«Le statut avancé, c'est finalement pour avancer vers quoi ?». Voilà, en substance, la question récemment posée par le parlementaire Faouzi Chaâbi à l'ambassadeur français Bruno Joubert, lors d'une conférence tenue à Casablanca sur les relations franco-marocaines et les perspectives du statut avancé. Une question qui avait tout son sens, alors que plusieurs années après la signature de ce «partenariat privilégié» accordé au Maroc, premier pays du sud de la méditerranée à en bénéficier, les Marocains restent assez pessimistes quant à son réel impact sur l'économie nationale. La question est désormais devenue plus criante, au lendemain des tribulations qu'ont connues, la semaine dernière, les négociations sur l'accord agricole dont le Maroc attendait beaucoup mais qui a reçu un avis défavorable de la part de la Commission agricole du Parlement européen. À l'évidence, la ratification de cet accord, dont le processus était engagé depuis plusieurs années avec la signature, en février dernier, d'un protocole d'entente entre les deux parties, connaît des difficultés. En clair, la relative victoire, à mi-temps, que connaissent les lobbies européens, principalement espagnols, a mis à nu le rapport de forces inégal entre le Maroc et l'Union européenne, lorsque les intérêts stratégiques de cette dernière sont en jeu. Même si l'optimisme reste encore de mise quant à l'aboutissement du processus d'ici la session plénière du Parlement européen en octobre prochain, comme le laisse espérer le chef de la délégation de l'Union européenne à Rabat Eneko Landaburu, de sérieuses inquiétudes commencent à pointer à l'horizon sur les réelles perspectives qu'offre le statut avancé. Cela tout en sachant qu'il s'agit d'un partenariat censé se baser sur le principe du win-win (lesechos.ma). Aujourd'hui, bon nombre d'observateurs estiment que ce retard sur la ratification de l'accord agricole, perçu comme une sérieuse douche froide, n'est que la partie visible de l'iceberg ! L'Europe, qui peine encore à se relever de la récession économique de 2008 et qui fait face à de nouvelles turbulences financières avec la crise qui affecte la zone euro, a-t-elle véritablement les moyens de ses ambitions ? Telle est la question qui se pose actuellement par rapport à la Politique européenne de voisinage (PEV). Et selon certains experts, la réponse est négative, au regard des tensions nées lors de ces négociations, relevant un caractère «assez protectionniste», et mises en avant pour justifier l'avis défavorable émis par la Commission agricole. Selon les 24 membres de cette instance, dont la majorité s'est alignée sur le rapport présenté par un parti italien, le MEP, «les conséquences négatives qu'engendraient l'accord agricole sur le secteur agricole des pays de l'ouest» plaident pour l'abandon des négociations. Or, dans le même temps, l'accord de pêche, sur lequel la balance penche en défaveur du royaume, a été reconduit, et les négociations sur les autres aspects (commerce et service, libéralisation...) se déroulent sous de bons auspices. Faux calculs européens Ce fâcheux épisode des négociations sur l'accord agricole a permis de dévoiler au grand jour les dessous du partenariat Maroc-UE et d'en tirer des leçons... Les arguments fallacieux mis en avant par la Commission agricole du Parlement européen ne tiennent en aucun cas la route, comme l'a démontré le ministre marocain de l'Agriculture lors de son passage devant la Commission du commerce international. La renégociation de l'accord, pour prendre en compte différentes clauses portant sur l'adoption des prix d'entrée des produits marocains sur le marché communautaire ainsi que sur des aspects environnementaux que plaide le rapport du MEP, rejoint, au final, les inquiétudes que ne cessent de manifester les agriculteurs espagnols qui crient à la concurrence déloyale de la part des produits marocains. Or, selon Aziz Akhannouch, la part de marché des fruits et légumes en provenance du Maroc ne représentait que 2,5% de la marchandise agricole sur les marchés européens. D'ailleurs, 16% des exportations marocaines de fruits et légumes sur l'Europe se font par des entreprises européennes installées sur le territoire national, comme le fait remarquer l'économiste Jawad Kerdoudi, président de l'Institut marocain des relations internationales (IMRI). Selon le dossier marocain, l'arrivée des produits marocains s'inscrit dans une logique de complémentarité pour les produits et même pour le calendrier de production, ce qui, du coup, est loin de constituer une menace pour les marchés européens. De plus, la libéralisation des exportations marocaines des produits agricoles, qui constitue le socle de l'accord ajouté aux objectifs du Plan Maroc Vert, «contribuera à accentuer les exportations et les investissements européens vers le Maroc (produits de traitement, intrants, machines agricoles)». Ces faits remettent en cause les prétextes fallacieux mis en avant pour justifier «l'incompatibilité des produits agricoles en provenance du Maroc avec les normes sanitaires de sécurité alimentaire et de protection de l'environnement en vigueur dans l'Union européenne». Le simple fait que la balance alimentaire du Maroc vis-à-vis de l'UE soit déficitaire de près d'un milliard de DH illustre l'ampleur du déséquilibre sur lequel roule jusque-là le partenariat Maroc-UE. Mais dans une Europe à la croisée des chemins, le royaume a-t-il des chances de renverser la tendance dans ce qui ressemble à une course pour la protection des intérêts européens ? L'Europe en crise C'est une réalité qui défraie quotidiennement la chronique. La zone euro est en crise, une crise sans précédent qui risque d'affecter la stabilité financière, économique et politique de l'Europe. En cause, la situation au niveau des cinq pays jugés fragiles de la zone euro que sont le Portugal, l'Irlande, la Grèce, l'Espagne et l'Italie (les PIGGS). Si, pour le moment, c'est en Grèce que la tension est des plus aiguës, la situation est également assez inquiétante en Espagne et en Italie, deux pays qui font le plus office d'obstacles majeurs à l'entrée du Maroc sur le marché européen, principalement sur les produits agricoles. Avec un taux de chômage de 18,8 % de la population active, une contraction du PIB de 0,4 % selon le FMI et - 0,3 % selon les prévisions du gouvernement, l'Espagne offre cette année un bien sombre tableau. Cette tendance caractérisant le pays depuis la crise de 2008, a frappé de plein fouet le pays et a fait dégrader les comptes publics qui planchaient autour de 11% du PIB en 2009 et 9% en 2010. Ce n'est pas le plan d'austérité assez contesté par les espagnols qui permettra au royaume ibérique de ramener son déficit à 6% en 2011 pour enfin le ramener d'ici quelques années à 3 %, le seuil de référence des critères européens. La situation en Italie, qui vient également d'adopter un train de mesures d'austérité visant à sauvegarder son économie, n'est guère plus reluisante. À la croisée des chemins, l'Europe, qui fait face actuellement à une sérieuse crise de gouvernance tant les divergences sont criardes entre les options mises en avant pour une sortie de crise, ne saurait raisonnablement et efficacement concrétiser les objectifs stratégiques contenus dans sa nouvelle politique de voisinage dont le Maroc espère pourtant profiter largement. Repenser le statut-avancé Aujourd'hui, la grande incompréhension est liée au fait que le statut stratégique dont jouit le Maroc dans le cadre du statut avancé ne profite en rien au royaume. Sinon, comment comprendre la lenteur des négociations sur l'accord agricole alors que dans d'autres domaines, elles passent comme une lettre à la poste. Beaucoup d'observateurs estiment que le Maroc est en train de jouer une partie perdue d'avance au regard des conditions draconiennes à l'aune desquelles sont agencées certaines mesures d'accès des produits marocains aux marchés européens. La première sonnette d'alarme a d'ailleurs été tirée en 2010 sur les perspectives d'un accord de libéralisation du commerce et des services avec la tentative, fort heureusement avortée, de la France sur les sociétés externalisées de services clientèles, les fameux centres d'appels, et où le Maroc jouait également gros. Pour le professeur Najib Akesbi, professeur à l'IAV Hassan II de Rabat et spécialiste de la question, «on est très loin, en effet, du marché unique et sans restriction qui intéresse le Maroc». Du coup, certains observateurs estiment injustes et injustifiées les positions volatiles de l'UE à chaque fois que «ses intérêts sont menacés», surtout que le Maroc ne cesse de fournir des efforts pour se conformer à la feuille de route fixée dans le cadre du statut avancé. Les multiples satisfecits des institutions européennes par rapport aux réformes politiques, économiques et sociales que mène le Maroc, en conformité avec les points de convergence, auraient dû être des leviers pour une intégration plus rapide du Maroc au marché européen. C'est pour cette raison que Jawad Kerdoudi estime qu'il serait incompréhensible et injuste que le Parlement européen ne ratifie pas l'Accord agricole au mois d'octobre prochain, alors qu'il a, de son côté, accepté de faire des concessions sur la libéralisation des importations des produits industriels européens, ce qui équivaut parfois à «sacrifier une partie de son industrie». Ce qui est sûr, c'est que l'échec des négociations sur l'accord agricole risquerait de vider le statut avancé de toute son essence. Le secteur agricole est, en effet, l'un des leviers sur lesquels le Maroc entend dynamiser son économie. Le secteur agricole joue un rôle important dans l'économie marocaine dont il représente 15 à 20% du PIB, offre 5 millions d'emplois, alors que 45% de la population vit dans des zones rurales. Sans occulter les efforts que le Maroc doit mettre en œuvre pour affiner sa stratégie destinée à gagner la confiance des européens et qui s'adapte au contexte actuel, il serait temps que l'Union européenne envoie un signal fort à son partenaire afin que l'avenir du statut avancé ne soit pas hypothéqué. Une issue vers laquelle on s'achemine actuellement et qui donne l'impression, comme le fait remarquer Akesbi, que le «statut-avancé» n'est au final qu'une carotte, une illusion destinée à calmer le Maroc. On est donc loin du partenariat gagnant-gagnant qui est l'essence de la volonté du Maroc de s'aligner aux normes européennes. Point de vue: Najib Akesbi, Professeur à l'IAV de Rabat et auteur de l'ouvrage «L'agriculture marocaine à l'épreuve de la libéralisation» Nous sommes en plein jeu de lobbys et dans un rapport de force en défaveur du Maroc. Aujourd'hui, nous assistons à une inversion de rôles puisque nous sommes aux antipodes du contexte d'il y a une décennie, où ce sont les Européens qui viennent nous supplier de conclure des accords sans conditions parce que le rapport de force leur était défavorable. Le Maroc a consenti d'énormes concessions espérant bénéficier de conditions avantageuses, mais jusque-là, les Marocains n'ont rien obtenu de substantiel et c'est même au niveau des produits que le royaume est plus compétitif et dispose d'un potentiel de développement national et local, que les accords sont toujours assortis de conditions. Nous sommes loin du marché unique, car ce qui est important pour nous c'est la levée de toutes les restrictions, de toutes les barrières non tarifaires et de tout calendrier. Nous jouons à armes inégales car quelles que soient les réformes que nous menons, l'Union européenne pourrait les considérer comme insuffisantes et dire que le statut avancé est un processus, surtout quand les intérêts des Européens sont en jeu. Et à mon avis, c'est le résultat d'une mauvaise gestion du dossier depuis le début. Le gouvernement n'a pas joué la transparence pour mobiliser l'opinion nationale et ainsi utiliser l'information comme moyen de négociations comme ce qui se passe de l'autre côté. Ensuite, nous sommes dans une séquence inversée puisque contrairement à toutes les expériences d'intégrations réussies au niveau international, on stabilise d'abord le marché intérieur avant de s'ouvrir à l'extérieur. Au Maroc, nous avons fait exactement le contraire.