Le 13 juillet dernier, au Parlement européen, le Maroc a essuyé un sérieux revers. La Commission à l'Agriculture a voté contre la signature de l'accord agricole permettant le libre accès aux produits marocains sur le marché européen et vice-versa. Pour Najib Akesbi, économiste à l'Institut Agronomique et Vétérinaire (IAV) et auteur de l'ouvrage L'agriculture marocaine à l'épreuve de la libéralisation, il ne fait aucun doute que l'accord sera voté en octobre lors de la séance plénière car «les Européens gagneraient aussi à ce que l'accord soit signé. Ils sont juste en train de faire monter la pression, par ce qu'ils trouvent devant eux des négociateurs imbéciles»! Les clés pour mieux comprendre le bras de fer entre le Maroc et l'UE autour de l'accord agricole. Comment le Maroc est devenu quémandeur à l'UE «Ce qui nous plombe le plus est la manière avec laquelle les négociateurs marocains gèrent ce dossier. Ils n'impliquent personne. Ils vont seuls face aux Européens», nous confie un exportateur et membre de l'Association marocaine des producteurs des fruits et légumes (APEFEL). Même son de cloche chez N. Akesbi, «Ce gouvernement a réalisé la prouesse de faire muter le Maroc d'une position où il était offreur à une situation où il est quémandeur», constate-t-il. Selon ce chercheur universitaire, « Jusqu'à la fin des années 90, c'est l'Europe qui suppliait le Maroc de signer l'accord de pêche. Le royaume faisait la fine bouche et avançait l'argument de la protection de sa ressource naturelle. En dix ans, la situation a complètement changé, le Maroc est en train de supplier l'Europe pour signer cet accord ». Le jour où le Maroc a perdu «la bataille de la tomate» à Marrakech Avril 1994, le Maroc accueille le sommet du GATT. La naissance de l'OMC signe la fin des barrières non tarifaires qui constituent le principal obstacle aux produits marocains sur le marché européen. Sauf que dès 1993, les agriculteurs espagnols mobilisent un lobby important pour inclure dans le régime d'exception européen les produits où le Maroc lui fait de la concurrence direct, c'est-à-dire, la tomate et les agrumes. Résultat, l'accord est vidé de sa substance, en faveur de l'Espagne. Les protections non tarifaires, l'Espagne y tient mordicus «Si j'étais à la place des négociateurs marocains, j'aurai demandé que l'Europe ne donne pas d'argent en contrepartie de l'accord de pêche mais qu'elle supprime les barrières non tarifaires», souhaite ce membre de l'APEFEL, interrogé par Lakome. Depuis 1995, la suppression de ces protections constitue la revendication majeure du Maroc. «L'accès de nos produits agricoles sur le marché de l'UE, n'a jamais été un problème de douane», rappelle N. Akesbi. L'exportateur marocain souffre de l'existence du contingent (quotas pour l'export), du calendrier des exportations (d'octobre à mai pour les tomates), le prix minimum d'entrée et les normes sanitaires et de qualité. Pour le chercheur à l'IAV, «un exportateur marocain est prêt à payer même 20% de droits de douane mais ce qui l'inquiète le plus ce sont les protections non tarifaires». Dix-sept après le GATT, le Maroc continue à ouvrir son marché face aux produits européens, alors les Marocains n'ont pas obtenu l'abolition des protections non tarifaires pour exporter leur produits en Europe. Les Domaines royaux et la crise, des prétextes Les lobbys espagnols ne cesse de véhiculer l'idée que le principal agriculteur qui profiterait de ces accords serait le roi Mohammed VI, à travers ses Domaines royaux. Si le premier agriculteur au Maroc est certes le roi, l'argument ne tient pas selon N. Akesbi. «Les domaines royaux ont une grande partie des exportations, mais il n'y a pas que des grands exportateurs au Maroc, il y aussi les petits agriculteurs à travers les coopératives», nuance-t-il. Et d'ajouter, «Savoir qui exporte à partir du Maroc est notre affaire interne. C'est un prétexte pour maintenir leurs protections qui sont inacceptables». L'autre prétexte invoqué par les milieux comme par certains médias marocains, c'est celui de la crise économique qui frappe notre voisin du nord. «La crise touche l'immobilier, le tourisme, les services mais pas l'agriculture, surtout d'exportation», avance N. Akesbi. Les 3% du Maroc qui dérangent «Que cet accord soit signé ou pas, nous ne comptons plus sur l'Europe», affirme un membre de l'APEFEL. Le marché européen recevait 70% de nos produits dans les années 60-70, aujourd'hui ce marché ne pèse que 20% de nos exportations agricoles. Les nouveaux marchés du Maroc sont la Russie, le Canada et les USA. Un autre chiffre : la part de marché du produit marocain dans la zone Euro ne dépasse pas les 3%, les 220 000 tonnes de tomates compris. «Ces quantités ne vont pas bouleverser ce marché. On peut gêner les Espagnols ponctuellement durant la haute saison car notre produit est à un prix égal mais à une qualité meilleure», analyse N. Akesbi. Pour notre membre de l'APEFEL, le Maroc est face à un dilemme, «le Plan Maroc Vert vise à augmenter la production mais d'un autre côté le marché d'exportation se ferme de plus en plus. Les quantités allouées par les contingents sont tellement minimes pour le producteur marocain. Cela nous pose un problème qui dure depuis 20 ans». L'Europe gagnante dans l'export et l'import ! Deux données importantes semblent être négligées par les responsables marocains dans ce dossier. Primo, cet accord profite à plusieurs pays européens. Ces pays exportent au Maroc le blé, les produits laitiers, les viandes et l'ensemble des produits alimentaires transformés. D'ailleurs l'EU dispose d'un contingent de blé tendre avec des droits de douane préférentiel. Cet accord permettra de faire baisser ces droits, qui demeurent élevés, sur le reste des produits européens. La nature de cet échange comporte une dimension stratégique de sécurité alimentaire. «L'Europe nous exporte le plat de résistance, qui est le blé. Le Maroc lui exporte la salade et le dessert. Il y a un rapport stratégique dans cet échange. On n'est pas dépendant de la tomate ou des fruits comme on est dépendant du blé», compare N. Akesbi. Deuxio, l'Espagne profite indirectement de l'export de produits marocain vers l'Europe grâce à ses importantes entreprises agricoles installées dans le Souss. Ces agriculteurs se trouvent en opposition avec leurs compatriotes. Si le Maroc, pouvait mettre en avant ces éléments dans la balance de la négociation ? «Nos gouvernants ne comprennent pas encore que l'information dans ce genre de négociations est une arme importante», regrette N. Akesbi. Le black out des technocrates nuit au Maroc Alors que les lobbys agricole en Espagne mobilisent l'opinion publique et les médias. Les Marocains ont appris avec stupeur le rejet par la commission de l'Agriculture de l'EU de l'accord. «Les technocrates qui gèrent ce dossier au Maroc méprisent l'opinion publique et les professionnels du secteur n'ont pas droit au chapitre», soutient N. Akesbi. Et d'ajouter : «Actuellement, l'opinion publique est maintenu dans l'ignorance. Akhannouch va tout seul et se fait tout petit devant les Européens. Hélas, nos gouvernants se font rien pour améliorer leur rapport de force dans cette négociation». Le cirque médiatique orchestré en Espagne fait du Maroc un grand gagnant de cet accord, alors que c'est le contraire. «L'image du paysan espagnol qui va être laminé par l'agriculteur marocain est complètement fausse. Au final, l'addition de pratiques non démocratiques et le manque de transparence nuisent aux intérêts marocains dans cette négociation», conclut N. Akesbi.