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Ces profils qui «cultivent» leur carrière
Publié dans Les ECO le 08 - 05 - 2012

«La culture n'est pas un luxe, c'est un produit de première nécessité». Cette déclaration de Henri Loyrette, directeur du Musée du Louvre en visite au Maroc la semaine dernière (www.lesechos.ma) laisse rêveur... Imaginons un consommateur lambda qui, en faisant ses courses, s'arrête au rayon «Produits culturels» pour y acheter une toile de peintre ou une sculpture célèbre en promotion. Nous n'en sommes pas encore là. Il n'empêche que ce produit «vital», comme le décrit Abdelkrim Ouazzani, directeur de l'Institut national des beaux-arts de Tétouan (INBA), fait aujourd'hui l'objet d'une tentative d'industrialisation. Notons bien, il ne s'agit pas en cela de produire de la culture de masse et à grande échelle, mais de structurer la gestion culturelle et artistique pour en faire un secteur générateur de richesses, à la fois intellectuelles, sociales et économiques. Or, avant de faire de la culture – au Maroc – une véritable «industrie», comme le souhaite la tutelle, encore faut-il trouver les compétences nécessaires.
La formation a la forme
«L'Algérie compte au moins 25 écoles d'art !», constate, avec regret pour le Maroc, Ouazzani. Le Maroc, quant à lui, n'en compte «publiquement» qu'une seule, à savoir celle dirigée par ce dernier. En effet, l'Ecole supérieure des beaux-arts (ESBA) de Casablanca n'est pas, contrairement à ce que l'on serait tenté de croire, «étatique». Même son diplôme n'est pas reconnu auprès de l'Etat au même titre que les autres diplômes universitaires. Pourtant, cet établissement qui dispense une formation (bac+4) en arts plastiques, design-graphisme et architecture d'intérieur, accueille chaque année 40 étudiants marocains et étrangers triés sur le volet, puisqu'ils font l'objet d'un concours en quatre étapes. Du coup, «nos élèves travaillent essentiellement dans le privé, quand ils ne lancent pas leur propre entreprise», informe Abderrahmane Rahoul, directeur de l'ESBA. Propos confirmés d'ailleurs par Ouazzani, qui ajoute que «seuls 8% des diplômés sont encore à la recherche d'emploi... Pour la plupart, ce sont des professeurs vacataires». En effet, adopter une formation culturelle n'aboutit pas forcément à s'installer derrière un bureau au ministère de la Culture, ou à faire le tour des galeries, portfolio sous le bras.
«Nous ne formons pas des chômeurs !», clame Ouazzani, pour lequel la formation artistique encourage également l'esprit d'entrepreneuriat... Et donc l'émergence d'une industrie culturelle et créative. Preuve en est, la création depuis quelques années, de formations culturelles auprès d'établissements publics et privés. Aux côtés des instituts supérieurs spécialisés, tels l'Ecole supérieure des arts visuels (ESAV) à Marrakech ou l'Institut spécialisé dans les métiers du cinéma à Ouarzazate, l'université Mohammed V de Rabat et celle de Hassan II à Casablanca, ont toutes deux lancé des masters en médiation culturelle. Plus récemment, l'Ecole supérieure de communication (Com' Sup, privée), s'était lancée dans un master délocalisé en «médiation et ingénierie culturelle», en collaboration avec l'université Sophia-Antipolis de Nice.
Vivre de sa passion...
C'est dire si «le potentiel dont dispose le marché marocain est important», comme le souligne Ouazzani qui prévoit également de son côté la création, «prochainement, d'un master dans les métiers de l'administration culturelle». Des formations donc de plus en plus pointues qui attirent pour le coup des jeunes diplômés ou des professionnels déjà insérés dans le secteur. Si on a la fibre culturelle mais pas celle de l'entrepreneuriat ou de la création artistique, d'autres portes s'ouvrent aussi. Il n'est en effet pas nécessaire d'avoir un talent artistique pour travailler dans le milieu culturel.
Administration et gestion de projets culturels, conception ou direction artistique dans des agences de communication, journalisme, médiation culturelle, sont autant de filières qui s'ouvrent aujourd'hui aux jeunes désireux de faire de leur passion une véritable carrière. En témoigne aussi cet expert dans le milieu depuis une dizaine d'années. «Il y a une nette évolution des compétences dans le domaine depuis ces trois dernières années, constate donc ce médiateur culturel. Concrètement, côté administrations publiques, le directeur de l'INBA révèle que des départements ministériels tels que celui de «la Communication, du Tourisme ou encore de l'Intérieur» sont attirés par les diplômés dans les nouveaux métiers de la culture. Nous apprendrons ainsi «qu'une vingtaine de lauréats de l'institut travaillent actuellement en tant que portraitistes au sein du ministère de l'Intérieur pour les portraits robots». Néanmoins, ce n'est pas là la panacée. «Nous ne formons pas des fonctionnaires», insiste Ouazzani. D'ailleurs, «la collaboration avec l'Etat n'est pas forcément synonyme de stabilité... À l'heure actuelle, on ne peut pas travailler exclusivement avec un seul partenaire», ajoute notre professionnel.
En réalité, le plus grand recruteur de professionnels de la culture est le secteur privé : communication, publicité, événementiel, production audiovisuelle, conception graphique, animation... Bref, s'il y a lieu de développer une industrie culturelle, c'est en synergie avec d'autres secteurs qu'il faut procéder.
... ça peut rapporter
«C'est ton travail qui parle pour toi», argue Omar Sabrou, concepteur artistique de jeux vidéos au sein de la filiale marocaine d'une firme transnationale. Pour ce diplômé de l'ESBA, être détenteur d'un diplôme de l'Ecole des beaux-arts a certes été une belle carte de visite dans son parcours professionnel, mais ce n'est pas le tout. «L'effort personnel est un plus important pour trouver sa place dans le domaine», souligne-t-il. En effet, dans ce domaine la formation n'est qu'un cadre d'apprentissage qu'il est nécessaire d'alimenter d'ateliers, de rencontres et de recherches personnelles. Autrement dit, la culture... ça se cultive !
En définitive, c'est cette force de proposition qui fera la différence sur le marché du travail, permettant à un diplômé d'une école d'art de prétendre à un premier salaire de 5.000 à 6.000 DH ou à un titulaire de master d'obtenir un poste cadre rémunéré entre 15.000 à 17.000 DH, suivant l'expérience. Mieux, «certains de nos diplômés qui ont monté leur propre structure parviennent à s'accorder un salaire allant jusqu'à 40.000 DH», avance de son côté Ouazzani.
Point de vue : Mehdi Qotbi, président de la Fondation nationale des musées
La formation est un pan très important des projets de la fondation. À ce titre, nous nous donnons huit mois pour dresser un état des lieux au niveau des 13 musées nationaux qui dépendent du ministère de la Culture et que la fondation devra désormais chapeauter. Pour ce faire, nous prévoyons de travailler avec un cabinet spécialisé dans la muséologie et qui devrait également nous aider à faire un bilan global, tant en termes de compétences qu'en matière d'œuvres et de structures. L'objectif est d'identifier les besoins de ces établissements, afin de pouvoir élaborer un plan d'action. Je crains qu'au Maroc, il n'y ait pas vraiment de structure spécialisée dans le domaine. Nous devrons donc lancer un appel d'offres à l'international. D'ailleurs, en termes de compétences, nous avons au Maroc des conservateurs, mais ils sont plus dédiés à l'archéologie et au patrimoine qu'aux arts plastiques ou aux autres formes d'expression contemporaines. Ceci est également un déficit que nous espérons pouvoir pallier à terme. Mais il ne faut pas oublier que le marché de l'art au Maroc ne s'est véritablement développé qu'à partir des années 2000. S'il y a aujourd'hui une vraie dynamique culturelle, elle manque véritablement de compétences et l'aspect humain est fondamental dans ce domaine. On peut avoir des belles structures qui accueillent des œuvres de qualité, mais il faut les Hommes qui vont les raconter et les porter auprès du public.
Mohamed Amine Sbihi, Ministre de la Culture : «Les industries culturelles sont productrices de richesse»
Les Echos quotidien : Quelle est la position de votre ministère par rapport aux nouveaux métiers de la culture ?
Mohamed Amine Sbihi : Nous voulons sortir la culture de son aspect élitiste, qui n'a que trop duré, pour faire en sorte qu'elle soit proche des citoyens aussi bien au niveau des régions, qu'au niveau social. Cela doit passer par l'ouverture de nos structures culturelles. Ce qui suppose une remise à niveau de nos centres culturels, de nos musées, de nos théâtres, de nos conservatoires de musique pour qu'ils soient mis à niveau et adaptés. Nous devons donc maîtriser encore plus les nouveaux métiers liés à la culture.
Qu'entendez-vous par cela ?
Cela implique de passer de la culture au sens étroit à de véritables industries culturelles et créatives. L'objectif est d'en faire un secteur d'activité qui permette à la culture de jouer un rôle essentiel au niveau social en faisant en sorte que nos concitoyens soient conscients de notre identité nationale plurielle et ouverte au monde. L'idée est également de faire découvrir aux touristes cette richesse culturelle. La construction de ces industries culturelles et créatives passe notamment par la maîtrise des métiers. Il faut aussi prévoir des mesures fiscales incitatives, des mesures réglementaires d'encadrement de ces nouveaux métiers.
Quels types de réformes envisagez-vous dans ce sens ?
Nous avons commencé par la mise à niveau de nos structures culturelles, et nous comptons revoir également le programme de formation et créer de nouveaux instituts. Pour ce faire, nous prévoyons d'établir des protocoles d'accord avec des institutions nationales et internationales pour nous aider à maîtriser ces métiers. C'est un énorme challenge ! Mais c'est magnifique de voir ce que la culture peut apporter à ce pays aussi bien au niveau de l'affirmation de notre identité qu'au niveau économique et social.
Comment s'inscrit la collaboration avec les autres départements ministériels dans le cadre de ces réformes ?
Je vous annonce que le ministère de l'Education nationale entrevoit d'introduire l'initiation au théâtre dès l'école primaire. Nous allons également discuter avec ce ministère pour le renforcement de l'enseignement musical au niveau du primaire et du secondaire. La formation des maîtres de bibliothèques scolaires est aussi dans le pipe. Il y a énormément de domaines de collaboration prévus avec le ministère de l'Education nationale. Pour ne parler que des bibliothèques locales et scolaires, par exemple, elles jouent un rôle essentiel pour rapprocher les jeunes de la lecture. C'est même le premier maillon qu'il faut maîtriser et c'est pour cela que nous y accorderons un grand intérêt.


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