60 femmes du Nord du Maroc bénéficient du soutien de l'ONG Terres des Femmes. Grâce aux produits de leurs ventes, les potières reconstruisent leur maison, garnissent leur garde-manger et ouvrent des gîtes ruraux. Façonner son avenir de ses propres mains. Cette expression, à utiliser au sens propre comme au figuré, colle bien aux sentiments que ressentent aujourd'hui les soixante femmes bénéficiaires de l'aide apportée par l'Association Terres des femmes, créée en 2003. Portée par la sereine et passionnée Agnès Goffart, une férue de céramique, Terres des femmes est avant tout un soutien apporté aux femmes potières du Nord du Maroc. «Nous partons chez des femmes qui font déjà de la poterie, et nous les aidons à améliorer leur savoir-faire transmis de mères en filles. Puis nous les formons à de nouvelles techniques et leur conseillons de fabriquer des objets de la vie quotidienne qui répondent plus à la demande de la clientèle», explique l'initiatrice du projet. Une fois les poteries conçues, l'Association se charge donc de les récolter avant de les revendre dans les grandes villes du Maroc, et même au-delà des frontières. «Une des clientes françaises vient de passer une commande de 600 tajines», nous informe la présidente. Si ces femmes font de la poterie depuis toujours, elles vendaient jusque-là leurs pièces à des prix très bas, et en petite quantité. Aujourd'hui, le changement est radical ! «Avec l'argent récolté par leurs ventes, toutes les potières réussissent à améliorer leurs conditions de vie». Toiture refaite, maison reconstruite, denrées alimentaires plus nombreuses… le pécule récolté est le bienvenu et vient améliorer des conditions de vie souvent très rudes dans ces villages montagneux du Nord du pays. «Avant, lorsqu'on allait leur rendre visite, elles étaient déçues de n'avoir rien à nous proposer. Aujourd'hui, nous avons même droit au couscous !». Peu à peu, en plus de la vente des poteries, certaines familles transforment même leur maison en gîte rural, pour accueillir des touristes amoureux de la nature. La carte aux trésors Qu'est-ce qui a poussé une enseignante de céramique dans une école primaire, d'origine belge, à tout plaquer pour se consacrer à la sauvegarde de la poterie féminine rurale marocaine ? C'est lors d'une visite au site archéologique de Volubilis qu'Agnès Goffart fait la connaissance d'une potière dont la technique est ancestrale. «Je me suis demandé : ça existe encore ? C'est dommage que tout cet art soit en voie de disparition». Un an après sa visite, un livre écrit par Hammad Berrada, intitulé «La poterie féminine au Maroc», sort en libraire. «Au sein de l'ouvrage figurait une carte réalisée par des Allemands, et qui identifiait toutes les zones du Nord du Maroc où se trouvaient des potières». La carte aux trésors venait ainsi encourager Agnès Goffart de se lancer dans l'aventure, en allant à la rencontre de ces femmes qui renferment une richesse immense mais mal exploitée sous leurs doigts. «Je ne me rendais pas vraiment compte dans quoi je me lançais !», nous avoue-t-elle aujourd'hui avec un sourire empreint de satisfaction. Une richesse à préserver à tout prix «Ce qui m'a surpris, et qui continue aujourd'hui à me surprendre, c'est que la poterie rurale a gardé la marque des civilisations qui ont vécu au Maroc. On retrouve des formes phéniciennes (dans la région d'Al Hoceïma), ou encore des formes romaines». Un tour du côté du quartier des Oudayas de Rabat, où l'association expose les différentes œuvres des potières, permet de constater la variété des modèles reproduits. A titre d'exemple, plusieurs vases sont ornés du même motif, représentant le premier navigateur phénicien, avec sa galère et ses rames. «Elles reproduisent les modèles, mais en ont oublié le sens. La preuve, elles oublient souvent de mettre la tête du navigateur, parce que pour elles, ce n'est qu'une forme parmi d'autres», s'exclame Agnès Goffart, ravie de remonter le temps grâce aux poteries. Si aujourd'hui, soixante femmes bénéficient du renforcement de compétences proposé par Terres des femmes, elles vivent toutes au Nord du Maroc. Pourtant, les autres régions regorgent également de potières. «Ce que je souhaite, c'est que d'autres personnes entreprennent le même travail dans d'autres régions», espère Agnès Goffart. Si elle a confiance dans la perpétuation de l'action de son association, elle est plus sceptique lorsqu'il s'agit du sort de la poterie du Sud du Maroc. Sceptique mais compréhensive. «Lorsqu'on se lance dans ce type de projet, il faut être prêt à être bénévole, donc penser à une autre assise financière. Et il faut disposer également de temps pour se déplacer dans les villages reculés, d'aller à la rencontre des potières pour les former». En somme, de la passion, du temps et de l'argent suffisent ? Agnès Goffart ajoute, le poing en l'air : «Et il faut avoir la niac (avoir la hargne, ndlr) !» . Au-delà de la Méditerranée Comme tout artiste à la recherche de reconnaissance, les potières voient petit à petit leurs œuvres d'art exposées un peu partout dans le monde. En juillet 2011, elles le seront dans la ville française d'Anduze. «L'idée est de faire tout un fil rouge à travers l'histoire. De l'ancienne poterie du Paléolithique que l'on a découvert du côté de Skhirat, en passant par la poterie primitive, la poterie phénicienne et la poterie romaine. Tout un chemin à travers les âges». Une exposition semblable sera réalisée à Perpignan en octobre 2011, au sein de laquelle les poteries d'Algérie, de Tunisie, des îles Canaries et du Maroc seront présentées. Des tables rondes seront également organisées autour de la question centrale : comment préserver la poterie ? La question est soulevée. Aux réponses d'être façonnées, on l'espère, aussi habilement que ces femmes manient l'argile.