Le Comité de la Charia pour la finance participative vient d'être institué par Dahir et sa mission se cantonne essentiellement à émettre des avis de conformité. Pour Omar Kettani, expert en finance islamique, Bank Al-Maghrib garde le contrôle sur l'activité des banques participatives. Selon lui, de nombreux défis restent à relever, notamment en matière de fiscalité et d'adaptations juridiques. Il se montre également perplexe quant à la capacité des banques participatives à jouer pleinement leur rôle dans le financement du développement économique du Maroc. Quelques jours à peine après l'adoption par le Parlement de la nouvelle loi bancaire et son volet consacré à la finance participative (islamique), le Maroc étoffe son arsenal juridique en la matière avec l'instauration d'un «Comité de la charia pour la finance participative» relevant du Conseil supérieur des Oulémas. Cet organe, instauré par le Dahir Royal n°1.15.02, doit servir de caution morale et religieuse pour la finance participative au Maroc. Dans ses grandes lignes, le Dahir définit les principales missions de cette instance qui sera composée d'un coordinateur et de neufs érudits de la Charia. Le comité émettra notamment des avis de conformité sur les produits participatifs proposés par les établissements de crédits et assimilés. Il aura également pour mission d'émettre un avis de conformité relatif aux différentes circulaires émises par Bank Al-Maghrib (BAM) pour réguler l'activité de la finance participative. Pour jauger la portée de l'instauration de ce Comité de la Charia pour la finance participative, en appréhender les faiblesses et les limites éventuelles, nous avons fait appel à Omar Kettani, expert en finance islamique, qui milite pour que celle-ci joue un rôle majeur dans le financement du développement économique du pays. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il accueille la création de ce comité avec une certaine retenue. «L'instauration du Comité de la Charia n'est pas un luxe, c'est une condition sine qua none de l'existence d'une institution financière islamique. Le label islamique est désormais reconnu sur un plan international, et est supposé répondre à des normes internationales», précise-t-il d'emblée. La première interrogation qui vient à l'esprit concerne le degré d'indépendance du Comité. Kettani estime que «cette question ne se pose pas» dans la mesure où le comité n'a qu'un rôle consultatif et non un rôle décisionnel. «Ce comité est à la merci de BAM, qui est moins connaisseur en la matière que garant des intérêts du système bancaire conventionnel», affirme-t-il, tâclant au passage la Banque centrale. Concernant la composition du comité, Kettani pense que le recours à 5 experts en finance participative ne sera pas de trop. Il estime que «ce Comité n'étant pas formé dans les domaines complexes de l'économie et la finance, aura certainement besoin d'une expertise externe à travers les cinq membres supplémentaires auxquels il peut faire appel, surtout dans les domaines de la comptabilité financière islamique et de l'audit». Il est vrai que la maîtrise des normes juridiques et comptables, en particulier celles de l'AAOIFI, appliquée à Bahreïn et en Malaisie, représente un défi majeur. «Les prérogatives du Comité dépendent surtout de sa capacité à maîtriser les normes juridiques et comptables de l'AAOIFI, qui semblent être les normes de gestion qui seront adoptées par les banques participatives marocaines», précise-t-il. De manière générale, notre expert estime que les prérogatives du Comité de la Charia ne sont pas encore bien définies. Celles-ci dépendent des circulaires de BAM qui viendraient compléter une loi «très peu détaillée» (seulement 17 articles sur les 196 règles que compte la nouvelle loi bancaire). Par ailleurs, les banques participatives auront toute la latitude pour produire des contrats conformes à la Charia à travers le contrôle Moutabaqa qui est externe. Le contrôle interne se fera par un ou plusieurs conseillers Charia et sera plutôt consacré à l'application pratique des contrats (Mouraqaba). «Celle-ci dépendra du degré de qualification et d'intégrité de ces contrôleurs», estime à juste titre notre expert. Quel modèle de banques participatives ? Enfin, Kettani pointe du doigt certains vides juridiques toujours pas comblés. Il s'agit notamment des relations du Comité avec la Banque centrale, l'adaptation nécessaire au Code des impôts, au Code des assurances, au Code de commerce, ainsi que les lois sur la concurrence, l'immatriculation foncière et le marché des capitaux. En somme, beaucoup de chemins restent à parcourir pour achever le cadre de gouvernance du Comité de la Charia. Malgré ces limites encore criantes, Kettani espère que les banques participatives seront en mesure d'assurer de manière progressive et graduelle les trois missions essentielles qui constituent à ses yeux la raison d'être des banques islamiques. La première d'entre elles est une mission financière qui doit permettre, d'après lui, «l'élargissement de la bancarisation au Maroc qui ne dépasse pas réellement, malgré les chiffres officiels cités, le tiers de la population bancable, et d'autre part attirer une part substantielle des capitaux du Golfe». Ensuite, «une mission économique et commerciale en finançant surtout le secteur du logement». Enfin, une mission sociale en consacrant une part de leur financement à la microfinance version islamique. «Après tout, rappelle-t-il, les trois premières expériences des banques islamiques fin des années cinquante et début des années soixante au Pakistan, en Malaisie, et en Egypte ont toutes été des banques de microfinance». Pour le moment, il continue à se montrer dubitatif quant à la capacité des banques islamiques, version marocaine, à se positionner en véritable alternative au système bancaire traditionnel, en apportant un nouveau mode de financement que le système financier classique ne couvre pas. «Si on adopte le modèle des banques islamiques des pays du Golfe (ce qui semble être le cas, ndlr), qui est le modèle des banques islamiques commerciales (pratiquant à plus de 80% la Mourabaha, et marginalement la Moucharaka et la Moudaraba), on va se retrouver face à la version la moins intéressante des banques islamiques. Cette version qui fait souvent dire aux ignorants de la finance islamique qu'il n'y a aucune différence majeure entre les banques conventionnelles et les banques islamiques», conclut-il.