Thomas Bincaz, Directeur général et co-fondateur de Kenza Mall (laredoute.ma) Les Echos quotidien : Vous avez annoncé très récemment un partenariat avec kitea.ma ainsi que d'autres enseignes de la place, en quoi consistent précisément ces partenariats ? Thomas Bincaz : En fait Kenza Mall est une sorte de prestataire de service en matière de e-commerce. Normalement toute entreprise qui souhaiterait se lancer dans ce marché est amenée à créer une sorte de socle de base réunissant l'ensemble des métiers spécifiques au e-commerce. En Europe, nous nous sommes rendu compte que toute cette partie de vente en ligne est en réalité un métier à part entière, qui a une valeur. Après analyse du marché, nous avons donc constaté que ce modèle permet aux fabriquants de se concentrer sur leur cœur de métier, autrement dit la production et de nous déléguer toute la partie e-logistique. Les expériences dans le domaine ont démontré que le passage au «retail» (vente en détail) pour du B to C, est le meilleur moyen de planter sa boîte, dans le sens où cela disperse l'activité du producteur et lui génère des frais supplémentaires importants. Comment cela ? Tant que vous êtes sur des petits volumes, vous restez réactifs, mais une fois qu'il est question de faire de plus gros volumes c'est toute la structure qui explose. Notre rôle à nous (Kenza Mall), c'est justement de permettre aux «retailleurs» de ne rien changer à leur corps de métier et d'externaliser toute cette partie. Nous nous chargeons alors de la transformation du produit pour un retail vers du B to C et de la gestion de la relation client. C'est un nouveau modèle de e-business que vous proposez donc... Nous sommes pratiquement les premiers sur ce métier au Maroc. Il y avait un acteur avant nous qui s'appelait «achatprivé», mais ça n'a pas fonctionné à cause de la logistique. C'est véritablement ce qui peut tout déstabiliser, car il y a un certain nombre de freins au Maroc, notamment les frais de livraison. Les clients y restent encore rétissants. Justement, jusqu'à quel point le facteur prix est-il déterminant pour le consommateur marocain ? Il est vrai que les premières études ont démontré que la notion de prix était très importante pour donner envie aux consommateurs d'acheter. Néanmoins, j'ai l'intime conviction qu'avec le Web, le prix est moins primordial, c'est avant tout un service, un mode de consommation sur un autre canal. Dans le référentiel marocain, cela reste un critère important mais à l'international c'est avant tout la qualité qui prévaut. Le Web c'est aussi la possibilité d'avoir un choix important que vous n'aurez pas forcement en magasin. C'est ça la force du Web. Qu'est ce qui vous fait dire que ce business modèle fonctionnera au Maroc ? Kenza Mall a été créé en 2010, sur un constat purement économique : le besoin de connexion Internet au Maroc était en pleine explosion et il y avait des moyens de paiement. À l'époque nous étions déjà arrivés à des niveaux de consommation d'Internet qui commençaient à ressembler à un usage normal sur d'autres marchés internationaux. Avec un peu de visibilité sur les projections de la demande, nous avons anticipé l'arrivée du e-commerce au Maroc. À partir de là, on s'est demandé ce que l'on pouvait faire d'intelligent en sachant qu'un marché ne peut se développer sans acteurs. Pas d'offre, pas de marché, mais pas de marché, pas d'offre... c'est un cercle vicieux... L'ensemble de ces points nous a démontré que, pour introduire les gros opérateurs sur le marché local, il va falloir avoir en face des Web centriques «pure player» qualifiés. Cependant en 2010, les chiffres du e-commerce étaient encore embryonnaires... Nous en sommes toujours là. Nous espérons d'ailleurs que ça continue ainsi encore un peu, car si le marché était mature nous serions en danger. (Rire) Pour revenir à l'activité de Kenza Mall, vous parlez plus haut de la «valeur» de ce métier, quelle est-elle concrètement puisqu'il s'agit de «partenariats» ? Nous sommes partis sur un modèle simple, nous croyons aux produits de nos clients et au marché. Concrètement, la marque s'occupe de faire du profit et nous, d'optimiser les dépenses pour faire le plus possible de profit. La marque n'a donc pas de perte puisque c'est nous qui investissons. Généralement, nous avons des contrats de partenariat allant, en moyenne de 5 à 7 ans. Alors comment ça se passe ? Au démarrage nous savons pertinemment que nous n'allons pas gagner d'argent même si l'on vend beaucoup. Il y a quand même un certain travail à mettre en place, c'est après que nous nous rémunérerons au bénéfice. C'est ce qui permet aux entreprises de se lancer dans le Web sans avoir peur de perdre de l'argent d'emblée. Du coup, nous commençons un an et demi, voire deux, avant la date prévisionnelle histoire de roder le marché. Il ne faut pas oublier aussi que le marché marocain a une faible expérience dans la vente à distance, ce qui nous permet de profiter de cette jeunesse pour apprendre les rouages du marché. C'est le cas pour tous les clients ? Pas tout à fait. Nous travaillons soit sur un modèle de concession de marque ou sur un modèle de rétribution au chiffre d'affaires. Sinon dans le cas de laredoute.ma, nous sommes franchisés à l'import. D'ailleurs nous y sommes obligés à ce niveau là, pour pouvoir avoir des frais de douane et avoir un prix d'achat, avec un différentiel certes. Au bout du compte, le calcul différentiel est fait sur les mêmes règles que ce que l'on appelle partenariat, car en industrialisant notre métier, nous mutualisons un certain nombre de points, afin de permettre à la marque de gagner en vitesse, en souplesse, en professionnalisme et aussi financièrement. Est-ce que ça change quelque chose en bout de chaîne au niveau du prix client ? Cela dépend de la marque. Nous sommes le pendant Web de la stratégie de la marque. Ce n'est pas à nous de décider si oui ou non le produit sera moins cher sur le Web. Dogmatiquement, je ne vois pas pourquoi. Maintenant il y a aussi la problématique des frais de livraison. Personnellement je conseille de garder le même principe que pour l'achat en magasin, lorsqu'il s'agit de livrer des produits spécifiques. Par contre le plus que nous apportons à nos partenaires sur le Web, c'est des garanties plus importantes, des services plus rapides. Dans le cas de Kitea.ma, je pense malheureusement pour nous (sourire) que le Web augmentera surtout les ventes en magasin. Néanmoins, Internet reste un outil important de partage, donc nous pensons que sur certains types de produits les consommateurs auront toujours le besoin de toucher et de manipuler le produit en magasin, mais cela ne nous ennuie pas. D'autres finiront bien par l'acheter sur le Web pour se faire livrer dans une autre ville, ou parce qu'ils n'auront pas trouvé le modèle près de chez eux. Au final, c'est aussi le but du jeu... Les Marocains ont-ils des habitudes d'achats particulières ? J'avoue que je ne sais pas si elles sont culturelles ou réglementaires, mais il est vrai qu'il y a une particularité au niveau taille des paniers. Aujourd'hui, 90% des cartes de crédit sont plafonnées à 5.000 DH par semaine, ce qui représente une taille de panier nettement réduite par rapport à l'envie des consommateurs. La preuve, on se retrouve avec des gens qui absorbent deux fois des frais de livraison car ils achètent deux semaines de suite à cause de cette limitation. C'est dommage alors que dans le commerce classique, les consommateurs ont la possibilité de laisser plusieurs chèques... Il y a un certain nombre de facilités de paiement. Mais nous y travaillons justement avec une banque de la place. Laquelle ? Il s'agit du groupe Attijariwafa bank, pour la filiale Wafasalaf. L'idée est de proposer aux internautes après une première visite, un crédit gratuit, ou payant selon ce que décidera le commerçant pour accorder au client une facilité de règlement. Il y aura des formules pour le paiement en fin de mois ou trois fois sans frais. Il s'agit en fait d'une carte de crédit... En gros c'est effectivement ça, car aujourd'hui au Maroc nous sommes encore essentiellement sur les cartes de paiement.C'est un service que nous mettrons en ligne à travers toutes nos plateformes, mais la particularité c'est qu'il sera étendu à tous les e-commerçants. Notre objectif est justement d'initier des normes ou des procédures et de les mettre à la disposition de tout le monde. Nous allons d'ailleurs mettre en place une option de paiement par téléphone. C'est à dire ? En fait, là il s'agit de régler son paiement au téléphone en contactant notre call center, Acolade. L'opérateur aidera l'acheteur à réaliser son acte d'achat en récupérant son numéro de carte bancaire. Acolade est d'ailleurs le premier et le seul call center au Maroc à être certifié PSS, norme bancaire pour ce type d'opérations. Ainsi, nous offrons des services différents pour des typologies de clients différents en maintenant la confiance. Est-ce que l'on peut tout vendre sur le Web ? Si vous avez des frais de livraison à 60 DH, est ce que c'est intéressant de vendre un produit qui vaut 30 DH ? C'est surtout une question de rapport qualité-prix. Maintenant tout dépend de la manière dont on propose le produit en question (achat groupé, pack, ensemble, collection...). Mais spontanément, l'achat sera beaucoup plus compliqué. Les consommateurs marocains sont très avertis. Qui sont justement les consommateurs marocains ? Sur laredoute.ma, nous faisons 60% de notre distribution sur des villes comme Tanger, Oujda, Meknès, Fès... Et nous nous sommes rendu compte qu'un consommateur de Casablanca est plus compliqué à gérer qu'un consommateur de Fès par exemple, car ce dernier est content qu'on puisse le servir. Ceux qui sont dans les «grands centres» ont par contre beaucoup plus de choix. Du coup, notre principal critère d'évaluation est lié à la satisfaction des consommateurs Casablancais. Si nous remplissons correctement nos obligations, les consommateurs de Fès seront encore plus satisfaits...