Il sort un disque intitulé «Jdid» qui n'a rien à voir avec la musique gnaoua, comme pour se détacher un peu d'une culture qui lui colle à la peau depuis l'âge de 4 ans. Qui mieux que Karim Ziad, ce batteur virtuose, ce grand musicien passionné, pour gérer le volet artistique du festival Gnaoua ? Le résultat s'en ressent: pas de strass ni de paillettes, que de la vraie bonne musique. Grâce à lui, les murs d'Essaouira ont des oreilles...musicales ! Humble et souriant, que ce soit à la vie ou à la scène, Karim Ziad apporte tout son talent, ses contacts et surtout sa passion pour les gnaoua à un festival qui lui ressemble, et ce depuis 2001. Directeur artistique du festival Gnaoua mais surtout batteur et chanteur, il se glisse souvent sur scène pour les fusions. Qui de mieux que lui pour suivre le rythme de cette musique-transe, prévue à la base pour les tambours et les «qraqeb»? «C'est grâce aux gnaoua que je suis devenu batteur. J'ai ressenti des infrabasses entrer dans mon corps, la première fois que j'ai entendu les tambours. La batterie est faite de tambours. Les «qraqeb» sont l'équivalent du charleston Mon premier disque est un disque de fusion avec les gnaoua. Je ne connaissais pas encore le festival, mais je connaissais bien les gnaoua. L'équipe du festival a écouté mon travail, et elle trouvait intéressant que je les aide dans leur démarche», explique le musicien polyvalent sur scène, capable de suivre les musiciens, de proposer, de parler, de rire et même chanter en même temps. Une aisance expliquée par le fait qu'il commence la batterie très tôt, quand son père lui offre «le cadeau du siècle» à 6 ans, son instrument fétiche. Mais c'est à l'âge de 12 ans qu'il fait la rencontre d'un batteur par le plus grand des hasards dans un centre culturel, qui lui donnera les premiers exercices d'indépendance. Tout commence alors... «Lors de ma première rencontre avec les gnaoua, j'avais 4 ans. J'étais chez ma grand-mère dans un quartier populaire, «Belcourt», et les gnaoua venaient avec leurs tambours, demandaient l'aumône et c'était une façon également de faire du bien aux femmes qui ne pouvaient pas sortir de chez elles. Les gnaoua venaient dans les cages d'escalier et les femmes pouvaient entrer en transe sans que personne ne les voit. J'ai entendu les tambours arriver, je suis sorti dans la cour les écouter, j'ai ressenti une émotion tellement forte qu'elle est encore là 44 ans après». Et 44 ans après, Karim Ziad défend avec la même ardeur sa musique de prédilection. Aujourd'hui, en cette 17e édition, il est fier du résultat même si la peur de ne pas faire mieux que les éditions précédentes était présente. «Je trouve que c'est une édition réussie! Je suis très content, surtout que ce n'était pas évident. Avec les examens du bac, la Coupe du monde, pour ne prendre que l'aspect organisationnel. Pour le volet musical, c'était encore plus riche, et cette édition va porter ses fruits. Le meilleur exemple est celui de Marcus Miller qui ne connaissait pas cette musique; ébloui par le jeu de Mâalem Baqbou, il a décidé d'enregistrer avec lui au mois de juillet. Juste pour cela, on peut dire que l'on a réussi notre coup. Le but du festival est de faire connaître la musique gnaoua dans le monde entier! Et c'est ce que va faire Marcus Miller en enregistrant ce disque qui va faire le tour du monde, la moitié de la planète va la découvir». Une belle surprise pour ces musiciens longtemps dénigrés. «Le festival a donné un statut aux musiciens gnaoua, une sécurité sociale et leur métier est reconnu en tant que tel. C'est énorme, sachant qu'il y a quelques années, ils étaient en marge de la société et étaient considérés par la plupart comme des charlatans. Le festival a joué un grand rôle, il a réhabilité cette musique qui n'était pas la bienvenue. Je suis votre voisin; en Algérie, il y a les gnaoua aussi et nous avons vécu la même chose». Mais aujourd'hui, grâce au festival, les choses ont changé. Aujourd'hui, un Ibrahim Maâlouf, un Didier Lockwood ou un Marcus Miller demandent à jouer avec ces mâalems. Une belle revanche qui peut faire espérer plus qu'une simple reconnaissance. «Je ne suis pas forcément d'accord avec les appellations gnaoua-reggae, gnaoua-jazz. En partant d'un son et d'un autre son, il ne faut pas qu'on arrive à deux sons mais à un seul. C'est cela, une fusion réussie. Ce que l'on voudrait faire, c'est aboutir à un son nouveau, comme l'a fait un certain grand musicien, qui a sorti sa musique traditionnelle de son pays, l'a mariée aux instruments modernes, ce qui a donné le reggae. Je parle bien sûr de Bob Marley, mais aussi de Peter Tosh. Peut-être que l'on aura un jour un Marley gnaoui qui va imposer ces rythmes dans le monde entier. Peut-être qu'il chantera en anglais. En France, dans le monde, les gens commencent à reconnaître cette musique...». Rien n'est impossible pour Essaouira, l'histoire l'a bien prouvé !