Quelle mouche a donc piqué notre gouvernement ? Nous avons l'impression, depuis que la date des élections a été officiellement arrêtée, que l'équipe au pouvoir ne sait plus où donner de la tête. Entre les ministres qui sont passés en mode stand by, question de profiter paisiblement de leurs derniers moments au gouvernement, et ceux qui s'allient avec l'opposition en préparation d'un retour au pouvoir, qui se fera sur la critique de leur propre bilan, voilà que la confusion qui n'était qu'un secret de Polichinelle, vient de prendre forme dans une des décisions les plus rocambolesques : le projet de la loi de Finances 2012 a été déposé au Parlement, puis retiré quelques heures après. Comment diable peut-on, à ce niveau de responsabilité, prendre des décisions aussi importantes dans la précipitation ? Une loi de Finances n'est pas une mince affaire. C'est un acte politique majeur. Elle met en place toute une politique budgétaire, qui influe sur la conjoncture économique et détermine des choix politiques à tous les niveaux. Pour être franc, jamais les lois de Finances n'ont réellement passionné nos députés. Elles sont souvent votées par une minorité d'élus dont une bonne partie n'assiste pas aux débats et se contente d'appuyer sur le bouton. La loi de Finances, qui décide pourtant du fonctionnement de l'Etat et de sa politique dans tous les domaines, est souvent prise pour un document technique trop ésotérique pour être compris par de simples mortels. Le rôle des politiques est pourtant d'éplucher ce texte, d'en rendre les propositions accessibles aux citoyens, de leur montrer ce qu'il comporte comme promesses et ce qu'il pourrait contenir comme danger. Encore faudrait-il que nos hommes politiques aient une connaissance minimale dans le domaine économique et une opinion précise de leur mission. Les jours à venir risquent de nous montrer que les seuls calculs qu'ils savent faire sont ceux des voix qu'il faudrait recueillir pour être élu, et les dividendes qu'ils engrangeraient grâce à cela. Le Conseil de gouvernement avait décidé, après une longue discussion, de présenter le projet de loi de Finances 2012 devant les députés réunis en session extraordinaire. On pourrait supposer que le gouvernement voulait faire passer dans l'urgence, qui laisse peu de temps à l'analyse et aux critiques, un texte qui pourrait être contesté. La loi de Finances 2012 n'est certainement pas des plus joyeuses. Les contraintes sont multiples. Le gouvernement aurait-il constaté, après coup, que cette loi servirait quand même de cheval de bataille à l'opposition pour le discréditer à la veille des élections ? C'est fort probable, mais il est étonnant que l'équipe n'ait pas pensé à cet élément avant de décider de déposer le texte. L'autre hypothèse est que le gouvernement voulait utiliser électoralement ce texte. Nezha Skalli avait déclaré le 14 de ce mois, que la moitié des budgets de l'Etat sont consacrés aux secteurs sociaux. C'est un argument électoral de poids. El Fassi se serait-il alors rendu compte que cette loi avait également beaucoup de points négatifs, sur lesquels l'opposition ne manquerait pas de s'arrêter ? Sait-on jamais ! Cette histoire peut n'être finalement qu'une manifestation de cette guerre interne, qui oppose les membres d'un gouvernement ayant fait le deuil de la solidarité gouvernementale. Les ministres sont partis en ordre dispersé, à la conquête des positions dans le paysage politique qui se dessinera après le 25 novembre. Le ministre des Finances, leader d'un parti qui a un pied dans le gouvernement et un autre dans l'opposition, n'a semble-t-il pas été mis au courant de la décision du chef du gouvernement de ce retrait, à moins qu'il n'ait feint d'être surpris pour ne pas assumer une telle décision. Si on ne connaissait pas assez notre chef de gouvernement, on aurait cru à une manipulation pour discréditer Mezouar, dont les chances de devenir Premier ministre ne sont pas nulles. Toutefois, avec El Fassi, il nous est plus facile de croire à une bévue qu'à un calcul aussi machiavélique. Quelles que soient les hypothèses, il existe bien une explication officielle, ou plutôt deux, comme il se doit. Même à ce niveau, on se rend compte que le cafouillage est une règle de fonctionnement pour ce gouvernement. Alors que Mezouar présente le retrait comme une prise de conscience tardive du devoir de laisser au prochain gouvernement le choix de ses priorités économiques, le porte-parole du gouvernement parle lui d'un agenda trop chargé comme si cette réalité n'était pas évidente, lors de la tenue du Conseil degouvernement. Ni l'une ni l'autre des deux explications ne semble convaincante. Le gouvernement El Fassi n'aurait pas réellement choqué s'il avait décidé d'assumer ses devoirs jusqu'au bout. Il avait d'ailleurs lui-même hérité en 2007 d'une loi de finances élaborée par le gouvernement Jettou. En tout cas, cette hésitation a d'ores et déjà permis au PJD de monter au créneau et de crier au scandale, demandant la comparution du Premier ministre devant les élus pour «discuter de l'improvisation dans la gestion de la présentation du projet de budget au Parlement». À trop vouloir esquiver les critiques, le gouvernement a fini par tomber dedans.