La fondation pour les arts, la culture et le patrimoine du groupe Crédit Agricole du Maroc, accueille au sein de la Galerie Abou Inane, une exposition rendant hommage à la poterie du nord du Maroc. Cette exposition réalisée en partenariat avec l'association «Terre des femmes» met en valeur le savoir-faire des femmes potières issues des villages, campagnes et montagnes de diverses régions du Maroc jusqu'au 15 mai. Des poteries de femmes qui se battent pour vivre, des histoires et des bouts de vie en céramique. Des histoires qui se brisent puisque ce patrimoine est en voie de disparition. En effet, depuis une vingtaine d'années, l'art de la poterie se perd et le Maroc perd avec lui un bout de ses valeurs et beaucoup de sa beauté. Soucieux de préserver les traditions, le Crédit Agricole a pour vocation de remettre le passé au goût du jour : «Nous sommes là depuis 8 ans. Nous avons fait beaucoup d'activités : des expositions d'artistes-peintres, jeunes ou moins jeunes, connus ou moins connus sur le marché mais pas seulement. Ce qui nous caractérise des autres fondations, c'est notre travail pour la sauvegarde du patrimoine, la valorisation de notre culture marocaine», confie Karima Boulahya Mezouar, responsable des arts et du patrimoine au Crédit agricole du Maroc. «Nous sommes fiers d'avoir été les premiers à organiser une vraie exposition sur les produits du terroir avec une scénographie. Une grande réussite qui a abouti à la création de toutes sortes d'associations», continue la militante de l'art et du patrimoine. Depuis le 25 mars, la fondation expose «Poterie du nord du Maroc» à la Galerie Abou Inane pour montrer au monde entier combien cet art antique se bat pour survivre... La beauté naturelle se fane Comment laisser mourir un art aussi fin, aussi naturel et beau que notre poterie nationale ? Pour des raisons d'argent tout simplement. Cet art domestique nécessite des matériaux domestiques d'où la prédominance de femmes dans ce milieu. «Cette poterie bientôt n'existera plus. Le but de cette exposition, c'est de mettre les moyens nécessaires pour aider et financer ces projets, c'est notre rôle en tant que banque citoyenne», ajoute Karima Boulahya Mezouar, qui pointe du doigt une association qui œuvre pour la cause depuis 2006 : «Terres des femmes». Présidée par Agnès Goffard qui a décidé de sillonner tout le Maroc à la recherche de ses potières, un peu à l'aveuglette parce qu'elle ne savait pas où chercher, mais en se renseignant, cette céramiste et passionnée a trouvé. Elle est même allée dans une centaine de villages. C'est à ce moment là qu'elle décide de créer une association avec Hamad Berrada. L'objectif de l'association «Terres des femmes» est de soutenir les potières réparties dans tout le nord du Maroc. Certaines avaient abandonné la poterie, d'autres étaient sur le point de le faire. Nos visites régulières, la recherche de nouveaux débouchés, l'achat de leur production contribuent à relancer la production, à soutenir l'activité économique des familles, à sauvegarder ce patrimoine unique et à permettre sa transmission aux jeunes générations. «Cette poterie, au départ utilitaire, est attachante par son authenticité, son originalité, son archaïsme et parfois sa naïveté, mais surtout parce qu'elle est un témoignage vivant de l'histoire ancienne du Maroc. Cet artisanat met en œuvre des matériaux locaux avec un savoir-faire maîtrisé», expliquent les représentants de l'association. En effet, ces femmes ont une technique gestuelle et manuelle époustouflante, elles arrivent à faire tourner de grandes jarres, la potière tourne autour de la poterie en parlant de tout et de rien et le résultat reste parfait. Ce qu'il leur faut, c'est écouler leurs productions. «Elles font face au froid, à la pluie, ont du mal à chercher la terre dans les carrières, trop poreuses, il faut attendre qu'elle sèche un peu pour la récupérer. La cuisson débouche souvent sur 50% d'échec. C'est un métier difficile», explique Jean Lanclon, céramiste et membre de l'association «Terres des femmes». «Notre but, c'est que celles qui travaillent encore puissent encore travailler. On essaie de leur trouver des débouchés et de former des jeunes de leur famille, de leur village pour transmettre toutes ces connaissances. Les femmes qui détiennent le savoir sont prêtes à continuer à travailler si on leur achète leur poterie», continue la même source. Un savoir-faire bon pour la santé Non seulement cet art est beau, mais il est surtout un héritage qu'il nous faut transmettre aux autres générations. Or depuis 20 ans, les régions qui comptaient chacune plus de 50 villages où l'on faisait de la poterie, n'en comptent pas plus de 2 ou 3 aujourd'hui. De Fès à Al Hoceïma, les traditions se perdent et on ne fait rien pour y remédier. «L'épicentre du tremblement de terre s'est produit là où il y avait la plus grande production de potières. Il y a eu une coopérative et des Européens ont essayé de proposer des techniques différentes : remplacer le bois par le gaz par exemple, mais le résultat est totalement différent», confie Jean Lanclon, qui prouve que ces femmes potières n'ont pas besoin d'aides techniques puisque le savoir, elles l'ont déjà. Aujourd'hui, il faut acheter cette poterie pour la sauver, l'exposer au monde entier, la rendre visible et attrayante. «Avant, tout le Maroc était potier. La poterie est un matériau qui est remplacé aujourd'hui par le plastique. Toutes les médinas avaient des canalisations profondes à base d'argile. Le potier était quelqu'un d'important. Toute l'architecture était dépendante du potier, même l'urbanisme, à l'image des remparts de Salé», confie ladite association. «Nous avons 2 magasins à Oulja et aux Oudayas. On fait de la vente entre potières et associations. On leur achète et vend leurs œuvres pour leur permettre de continuer à produire». L'association travaille sur la transmission et essaie d'encourager les jeunes à reprendre le métier de leur mère. Le volet environnement aide car cuisiner dans des ustensiles bios est bon pour la santé. «Stocker l'huile d'olive dans l'argile a plus de valeur nutritionnelle que de la stocker dans du plastique. Manger dans des assiettes en terre est meilleur également. Elles peuvent être chauffées par micro-ondes», continue une représentante de l'association. En sachant que la poterie est 100% naturelle, sans plomb, ornée de peintures minérales et végétales, pourquoi ne pas la remettre à la mode au lieu d'attendre que les autres le fassent pour s'y mettre ? Parce que la «poterie is not dead». Pas encore.