Faouzi Bensaïdi Cinéaste marocain. Les Echos quotidien : Tout d'abord pourquoi avoir accepté d'associer votre nom à celui du programme Méditalents ? Faouzi Bensaïdi : Il y a trois ans, j'étais plutôt concentré sur mon travail, sans penser à communiquer ou donner une aide aux jeunes cinéastes. Je n'ai jamais eu cette prétention. Lorsque j'ai côtoyé les jeunes de l'Ecole supérieure des arts visuels de Marrakech il y a deux ans, tout a changé. Quelque chose d'extrêmement important s'est passée. Je ne prétends pas donner aux autres, puisque leur talent leur appartient, mais je pense que je pourrais leur faire gagner du temps sur quelques questions. Cette expérience m'a permis aussi de découvrir ce qu'est l'échange, puisque moi aussi j'apprenais des choses, grâce à ces jeunes dont l'âge ne dépassait pas 23 ans. Côtoyer ces jeunes étudiants m'a donné l'occasion de me faire une idée plus précise sur cette jeunesse, ses envies, ses espoirs et ses désillusions... et surtout sur le cinéma qu'elle veut faire. Du coup, je me suis retrouvé dans ce qui me nourrissait et m'enrichissait. C'est ainsi que lorsqu'on m'a proposé de participer à Méditalents, qui vise à dénicher de jeunes cinéastes de la rive sud de la Méditerranée, j'ai vite accepté, puisque je suis toujours dans le même mood. J'avoue que c'est un peu difficile, vu que cela coïncide avec la sortie de mon film, mais les gens qui travaillent sur ce projet ont réussi à me communiquer la sincérité de ce qu'ils ont envie de faire. Et puis, je trouve que c'est très important de donner l'occasion à ces jeunes de passer du court métrage au long, puisqu'il n'y a aucune structure qui permette ce luxe. Ce programme met l'accent sur l'écriture du scénario qui demeure, l'une des failles au Maroc. Croyez-vous que ce genre d'atelier pourrait contribuer à mettre fin à cette problématique ? Méditalents n'est que le début d'une longue aventure. Je pense que dans ce genre de formation, on se pose toujours la question suivante : comment donner les techniques de l'écriture aux jeunes scénaristes ou cinéastes, tout en leur permettant de garder leur originalité ? Je pense qu'il s'agit par la suite de destins personnels. Chacun, selon sa personnalité et son vécu, exploite à sa propre façon cet acquis. C'est tout le dilemme de ce genre de formation. Il faut donner les bases, en espérant qu'elles ne seront pas abîmées. Votre film, «Mort à vendre», a été projeté au Festival de Marrakech et à celui du film national de Tanger, où il a reçu le Prix spécial du jury. Les prix sont-ils importants pour vous ? Tout dépend du moment où ce prix arrive. Le timing du prix est important, pour savoir s'il nous touche, nous émeut ou pas, par exemple. Je pense que recevoir un prix peut relacer la carrière d'un artiste, faire découvrir un cinéaste... En tout cas, pour le cinéma que je fais, les festivals sont importants. Ils se présentent comme une exposition, une manière de présenter le film sur le marché. Je sais qu'il y a un débat sans aucun intérêt, qui qualifie ce genre de cinéma d'élitiste et de films à festivals. C'est complètement faux, dans la mesure où ces festivals permettent à ce type de films de rencontrer des distributeurs et ainsi le grand public. Il s'agit d'un tremplin de distribution et de commercialisation. D'ailleurs, c'est grâce à ces festivals que mes films ont été projetés en Europe, aux Etats-Unis, au Canada ou en Tunisie. À Tanger toujours, un débat houleux a eu lieu concernant les thématiques traitées par les cinéastes marocains. Plusieurs d'entre eux ont été accusés de véhiculer des idées reçues et de se focaliser sur deux sujets, en l'occurrence le sexe et l'intégrisme. Qu'en pensez-vous ? Je pense que sur le fonds, ce débat ne mène à rien. Commencer à se dire aujourd'hui que le cinéma ou l'art en général ne doit pas traiter de certains sujets, me semble aberrant. Le cinéma qui se fait aujourd'hui est un cinéma qui a pris son envol il y a bien des années. Il s'agit pour moi d'une liberté acquise après plusieurs années de lutte et d'avancement. Je ne comprends pas pourquoi le cinéma ne peut pas filmer ces thèmes, puisque cela fait partie de notre vie. Il ne faut pas bien entendu choquer le spectateur, mais sans pour autant laisser tomber sa liberté en tant qu'artiste. Vous savez, je suis persuadé que les images qu'on diffuse lors des journaux télévisés sont beaucoup plus choquantes. Reprocher au cinéma qui fait passer la réalité au prisme de la fiction, de faire des films violents ou noirs est complètement déplacé. Nous ne sommes pas là pour faire des spots publicitaires, nous sommes des cinéastes qui voulons raconter des histoires sur nous-mêmes, sur la vie, sur notre pays... Je ne suis pas en train de minimiser le débat, au contraire, c'est très important comme sujet. Ma position est claire là-dessus : on ne peut pas cacher la réalité. Il faut au contraire la dénuder pour que les choses évoluent. L'hypothèse que les cinéastes marocains commencent à s'autocensurer a-t-elle une place dans le contexte actuel ? Le vrai danger, c'est d'avoir peur. L'autocensure est la chose la plus terrible qui puisse arriver à un artiste. Je n'ose même pas imaginer ce scénario. Lorsqu'on commence à se dire que cette scène risque de ne pas plaire où que mon film ne passera pas à cause de telle ou telle scène, c'est pour moi le début de la fin. La beauté du film, le travail de la mise en scène, la forme ... tout sera atteint. Le réalisateur qui a peur d'écrire, aura peur de filmer. Cette peur va se traduire dans toutes les scènes du film. Elle va polluer la vision du cinéaste. Le succès de «Mort à vendre» ne vous fait-il pas peur, puisque votre prochain film est appelé à être encore plus puissant ? Je vais emprunter une déclaration de David Cronenberg qui a affirmé qu'il attaque chaque nouveau film comme une nouvelle aventure, avec la même peur au ventre et que tout est remis à zéro. Cette situation est valable pour moi. Je travaille chaque film comme si c'était mon premier long métrage. Vous vous remettez donc souvent en question ? Très souvent ! J'ai un mélange de doute permanent et de confiance aveugle en ce que je fais. Je suis un assemblage de contradictions. Les gens qui me connaissent vous diront que je suis à la fois humble et mégalo. J'espère juste garder le côté humble là où il faut et le côté mégalo là où il faut et ne pas placer les choses dans le mauvais endroit. Avez-vous pensé à faire un film sur le Printemps arabe ? L'onde de choc prendra du temps avant de s'estomper. Parler du Printemps arabe me semble très compliqué. Nous sommes en pleine actualité, il faudrait donc avoir une force visionnaire, bien poser son regard et pouvoir s'extraire de cette actualité pour faire un bon film. C'est très difficile comme entreprise. Faire une œuvre aussi forte que les événements me semble compliqué. De plus, je pense qu'il ne fait pas non plus prendre la vague.