La promotion des industries culturelles passe nécessairement par l'engagement et l'implication des administrations publiques. Voilà en résumé ce qu'il faut retenir de la table ronde organisée le 17 novembre en margé de la première édition de Foro Casablanca. Animée par la sous-serétaire du ministère espagnol de la Culture, du directeur de la promotion des entreprises de l'Institut catalan des industries culturelles et du directeur de la division de promotion des services de la direction générale de la promotion de l'Institut du commerce extérieur espagnol, ladite rencontre a été surtout marquée par l'absence d'un représentant du ministère marocain de la Culture. Pourtant, les organisateurs avaient invité le chef de cabinet du département de Bensalem Himmich, Souraya Kendouchi, qui a décliné l'invitation le jour-même. Simple négligence ou fait volontaire ? Bref, les responsables espagnols ont démontré lors de cette rencontre que la contribution des industries culturelles et créatives à l'économie de différents pays a donné lieu à des politiques visant à développer et à promouvoir ces industries à travers des organismes publics, des institutions locales et des organismes internationaux. Phénomène social aux caractéristiques très diverses et aux multiples ramifications, les industries culturelles prennent de plus en plus de place dans les débats culturels. Au Maroc, même si peu d'études et de publications sont réalisées sur l'évolution des industries culturelles, il n'en demeure pas moins qu'elles contribuent d'une façon ou d'une autre à créer un certain dynamisme, une certaine effervescence. D'ailleurs, la dernière étude réalisée par l'Unesco en 2009, sur «les industries créatives au Maroc» révèle des chiffres importants. Ainsi, l'activité de l'édition (voir Point de vue) affiche un chiffre d'affaires en 2007 de plus de 3 milliards de DH. Les professionnels du secteur de la musique, eux, ont enregistré en 2005, près de 54 millions de dollars, contribuant ainsi à hauteur de 0,16% du PNB. Quant à l'industrie cinématographique, depuis la création du fonds d'aide à la production cinématographique nationale, l'enveloppe de l'aide a été portée à 6 millions de dollars, partir de l'année 2007. Cinéma, arts plastiques, théâtre... des tops et des flops Des chiffres qui en disent long sur l'évolution des industries culturelles dans notre pays. Pourtant, plusieurs couacs sont à relever quant à la place que réserve l'administration publique à ces industries dans les stratégies de développement économique. Le Maroc, qui se targue aujourd'hui d'avoir une cinématographie bien installée grâce notamment au soutien apporté par l'Etat à cette production, d'être une terre de tournage privilégiée par les grands cinéastes et d'abriter de grands festivals de cinéma comme celui de Marrakech, n'arrive toujours pas à régler le problème des salles de cinéma qui disparaissent l'une après l'autre. Le taux de régression du nombre de salles dans le royaume, entre 1989 et 2007, serait de 67%, avec un taux annuel de 3,7%. «C'est tout à fait normal... Ce qu'il faut développer aujourd'hui, ce sont les complexes cinématographiques et non les petites salles de quartier», ne cesse de confirmer le directeur du CCM, Nour-Eddine Saïl. Par ailleurs, la répartition géographique des salles de cinéma est inéquitable. Casablanca, par exemple, disposait en 2007 de 41 salles soit 26,58% des salles de cinéma au Maroc. D'où la régression enregistrée au niveau du nombre d'entrées. À l'instar du secteur cinématographique, celui des arts plastiques est en train de vivre ses belles années. On parle même de l'installation d'un marché de l'art dont le chiffre annuel des transactions dépasserait, selon Hicham Daoudi, le directeur de Marrakech Art Fair, les 500 millions de dirhams. Les expositions, les ventes aux enchères où l'on réalise parfois des chiffres qui donnent le tournis, le nombre des galeries qui ne cesse de grimper sont là pour nous prouver que les arts plastiques se portent bien. «Un assainissement des pratiques et des rapports entre artistes et galeristes, c'est une condition indispensable pour redonner confiance en un système qui n'obéit aujourd'hui à aucune règle déontologique», expliquent les chercheurs Hassan Elouazzani, Mounya Nejjar et Yahya El Yahyaoui, dans leur livre «Industries culturelles au Maghreb : réalités et perspectives». L'autre secteur culturel important, qui pourrait contribuer au développement de l'économie, n'est autre que le théâtre. Malgré le soutien de l'activité théâtrale par le ministère de la Culture (il consiste à financer 60% du coût de la production théâtrale, sans toutefois dépasser le plafond de 400.000 DH), le secteur n'arrive toujours pas à sortir de sa léthargie. La politique adoptée par le ministère a été en effet critiquée par les professionnels qui estiment qu'elle freine la liberté de la création. Enfin, la musique reste, selon bon nombre de spécialistes, le maillon faible de la chaîne. L'activité du marché fait aujourd'hui face à une situation difficile. Subissant piratage, pertes enregistrées au niveau des cassettes sonores et CD estimées à 282,816 millions de dirhams et absence d'un fonds d'aide, la musique n'arrive toujours pas à jouer son rôle de moteur économique. Bref, le secteur des industries culturelles au Maroc demeure marginal dans l'activité économique du pays. La donne sera-t-elle autre dans quelques années ? À suivre... Interview Victor del Campo, Expert en industries culturelles. «L'Etat doit être le meilleur allié de la culture» Les Echos quotidien : Lors du forum organisé la semaine dernière à Casablanca par votre Fondation Temas de Arte, vous avez parlé des industries culturelles financées par les pouvoirs publics en citant notamment l'exemple de l'Espagne qui a réussi à développer ces industries au fil des années. Qu'en est-il du Maroc ? Victor del Campo : En Espagne, nous sommes en train de réaliser des pas significatifs et importants depuis notamment la mise en place d'une administration publique pour la promotion et le développement des industries culturelles. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Les industries culturelles en Espagne représentent 5 à 6% du PIB, c'est-à-dire une importante source de production de richesse sans oublier les 75.000 postes de travail qu'elles créent directement. Cela ne veut pas dire que nous sommes arrivés à nos fins mais nous sommes toujours au début, espérant convertir les industries culturelles en un pilier fondamental de l'économie non seulement en Espagne mais dans toute l'Europe. Dans le cas concret du Maroc, nous trouvons une topographie culturelle très importante. Nous remarquons évidemment qu'il existe des industries qui vivent de la culture dans votre pays. Concrètement, quelles sont les mesures à prendre pour développer ces industries ? Il est conseillé de voir la culture comme créatrice de richesse qui, appliquée à la réalité marocaine, bénéficierait directement au développement du tourisme de qualité. Elle contribuera également à créer des canaux pour informer mieux du vaste patrimoine marocain en plus de sa conservation. Aussi, d'autres industries culturelles comme le design, l'artisanat ou la gastronomie se développeront si l'on renforce les aides publiques et privées au secteur. Bref, je pense que la culture doit être considérée comme une industrie, méritant les mêmes aides, bénéfices et avantages fiscaux qui s'appliquent à d'autres types d'industries. Par exemple, pour développer le marché de l'art et promouvoir à l'extérieur des créateurs marocains, notamment des grands artistes contemporains, il est nécessaire de changer de politique de droits et promouvoir le flux aussi bien d'entrée comme de sortie des arts. Un bénéficie qui se répercutera directement non seulement sur l'offre culturelle du pays mais aussi sur la richesse du secteur. Des facilités fiscales demeurent donc primordiales pour promouvoir le secteur. Tout à fait. Il faut à mon sens appliquer des politiques de promotion à l'investissement. Exonérations fiscales à des entreprises privées qui contribuent à la conservation du patrimoine et à la modernisation de la culture, réduction des taxes d'importation et d'exportation d'œuvres d'art, taxes spéciales pour la culture et ses agents, création des infrastructures qui permettent d'offrir un service d'information culturelle professionnel et compétitif au touriste et au voyageur et surtout au citoyen marocain en général... sont des actions qui s'avèrent à mon sens impératives. En un mot, l'Etat ne doit pas seulement intervenir, mais soutenir et collaborer avec ces entités qui œuvrent pour la promotion de la culture. L'Etat doit être le meilleur allié de la culture. Point de vue Hassan El Ouazzani, Directeur du livre au ministère de la Culture. Je crois que nous ne disposons pas d'une vraie industrie du livre au Maroc, pour plusieurs raisons. D'abord, le secteur du livre au Maroc semble toujours être conditionné par sa pesanteur historique, marquée, paradoxalement, d'une part par sa dynamique culturelle propre, portant la marque de ses origines historiques profondes, et d'autre part, par le retard enregistré au niveau de l'émergence et de la consécration de ses composantes et de ses structures modernes. Ce retard historique, affectant l'ensemble des composantes de la chaîne de la production du livre, pèse toujours sur sa quête pour une modernisation, de plus en plus dictée par l'évolution des besoins et de la dynamique du secteur. Ensuite, le poids du secteur du livre au Maroc demeure toujours, et à plusieurs égards, marginal par rapport aux autres branches de l'activité économique du pays. Les performances réalisées par la branche «édition et impression», demeurent très en deçà du niveau atteint par les autres branches industrielles. Il y a aussi la contribution des maisons d'édition qui demeure limitée par rapport à celle publiée à compte d'auteur. En effet, la période 2002-2004 a enregistré la contribution de 93 maisons d'édition, avec une production de 913 titres (soit 30, 73 % de la totalité de la production), contre 948 titres (soit 31, 91 %) publiés à compte d'auteur. Quant à la distribution du livre au Maroc, elle demeure toujours le maillon le plus faible de la chaîne. Une telle situation résulte certes de la nature déséquilibrée des structures des réseaux de distribution, mais est aussi le résultat d'une intervention peu coordonnée des acteurs en jeu, ouvrant par là la voie aux pratiques peu conformes de l'auto-distribution. Enfin, il faut souligner que ces défaillances ne sont pas seulement de nature à priver le livre d'une présence honorable à l'étranger, mais sont significatives de l'écart réel et toujours croissant entre les importations et les explorations de ce produit culturel. Le livre étranger se voulant toujours le «plus rentable» et le «moins risqué».