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Entretien : Go pour les produits islamiques !
Publié dans Finances news le 15 - 02 - 2007

* Dans quelques semaines, le Comité des établissements de crédit tiendra sa réunion. Il devra donner enfin son aval pour le lancement officiel des produits bancaires islamiques conformes à la chariâa.
* Ces nouveaux produits auront certainement un impact positif sur le taux de bancarisation (24%) qui reste au demeurant faible.
* Un tour d’horizon avec Abdelmajid Benjelloun, consultant en banque et entreprise et ancien Directeur Général d’une banque islamique en Guinée.
Finances News Hebdo : Dans un premier temps, pouvez-vous nous définir un crédit bancaire islamique ?
Abdelmajid Benjelloun : Ce qui différencie le produit islamique des autres produits conventionnels, c’est que l’intérêt est proscrit dans les produits islamiques, lesquels encouragent la participation aux bénéfices et aux pertes dans les investissements. Les principes de la chariâa condament la thésaurisation pour collecter l’épargne et la canaliser vers l’investissement productif, tout en valorisant le travail.
La théorie islamique encourage ainsi la participation plutôt que de prendre des intérêts à l’avance sans connaître les résultats de l’entreprise; ce qui n’est pas très équitable. Tout profit doit avoir un objet non interdit par l’Islam et dans tous les cas de figure une contrepartie. Toute augmentation de capital qui ne provient pas du travail et qui n’est pas soumise aux conditions posées par l’Islam en matière d’investissement, est considérée par le droit musulman comme illicite.
Contrairement à ce qu’on peut penser, les produits islamiques ne sont pas uniquement réservés aux Musulmans. Un non-Musulman peut utiliser des produits islamiques. Par contre, un Musulman qui veut respecter à 100% la chariâa ne doit pas utiliser de produits non islamiques.
Les ressources confiées à la banque peuvent faire l’objet de plusieurs emplois : le financement Mourabaha est une opération dans laquelle la banque finance l’acquisition par un client d’une marchandise, d’un équipement ou de tout autre bien, celui-ci étant acheté par la banque et aussitôt revendu au client avec une marge bénéficiaire. La marge bénéficiaire peut être soit forfaitaire, soit un pourcentage du coût de la marchandise. Cette marge ne peut être augmentée même si la livraison de la marchandise a pris du retard à cause du paiement par le client.
Le financement «Mousharaka» est un véritable partenariat entre la banque et son client en vue d’une opération commerciale ou d’investissement. Chacune des parties concourt au financement selon une quote-part convenue. Les profits ou les pertes sont répartis entre le client et la banque dans des proportions arrêtées à l’avance.
Le financement «Moudharaba» est le financement par la banque d’un projet dans lequel le client n’apporte que son know-how, son expertise, son savoir-faire professionnel. Tout le capital financier est apporté par la banque. Les résultats de l’opération, s’ils sont bénéficiaires, sont répartis entre les partenaires ( la banque et son client) sur une base convenue à l’’avance. En cas de perte, le client perd le fruit de ses efforts de management tandis que toute la perte financière est supportée par le bailleur de fonds.
Et le financement «Ijara» est celui dans lequel la banque acquiert un bien qu’elle met à la disposition du client, à charge pour lui de payer un loyer convenu. Il existe une autre forme d’Ijara, l’Ijara wa iktina ou location-vente par laquelle la banque met à la disposition du client un bien sous forme de location-vente.
F.N.H. : Depuis quelques années, des banques islamiques ont manifesté leur intérêt pour le Maroc. La dernière en date a été celle de la Banque Internationale du Qatar. A votre avis, quelles sont les principales raisons ayant motivé le niet des autorités monétaires ?
A. B. : Pour le niet, je ne partage pas votre avis. En effet, dans les années 80, DMI, dont le siège est à Genève, avait l’intention de s’implanter au Maroc, mais elle n’avait pas reçu une fin de non-recevoir. Elle a fait l’objet d’une promesse de concrétisation qui a un peu duré et qui ne s’est pas concrétisée. Je pense que les autorités voulaient attendre que l’environnement change et qu’il y ait des raisons objectives pour autoriser les banques islamiques. Aujourd’hui, ces raisons objectives sont réunies pour autoriser ces banques, non pas comme des banques islamiques proprement dites, mais comme produits islamiques intégrés dans des banques conventionnelles. Ce que A. Jouahri appelait des produits alternatifs, compte tenu de la démarche actuelle en la matière. Je partage tout à fait cette définition dans le cadre des banques qui commercialisent à la fois des produits classiques et des produits islamiques. Donc, il n’y a pas eu de niet, mais une période de réflexion.
Auparavant, ce n’était pas évident, mais aujourd’hui ça s’impose.
FNH : En se référant à votre expérience en Guinée, est-ce que les banques islamiques sont régies par des lois et règlements spécifiques ?
A. B. : Les banques islamiques sont toutes régies par la loi coranique et la Sunnaa et depuis une vingtaine d’années par l’Ijtihad des oulémas. D’ailleurs, les banques islamiques ont un Conseil de surveillance formé de savants et de théologiens qui savent bien lire la loi coranique et l’interpréter. C’est ainsi qu’au départ il y avait une certaine rigidité dans la définition des produits islamiques. Mais au fur et à mesure de l’expérimentation de ces produits, des problèmes rencontrés pour répondre aux besoins de la communauté des Musulmans, de petits amendements ont été introduits, pas d’une manière anarchique, mais d’une manière bien pensée par les spécialistes.
Au départ, il était interdit de financer plus d’une maison (principale), mais aujourd’hui, avec l’Ijtihad, la banque islamique peut même financer la maison secondaire. Mais il y a des pays où ces banques ne financent que la maison principale parce qu’elles considèrent que la secondaire est une spéculation interdite par la chariâa. Mais il reste toujours du devoir de nos savants et théologiens de réfléchir en la matière.
Il n’y a pas de règlements spécifiques, mais des procédures techniques spécifiques qui ne sont pas loin des procédures des autres banques. C’est un problème de créer quelques comptes pour recevoir la marge de profitabilité fixée entre le prêteur et l’emprunteur.
FNH : Quelle est la stratégie adoptée par une banque qui commercialise des produits islamiques et des produits conventionnels ?
A. B. : Dans toutes les banques islamiques, il existe un Conseil de surveillance qui peut avoir un rythme de surveillance d’un an, de deux ans… cela dépend de la volonté des administrateurs et des dirigeants et de la banque elle-même. Par exemple, s’il s’agit d’une banque où il y a des produits classiques et des produits conventionnels, il est difficile de surveiller étroitement les choses parce que ça risque d’asphyxier un peu le système.
D’après mon expérience, ce sont les besoins du client qui dictent à la Direction générale les orientations stratégiques qu’il faut adopter pour favoriser tel ou tel produit en matière de commercialisation. En fait, c’est l’environnement qui prime. Aujourd’hui, on peut penser que l’environnement est plus ouvert aux produits islamiques pour des raisons politiques, mais surtout sociales.
FNH : Justement, quel sera l’impact de la commercialisation des produits islamiques sur l’économie nationale ?
A. B. : L’épargne marocaine n’est pas entièrement captée. La bancarisation ne dépasse pas les 24%. L’incorporation des produits islamiques dans les banques conventionnelles peut amener une partie des épargnants, qui jusqu’ici étaient réticents pour des raisons religieuses, à rejoindre le système bancaire et, partant, augmenter le taux de bancarisation des Marocains. Sur une durée de 5 ans, je crois, tout en étant pessimiste, qu’on peut passer à 30%. Je pense aussi qu’il faut installer des guichets à vocation islamique avec des centres de profit distincts pour pouvoir mesurer la performance. C’est ce qui va permettre d’aller de l’avant dans ce domaine.
Les produits islamiques sont originaux et innovants. Originaux parce qu’ils répondent à un certain nombre de besoins. Innovants parce qu’ils couvrent des besoins que les produits conventionnels ne couvrent pas. Donc ces nouveaux produits vont augmenter le volume des ressources des banques qui permettent de financer l’investissement productif. Les produits islamiques ne financent que l’investissement productif après des études préalables bien ficelées.
La commercialisation de ces produits peut répondre à un besoin au niveau rural, au niveau des sans-emploi, au niveau des diplômés qui ne trouvent pas de débouchés…
A mon avis, il ne faut pas dire qu’on réagit en retard, mais il faut dire que c’est maintenant que les conditions sont réunies pour amener les banques à s’intéresser à ces produits islamiques.
Avec les formules de crédit privé, le client fait ce qu’il veut et l’essentiel est qu’il rembourse. Par contre, dans les produits islamiques, tout cela n’existe pas. On sait ce qu’on finance, la rentabilité de ce qu’on finance avant de déterminer la marge de profitabilité à partager avec le client.
La Moudharaba reste une innovation tout à fait bien indiquée pour les problèmes socio-économiques que connaît notre pays.
FNH : Aujourd’hui, les banques marocaines commencent à concevoir des produits islamiques;pensez-vous qu’elles seront au diapason des banques islamiques spécialisées en la matière en 2010, année où sera déployé le bouclier de la déprotection ?
A. B. : Le problème qui existe est celui de la conviction. Si les banques considèrent les produits islamiques tels des produits comme les autres, elles peuvent réussir. Mais celles qui seront réticentes à déployer les moyens pour utiliser ces produits, elles-mêmes se rendront compte qu’elles ont commis une grosse erreur.
Mais pour les banques qui vont s’installer, jusqu’à présent je n’ai pas eu d’échos qu’une banque va s’implanter au Maroc. Mais il ne faut pas avoir peur des banques islamiques parce qu’elles ont aussi des problèmes à résoudre.
Mais cela n’empêche que, relativement dans le reste du monde, elles progressent beaucoup plus que les autres en termes de résultats, de dépôts et de crédits.
Propos recueillis par


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