Certes, la finance islamique est forte de sa conformité à la charia et cela n'est pas sans intérêt, ni sans effet pour la quasi-majorité des populations musulmanes, notamment au Maroc. Mais au-delà de cet label «Halal», quel apport économique pourrait avoir l'adoption de cette nouvelle industrie pour un pays, un établissement financier ou encore un client particulier ou corporate ? Y a-t-il un sens économique derrière les principales interdictions «chariatiques», à savoir : intérêts, garantie du profit et/ou du capital, titrisation de la dette, asymétrie d'information et manque de transparence, spéculation et transfert du risque, échanges fictifs et intangibilité des actifs, monopole, thésaurisation ou encore des activités immorales, non éthiques ou non utiles à la société. Ces garde-fous imposés par la charia ont-ils des apports positifs sur le système financier, l'économie et la société ? Sur un plan macro-économique, une première importante précision mérite d'être soulignée : le mode participatif des financements islamiques est non inflationniste, de par son non recours aux intérêts, permettant ainsi une meilleure stabilité des prix et une protection du pouvoir d'achat des consommateurs. Aussi le principe de mérite de gain et de partage des profits est de nature à assurer une meilleure répartition des richesses et donc un meilleur roulement économique. Raison pour laquelle l'économiste John Maynard Keynes avait démontré, dans sa théorie d'équilibre, que le plein emploi requiert inévitablement un taux d'intérêt de zéro. Toujours sur le même registre, la tangibilité des actifs financés, exigée par la charia, favorise directement la croissance durable de l'économie réelle. De même le découragement de la thésaurisation et de la rente à travers la zakat, incite implicitement à l'investissement et donc à la création d'emplois. Par rapport au système financier, la finance islamique offre une réelle diversification aussi bien des modes de financement par la dette -adossée à un sous-jacent tangible- (Mourabaha, Salam, Istisnaa) ou financements participatifs (Mousharaka, Moudaraba), que des ressources financières à travers les Sukuk, les fonds d'investissements, les OPCVM et les indices boursiers «Sharia compliant», offrant d'importantes possibilités de levée de fonds à l'international et surtout d'attraction de capitaux moyen-orientaux et asiatiques, ainsi que la bancarisation, le taux d'équipement et surtout la mobilisation d'une épargne intérieure échappant au circuit économique, d'une tranche conséquente de population, refusant par conviction religieuse d'alimenter volontairement la sphère conventionnelle. Quant à la stabilité du système financier et de l'avis des 2 prix Nobel Mauris Allais et Joseph Stiglitz, ainsi que de Christine Lagarde, directrice du FMI, la fiabilité et la moralité des fondamentaux de la finance islamique apportent les réponses à la problématique des crises systémiques récurrentes du système financier conventionnel et leurs effets néfastes sur le plan économique et social. Et si nous observons, sur un plan microéconomique le comportement des institutions financières islamiques, à travers le monde et surtout au Moyen-Orient et en Asie pacifique, nous constatons incontestablement une forte résistance aux crises financières ainsi qu'un niveau de rendement et de croissance plus intéressants, ce qui a ouvert l'appétit à plus de 675 banques conventionnelles, dans 72 pays, à commercialiser les produits islamiques dont plus de 200 ont créé leurs propres «islamic windows» et 175 ont créé des filiales islamiques dédiés. Certaines même, et par pragmatisme financier, se sont complètement converties en banques islamiques. Du côté des entreprises et au-delà d'un choix de conviction religieuse des promoteurs, qu'est-ce qui peut économiquement motiver le choix de solutions financières islamiques ? D'abord les banques islamiques sont plus des partenaires que des intermédiaires financiers. De ce fait, la priorité est plus donnée aux meilleurs projets plutôt qu'aux plus solides garanties physiques et aux plus larges surfaces financières des promoteurs. Ainsi la solidité financière de l'entreprise se voit renforcée par davantage de fonds propres plutôt qu'un endettement aussi bien au niveau du haut que du bas du bilan. Aussi l'entreprise profite pleinement de l'expertise du partenaire financier parfaitement impliqué par l'engagement réel de ses fonds. Cela rassure l'entreprise de la continuité de l'appui financier, surtout dans les moments difficiles où un simple prêteur classique aurait plutôt tendance à l'accabler par des majorations et même d'éventuelles cessations de paiement, faisant précipiter parfois l'arrêt d'activité d'une entreprise, suivie souvent d'une mise en jeux des garanties pour récupérer le capital et même les intérêts, en dépit de la faillite de l'affaire. En effet, le partage des pertes est une autre manière de gestion de risque par mutualisation plutôt que par transfert, basé sur un jeu à somme nul, où le gain de l'un suppose inéluctablement la perte de l'autre. En n'oubliant pas également, qu'à travers le mode participatif, l'absence des charges financières permet à l'entreprise une meilleure compétitivité prix des produits et donc de larges possibilités commerciales, dopées en sus par un marketing islamique favorisant un fort capital sympathie de la marque. Pour un client particulier et au-delà de la paix de l'âme que lui procure le choix d'une institution financière islamique, son intérêt économique n'est pas en reste. En effet les modes de financements islamiques sont plus clairs et plus équitables. Fixant à l'avance la marge de profit de la banque sans aucune majoration possible suite à d'éventuelles difficultés financières du client. Même en frais bancaires, aucune date de valeur n'est appliquée. Et au niveau des contrats de produits et services, un niveau très élevé de transparence et de consentement est exigée par les instances de gouvernance chariatique de chaque établissement financier islamique hissant au plus haut la préservation des droits des consommateurs. En Assurance islamique, dite Takaful, les clients sont à la fois assureurs et assurés. Ainsi les primes d'assurance reviennent au fonds collectif appartenant aux clients plutôt qu'à la Compagnie d'assurance, qui ne s'occupe que de la gestion administrative et financière du fonds. Ce qui rend la relation client-assureur loin de tout conflit d'intérêt contractuel où le remboursement d'un sinistre constitue un manque à gagner pour l'assureur. D'ailleurs, si 40% des clients de la finance islamique en Malaisie par exemple, sont des non-musulmans, cela prouve bien qu'il y a une supériorité produit qui va au-delà de la conformité à la charia, affirmant ainsi l'intérêt économique et commercial de cette nouvelle industrie. Par ailleurs, la microfinance islamique présente une autre illustration de la fiabilité du système financier islamique sur un plan à la fois économique et social. Elle ouvre, en effet, largement les portes de l'inclusion financière et de l'émergence d'une nouvelle classe moyenne, à l'image des heureuses expériences d'Indonésie, du Pakistan et même du Soudan. Enfin sur un plan purement social et à travers l'activation du rôle des banques islamiques dans la gestion de la zakat et du waqf, un solide filet social est tissé autour de la sphère financière, allégeant ainsi l'Etat d'un lourd fardeau budgétaire en matière d'aide sociale, d'enseignement ou de santé. Khalil Labniouri Chercheur et expert en banque islamique