pen, a reproché au président Emmanuel Macron de ne plus parler avec le Maroc et de s'être «fourvoyé dans une alliance algérienne par nature stérile.» Auparavant, en 2022, au cours d'une conférence de presse, Marine Le Pen a exprimé son souhait de «maintenir et enrichir nos liens avec les trois Etats du Maghreb. Je pense au Royaume du Maroc qui nous est cher». Elle a réservé ses piques les plus aigues à l'Algérie : – «Mon souhait est de conditionner tout nouvel octroi de visas au profit de ressortissants algériens, toute autorisation de transfert de fonds, toute acquisition de propriété en France par un dignitaire algérien à plusieurs éléments incluant une mise en œuvre effective de la réadmission par les autorités consulaires algériennes en France.» – «Nous ne sommes pas dépendants économiquement de l'Algérie ni d'ailleurs du gaz algérien.» – «Les Algériens qui vivent déjà en France, respectent nos coutumes, notre droit français et aiment la France, qui bénéficient d'un contrat de travail et nous enrichissent de leur savoir-faire… n'ont pas de raison de ne pas être invités à y rester. Les autres, certes minoritaires, devront partir et les services consulaires algériens devront délivrer des laissez-passer en respectant la décision souveraine de la France d'éconduire de son sol tout étranger qu'elles jugent indésirable même d'ailleurs sans condamnation pénale.» D'autres figures du RN sont des habitués du Maroc où ils ont leurs entrées, comme Aymeric Chauprade ou Jean-Claude Martinez, ancien professeur à Rabat et auteur de «Le Roi stabilisateur». Thierry Marianni, eurodéputé RN est un grand défenseur du Maroc. Le premier vice-président du RN et ancien compagnon de Marine Le Pen, Louis Aliot, a déclaré à un média marocain en octobre 2023 que «rien, absolument rien» n'empêchait la France de soutenir la marocanité du Sahara. Il a affirmé «si Marine [Le Pen] est Présidente en 2027, nul doute que le Maroc sera un interlocuteur privilégié », ajoutant «à mon modeste niveau j'y travaille.» Dominique Bilde, députée européenne du Groupe Identité & Démocratie, au lendemain de l'annulation par le Tribunal de l'Union européenne, en 2021, de deux décisions du Conseil européen portant sur des accords de préférences tarifaires et de pêche avec le Maroc, a émis un communiqué dans lequel elle a regretté la décision du tribunal, tout en faisant état des «soupçons de détournements» qui pèsent sur l'aide humanitaire européenne octroyée aux camps de Tindouf», contrôlés par le Polisario, que certains accusent d'entretenir des liens avec des groupes djihadistes. En définitive, les partis français de droite et d'extrême droite ne partagent pas le «tropisme» algérien d'Emmanuel Macron et sont traditionnellement proches du Maroc. La seule question sur laquelle il pourrait y avoir des grincements serait celle des expulsions de clandestins et de mineurs sans papiers. Pour le reste, le RN n'aura que de délicates attentions pour le Maroc. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue que la politique étrangère est le domaine réservé du président de la république. La marge de manœuvre du gouvernement et plus spécialement du ministre des affaires étrangères en ce domaine est étroite. Le président du RN, Jordan Bardella, probable futur Premier ministre, a clairement fait savoir qu'il ne serait pas, comme ses prédécesseurs, un simple «collaborateur du président» et que Matignon aurait son mot à dire. Si, comme le même Bardella en pose la condition pour gouverner, le RN obtient la majorité absolue, la cohabitation risque d'être difficile, voire impossible. La France entrerait alors dans une ère de fortes turbulences.