«Ecrire, c'est aimer, aimer c'est écrire». C'est ce qu'avait noté l'écrivaine belge, Dominique Rolin, dans son «Journal amoureux». À sa manière pleine de délicatesse, Omar Berrada fait sienne cette profession de foi dans l'écriture et l'amour. Un sentiment qu'il a exploré avec acuité dans son premier roman «L'encensoir». Edité par «La Croisée des chemins», ce roman de 130 pages se veut un récit émouvant sur «ces oubliés de la société». Vertigineux aussi, tant dans l'écriture irisée de rêves que dans la construction où se dessine une histoire à la fois simple et complexe, celle d'Ahmed, un quinquagénaire qui n'arrive pas à prendre goût à son mode de vie «barbant», ou plutôt qui ne réussit pas à changer son «sort». Chauffeur dans une usine de filature, Ahmed est enfermé entre un passé peu glorieux et un avenir incertain. Tout au long du livre, il tente tant bien que mal de trouver du plaisir à vivre, mais en vain. Son entourage, ses fréquentations, son statut social (il était cireur de chaussures avant de devenir chauffeur dans une entreprise) font de lui un «marginal» qui n'attend que la mort. Décrit avec amour et grâce, le personnage principal se pose toujours des questions profondes liées au sens même de l'existence. «Si tu es aussi puissant que tu le prétends, pourquoi as-tu échoué à arracher mon père à la mort ?». Ahmed, Fatna et... les autres Dans «L'encensoir», Omar Berrada ne cesse de tourner autour de la table pour nous offrir une savoureuse et cruelle galerie de portraits. Voici Fatna, épouse d'Ahmed qui lui rend la vie dure... «Que dis-je ? Depuis que ma mégère a des gosses, elle ne pense qu'à eux. Je suis devenu une quantité négligeable au profit de mes propres enfants». Voici Haj Omar, cet agent immobilier qui a tiré Ahmed et Fatna d'une mauvaise passe en leur louant une chambre dans son immeuble à un prix raisonnable. Au lieu d'être reconnaissant envers Haj Omar, Ahmed éprouve une haine particulière. «Notre homme soupçonnait Fatna de le tromper avec le propriétaire de la maison. Le doute lui empestait la vie. Ce qu'il ressentait n'était pas de la jalousie, mais un sentiment plus mauvais, semblable au venin d'un serpent qui s'infiltrait dans ses veines, parcourait tout son corps, en empruntant sa circulation sanguine». Quant à Zouzou, une prostituée dans un bordel du mellah qu'Ahmed fréquentait régulièrement, c'est la seule belle chose qui lui soit arrivée durant toute sa vie. Des personnages attachants qui permettent au roman de prendre une dimension «percutante» dès les premières pages. «Je ne suis ni maître ni élève»: Omar Berrada, écrivain Les Echos quotidien : Pourquoi le choix de «L'encensoir» comme titre de votre premier roman ? Omar Berrada : Outre l'histoire d'Ahmed, le livre nous révèle une trame de fond beaucoup plus complexe. C'est l'hypocrisie qui caractérise notre société marocaine. Le tout entouré d'un halo de fumée. Un homme mené par le bout du nez par sa femme, par exemple, est toujours qualifié d'ensorcelé par des encens. «L'encensoir» est donc cet objet omniprésent auquel recourent les gens crédules. Vous avez fait du monde misérable de vos personnages le vôtre. Comment cela s'est-il réalisé ? J'ai pris des vacances de six mois pour pouvoir écrire ce livre. Je suis allée à la rencontre de ces gens afin justement de découvrir leur monde et leur misère. D'ailleurs, le café Al Ghazala existe réellement. Toutefois, je n'ai précisé ni la date ni le lieu de l'histoire, puisqu'elle peut se passer dans n'importe quelle ville marocaine. Pourquoi avez-vous décidé d'écrire à ce moment bien précis ? Si j'avais écrit il y a 20 ans, j'aurais certainement pondu un livre autobiographique alors que j'ai horreur de parler de moi-même. Chacun de nous est spectateur de la société dans laquelle il vit. Partant de ce fait, je me suis dit qu'il fallait que j'apporte moi aussi mon petit grain en écrivant un livre. Cela a mis du temps, mais je suis ravi de passer du stade de la lecture à celui de l'écriture. Quel est le message que souhaitez passer à travers ce roman ? Je ne veux passer aucun message ni donner de leçons. Je ne suis ni maître, ni élève. J'ai écrit ce livre pour me faire plaisir et faire plaisir à mes lecteurs. Et puis c'était un challenge pour moi d'écrire ce roman, qui a été finalement retenu parmi dix livres pour le 2e Prix de la Mamounia qui sera célébré le 2 novembre prochain.