* Dans quelques semaines, le Comité des établissements de crédit tiendra sa réunion. Il devra donner enfin son aval pour le lancement officiel des produits bancaires islamiques conformes à la chariâa. * Ces nouveaux produits auront certainement un impact positif sur le taux de bancarisation (24%) qui reste au demeurant faible. * Un tour dhorizon avec Abdelmajid Benjelloun, consultant en banque et entreprise et ancien Directeur Général dune banque islamique en Guinée. Finances News Hebdo : Dans un premier temps, pouvez-vous nous définir un crédit bancaire islamique ? Abdelmajid Benjelloun : Ce qui différencie le produit islamique des autres produits conventionnels, cest que lintérêt est proscrit dans les produits islamiques, lesquels encouragent la participation aux bénéfices et aux pertes dans les investissements. Les principes de la chariâa condament la thésaurisation pour collecter lépargne et la canaliser vers linvestissement productif, tout en valorisant le travail. La théorie islamique encourage ainsi la participation plutôt que de prendre des intérêts à lavance sans connaître les résultats de lentreprise; ce qui nest pas très équitable. Tout profit doit avoir un objet non interdit par lIslam et dans tous les cas de figure une contrepartie. Toute augmentation de capital qui ne provient pas du travail et qui nest pas soumise aux conditions posées par lIslam en matière dinvestissement, est considérée par le droit musulman comme illicite. Contrairement à ce quon peut penser, les produits islamiques ne sont pas uniquement réservés aux Musulmans. Un non-Musulman peut utiliser des produits islamiques. Par contre, un Musulman qui veut respecter à 100% la chariâa ne doit pas utiliser de produits non islamiques. Les ressources confiées à la banque peuvent faire lobjet de plusieurs emplois : le financement Mourabaha est une opération dans laquelle la banque finance lacquisition par un client dune marchandise, dun équipement ou de tout autre bien, celui-ci étant acheté par la banque et aussitôt revendu au client avec une marge bénéficiaire. La marge bénéficiaire peut être soit forfaitaire, soit un pourcentage du coût de la marchandise. Cette marge ne peut être augmentée même si la livraison de la marchandise a pris du retard à cause du paiement par le client. Le financement «Mousharaka» est un véritable partenariat entre la banque et son client en vue dune opération commerciale ou dinvestissement. Chacune des parties concourt au financement selon une quote-part convenue. Les profits ou les pertes sont répartis entre le client et la banque dans des proportions arrêtées à lavance. Le financement «Moudharaba» est le financement par la banque dun projet dans lequel le client napporte que son know-how, son expertise, son savoir-faire professionnel. Tout le capital financier est apporté par la banque. Les résultats de lopération, sils sont bénéficiaires, sont répartis entre les partenaires ( la banque et son client) sur une base convenue à lavance. En cas de perte, le client perd le fruit de ses efforts de management tandis que toute la perte financière est supportée par le bailleur de fonds. Et le financement «Ijara» est celui dans lequel la banque acquiert un bien quelle met à la disposition du client, à charge pour lui de payer un loyer convenu. Il existe une autre forme dIjara, lIjara wa iktina ou location-vente par laquelle la banque met à la disposition du client un bien sous forme de location-vente. F.N.H. : Depuis quelques années, des banques islamiques ont manifesté leur intérêt pour le Maroc. La dernière en date a été celle de la Banque Internationale du Qatar. A votre avis, quelles sont les principales raisons ayant motivé le niet des autorités monétaires ? A. B. : Pour le niet, je ne partage pas votre avis. En effet, dans les années 80, DMI, dont le siège est à Genève, avait lintention de simplanter au Maroc, mais elle navait pas reçu une fin de non-recevoir. Elle a fait lobjet dune promesse de concrétisation qui a un peu duré et qui ne sest pas concrétisée. Je pense que les autorités voulaient attendre que lenvironnement change et quil y ait des raisons objectives pour autoriser les banques islamiques. Aujourdhui, ces raisons objectives sont réunies pour autoriser ces banques, non pas comme des banques islamiques proprement dites, mais comme produits islamiques intégrés dans des banques conventionnelles. Ce que A. Jouahri appelait des produits alternatifs, compte tenu de la démarche actuelle en la matière. Je partage tout à fait cette définition dans le cadre des banques qui commercialisent à la fois des produits classiques et des produits islamiques. Donc, il ny a pas eu de niet, mais une période de réflexion. Auparavant, ce nétait pas évident, mais aujourdhui ça simpose. FNH : En se référant à votre expérience en Guinée, est-ce que les banques islamiques sont régies par des lois et règlements spécifiques ? A. B. : Les banques islamiques sont toutes régies par la loi coranique et la Sunnaa et depuis une vingtaine dannées par lIjtihad des oulémas. Dailleurs, les banques islamiques ont un Conseil de surveillance formé de savants et de théologiens qui savent bien lire la loi coranique et linterpréter. Cest ainsi quau départ il y avait une certaine rigidité dans la définition des produits islamiques. Mais au fur et à mesure de lexpérimentation de ces produits, des problèmes rencontrés pour répondre aux besoins de la communauté des Musulmans, de petits amendements ont été introduits, pas dune manière anarchique, mais dune manière bien pensée par les spécialistes. Au départ, il était interdit de financer plus dune maison (principale), mais aujourdhui, avec lIjtihad, la banque islamique peut même financer la maison secondaire. Mais il y a des pays où ces banques ne financent que la maison principale parce quelles considèrent que la secondaire est une spéculation interdite par la chariâa. Mais il reste toujours du devoir de nos savants et théologiens de réfléchir en la matière. Il ny a pas de règlements spécifiques, mais des procédures techniques spécifiques qui ne sont pas loin des procédures des autres banques. Cest un problème de créer quelques comptes pour recevoir la marge de profitabilité fixée entre le prêteur et lemprunteur. FNH : Quelle est la stratégie adoptée par une banque qui commercialise des produits islamiques et des produits conventionnels ? A. B. : Dans toutes les banques islamiques, il existe un Conseil de surveillance qui peut avoir un rythme de surveillance dun an, de deux ans cela dépend de la volonté des administrateurs et des dirigeants et de la banque elle-même. Par exemple, sil sagit dune banque où il y a des produits classiques et des produits conventionnels, il est difficile de surveiller étroitement les choses parce que ça risque dasphyxier un peu le système. Daprès mon expérience, ce sont les besoins du client qui dictent à la Direction générale les orientations stratégiques quil faut adopter pour favoriser tel ou tel produit en matière de commercialisation. En fait, cest lenvironnement qui prime. Aujourdhui, on peut penser que lenvironnement est plus ouvert aux produits islamiques pour des raisons politiques, mais surtout sociales. FNH : Justement, quel sera limpact de la commercialisation des produits islamiques sur léconomie nationale ? A. B. : Lépargne marocaine nest pas entièrement captée. La bancarisation ne dépasse pas les 24%. Lincorporation des produits islamiques dans les banques conventionnelles peut amener une partie des épargnants, qui jusquici étaient réticents pour des raisons religieuses, à rejoindre le système bancaire et, partant, augmenter le taux de bancarisation des Marocains. Sur une durée de 5 ans, je crois, tout en étant pessimiste, quon peut passer à 30%. Je pense aussi quil faut installer des guichets à vocation islamique avec des centres de profit distincts pour pouvoir mesurer la performance. Cest ce qui va permettre daller de lavant dans ce domaine. Les produits islamiques sont originaux et innovants. Originaux parce quils répondent à un certain nombre de besoins. Innovants parce quils couvrent des besoins que les produits conventionnels ne couvrent pas. Donc ces nouveaux produits vont augmenter le volume des ressources des banques qui permettent de financer linvestissement productif. Les produits islamiques ne financent que linvestissement productif après des études préalables bien ficelées. La commercialisation de ces produits peut répondre à un besoin au niveau rural, au niveau des sans-emploi, au niveau des diplômés qui ne trouvent pas de débouchés A mon avis, il ne faut pas dire quon réagit en retard, mais il faut dire que cest maintenant que les conditions sont réunies pour amener les banques à sintéresser à ces produits islamiques. Avec les formules de crédit privé, le client fait ce quil veut et lessentiel est quil rembourse. Par contre, dans les produits islamiques, tout cela nexiste pas. On sait ce quon finance, la rentabilité de ce quon finance avant de déterminer la marge de profitabilité à partager avec le client. La Moudharaba reste une innovation tout à fait bien indiquée pour les problèmes socio-économiques que connaît notre pays. FNH : Aujourdhui, les banques marocaines commencent à concevoir des produits islamiques;pensez-vous quelles seront au diapason des banques islamiques spécialisées en la matière en 2010, année où sera déployé le bouclier de la déprotection ? A. B. : Le problème qui existe est celui de la conviction. Si les banques considèrent les produits islamiques tels des produits comme les autres, elles peuvent réussir. Mais celles qui seront réticentes à déployer les moyens pour utiliser ces produits, elles-mêmes se rendront compte quelles ont commis une grosse erreur. Mais pour les banques qui vont sinstaller, jusquà présent je nai pas eu déchos quune banque va simplanter au Maroc. Mais il ne faut pas avoir peur des banques islamiques parce quelles ont aussi des problèmes à résoudre. Mais cela nempêche que, relativement dans le reste du monde, elles progressent beaucoup plus que les autres en termes de résultats, de dépôts et de crédits. Propos recueillis par