L'Afrique fait aujourd'hui l'objet de toutes les convoitises. En ces temps houleux de crise financière mondiale, les regards se tournent à nouveau vers ce continent longtemps délaissé. Le temps de l'indifférence est désormais révolu. Ce ne sont pas les financiers, investisseurs et institutionnels africains, réunis à l'occasion de la 15e édition de la conférence annuelle de l'ASEA (African Securities Exchanges Association) qui diront le contraire. Tous s'accordent à dire que les opportunités de développement du marché africain, notamment dans sa composante financière et boursière, sont bien réelles. «Si la crise bat son plein dans les économies développées, l'Afrique, elle, a non seulement échappé à cette vague récessionniste généralisée, mais de surcroît, elle a réussi le pari d'afficher des taux de croissance très appréciables», a déclaré Salaheddine Mezouar, ministre des Finances sortant, lors de la session d'ouverture. Cette phrase résume à elle seule l'ambiance et l'enthousiasme de la première journée de la conférence. Elle donne aussi un aperçu de la confiance qui règne à nouveau auprès des institutionnels africains. «Entre 2007 et 2011, pas moins de 147 introductions en Bourse ont été comptabilisées sur le continent, représentant au total 28 milliards de dollars US», précise, pour les plus sceptiques, Sunil Benimadhu, président de l'ASEA et directeur général de la Bourse de l'Ile Maurice, une des places boursières les plus dynamiques d'Afrique. Si donc, le développement des Bourses africaines semble être «sur les bons rails», comment ces dernières pourraient remplir entièrement le principal rôle qui leur est dévolu, à savoir contribuer à l'émergence de l'économie africaine? Pour l'ensemble des intervenants, la clé du succès des Bourses africaines passe par trois éléments majeurs : le développement de la sphère réelle, l'éducation et la pédagogie auprès des investisseurs et la réglementation. En effet, une Bourse servant à financer l'économie ne saurait remplir ses fonctions premières si le tissu économique national n'y est pas propice. De fait, la première condition consiste à lancer, continuer, voire parachever l'ensemble des réformes entreprises par les différents pays africains concernés dans les domaines des infrastructures, de l'éducation et de la formation, de la santé et bien évidemment, des institutions. Toutefois, «seuls 28 pays sur les 53 que compte l'Afrique disposent à ce jour de gouvernements ayant à la fois la capacité et l'inclination à fournir aux populations concernées les services et les infrastructures nécessaires pour répondre à leurs besoins, assurer leur bien-être à venir et créer, à long terme, des emplois nouveaux», constate Sean Cleary, président de Strategic Concepts (Pty) Ltd en Afrique du Sud. Sur la base de ce constat, une des pistes de réflexion les plus abouties dont ont accouché les différents panels de la journée de mardi préconise fortement l'idée d'intégration régionale dans l'ensemble du continent. «Ce ne sont pas les ressources qui manquent en Afrique. Ce qui fait vraiment défaut, c'est une volonté politique d'organiser les marchés africains. Il est douloureux de constater que ces derniers jouissent d'une entière proximité, sans qu'il y ait accès d'un marché à un autre, voisin», déplore le Dr Bassam Awadallah, directeur général de Tomah Advisory, aux Emirats arabes unis. On l'aura compris, l'essor de l'Afrique passe par une politique de bon voisinage et d'échanges renforcés, garante de leur définitive organisation interactive. Une fois les réformes amorcées, le décollage des Bourses locales est dès lors tributaire de l'intérêt que seraient amenés à lui porter les investisseurs nationaux. En effet, aux dires des différents experts financiers africains présents, il y a une méconnaissance abyssale du rôle et de la fonction de la Bourse chez la plupart des grands entrepreneurs africains, qu'elle que soit la taille de leur entreprises ou même leur fortune personnelle. «Le Maroc, par exemple, regorge d'entreprises familiales de grande envergure, dont les actionnaires demeurent toujours rétifs à toutes introduction en Bourse», constate à ce propos Idriss Berrada, directeur général d'Attijari Finances Corp. Au delà, on constate chez ces entreprises particulières une sorte «d'organisation capitalistique, mêlée à des participations croisées ambigües», ce qui les rend, le cas échéant, inaptes à toutes introduction en Bourse. La restructuration devient alors un impératif. Pour y parvenir, Fadhel Abdelkefi, président de la Bourse de Tunis, montre la voie et propose, à l'image de ce qu'il a réalisé dans son pays, de développer des mécanismes incitatifs permettant de lever les impositions et autres frais afférents aux introductions en Bourse pendant deux ans, à condition que certaines règles de régularité et de transparence soient adoptées. C'est une manière «douce» de laisser le temps aux entreprises familiales de se restructurer. Cela passe aussi par la pédagogie, primordiale selon Samuel Maréchal, président de Maréchal et Associés Finance à Paris. Celle-ci consiste d'une part à se doter d'une base réglementaire viable et donc intelligible pour l'ensemble des investisseurs, mais également par l'initiation de ces derniers à la connaissance de l'outil boursier. Toutefois, comme a tenu à le préciser Idriss Berrada, l'effort de pédagogie ne concerne pas les seuls investisseurs, mais aussi les émetteurs qui opèrent souvent, et à la hâte, des introductions en Bourse irréfléchies, car ils sont aveuglés par la recherche de profits à court terme. C'est donc l'ensemble du marché financier qui serait concerné. De fait, devant les innombrables difficultés qui caractérisent les marchés africains, on serait tenté de dire que les défenseurs de l'ASEA vont un peu trop vite en besogne. Or, si l'Afrique est le seul continent à afficher une croissance et un potentiel de développement infini, il serait temps alors que les investisseurs institutionnels africains prennent enfin leurs responsabilités. Cela a commencé par l'investissement, et continuera par la constitution de marchés financiers viables et au service du financement de l'économie.