Difficile et dure épreuve que celle que traverse, actuellement, la classe politique nationale. L'étape du référendum franchie, les regards sont désormais braqués sur les partis et les hommes politiques à qui incombe, pour l'essentiel, la lourde responsabilité de porter le nouveau contrat social et donc, de répondre aux aspirations légitimes des Marocains. En ligne de mire, il y a certes les élections législatives et locales, dont les multiples enjeux accentuent la pression sur les états-majors des différentes formations, conscientes que les nouvelles perspectives qu'offre la nouvelle Constitution inaugurent également de nouveaux défis. Du coup, il ne s'agit plus désormais d'aller aux élections, mais d'y aller dans les meilleures conditions, afin d'asseoir les chances, pour chaque parti, de mieux se positionner sur l'échiquier politique. Il faut dire qu'à ce niveau, la classe politique ne semble pas naviguer dans la même direction et semble même bloquée sur certains points, qui rendent incertains un probable consensus, comme c'était le cas par le passé. C'est une situation, à tous points de vue normale et qui est de nature à mettre un peu plus de «sel» sur le débat politique. C'est aussi une occasion en or pour les citoyens de faire la part des choses et de séparer le bon grain de l'ivraie, car il va sans dire que c'est de l'issue du processus transitoire actuel, c'est-à-dire post-électoral, que sera jugé le niveau de réhabilitation de l'action politique. Après les critiques qu'ont essuyées nos partis politiques lors de l'élaboration du projet de Constitution, où leurs propositions ont été jugées en deçà de «l'audace et de l'originalité» qu'avait appelées le souverain, l'occasion se représente pour nos hommes politiques de faire amende honorable. C'est, d'ailleurs pour toutes ces raisons et bien d'autres, il est vrai, que la classe politique semble avoir retrouvé de sa vitalité avec les réunions informelles en coulisse afin de peaufiner leurs positions par rapport aux futures échéances électorales, dont le calendrier n'est pas encore fixé. Quid du calendier électoral La grande interrogation de l'heure tourne, en effet, autour du calendrier électoral. Tous les partis et les avis sont certes unanimes que la prochaine étape du processus après le referendum sera celle des élections, afin de traduire en actes les dispositions de la nouvelle charte fondamentale. Toutefois, la grosse question demeure : faudrait-il aller aux élections à court terme, c'est-à-dire en octobre prochain, comme le laissent entendre certains partis à l'image du RNI, du PAM ou de l'UC ou laisser le temps aux partis de se préparer et reporter l'échéance à la fin de l'année ou même à la mi- 2012, en prenant le risque de laisser la législature arriver à son terme ? Sur cette question, les avis sont partagés. Au sein de la Koutla, on semble plutôt pencher pour la première option, comme c'est la position, mitigée, de l'Istiqlal, alors que certains partis de l'opposition sont plus séduits par une échéance à moyen terme, dans un délai de six mois comme annoncé par un cadre du PJD. Cette dernière option semble trouver des échos même au sein de la majorité gouvernementale, notamment chez les socialistes de l'USFP, comme nous l'a confié Mustapha Ramid, député du parti de la lampe, qui a laissé entendre que les deux partis «sont plutôt favorables à un délai plus long». Ces propos, qui rejoignent ceux tenus, récemment par la députée socialiste Salwa Karkri Belkéziz, qui a jugé nécessaire un délai de six mois pour qu'on n'assiste pas à «des élections précipitées». Selon Karim Taj, membre du bu bureau politique du PPS, «la date en elle-même ne pose pas problème». En effet, chacune des deux positions dispose d'arguments valables pour justifier sa thèse. Dans le premier cas, il s'agit de maintenir la dynamique de réformes engagée depuis le mois de mars dernier, après les premières manifestations du «Mouvement du 20 février» et surtout ne pas laisser perdurer le statu quo actuel qui caractérise le pays, plongé dans une sorte d'attente, qui risque d'iinfluer à long terme sur l'économie du pays. C'est un avis que partageraient évidemment les partisans d'un délai plus long, qui estiment qu'il faudrait assez de temps pour adapter les lois électorales au nouveau contexte, afin de ne pas rééditer les erreurs du passé. Karim Taj, ajoute, en ce sens, que «ce qu'il faut par contre, c'est se mettre d'accord sur les meilleurs moyens de contrecarrer l'usage de l'argent sale durant les prochaines élections, trouver le mode de scrutin qui serait accepté par les partis et enfin se mettre d'accord sur les voies de la nomination des walis et gouverneurs, qui seront parmi les attributions du futur président du gouvernement issu du parti vainqueur des élections». Cette étape risque de prendre assez de temps, même si les débats et les rencontres entre les différents partis et le gouvernement ont commencé bien avant l'entame du processus référendaire, qui est venu les reléguer aux calendes grecques. À présent, ces concertations reprennent avec plus d'acuité. «Plusieurs hypothèses sont encore discutées. C'est la Chambre des représentants qui devra être concernée en premier », constate le porte-parole PPS. En effet, les réunions en coulisses et les rencontres informelles se poursuivent, la dernière en date est celle tenue il y a deux jours par le ministre de l'Intérieur avec les leders des partis politiques, dans l'objectif d'aboutir à des propositions consensuelles pour un texte qui fera l'unanimité. Cela toutefois paraît plus improbable, tant les divergences sur certains points sont grandes. Divergences La frilosité actuelle dans laquelle pataugent la classe politique et le gouvernement par rapport aux élections, n'est, en somme, qu'une apparence. Il est évident que le renouvellement des instances législatives dominera largement l'action des partis politiques durant ce mois de juillet. Les huit formations présentes au Parlement ont tenu, pour la plupart, des réunions de leurs bureaux exécutifs, alors que d'autres vont le faire avant la fin de la semaine. Un seul souci se dégage : la nouvelle Constitution doit d'abord avoir un effet sur le cadre et l'environnement des prochaines élections, avant qu'elles ne soient entamées. Autrement dit, il va falloir adopter les lois organiques des partis politiques et du code électoral prévus par la Constitution, avant de pouvoir se mettre d'accord sur une date précise. Cela nécessitera non seulement «un compromis politique», comme l'avait souligné Khalid Naciri, membre du bureau politique du PPS. Ce compromis doit donc être trouvé sur les priorités imposées par le nouveau texte constitutionnel, chose qui atténue le débat sur ces aspects, moins porteurs d'enjeux que le fond de la problématique. Les gros points de divergence seront relatifs au mode de scrutin, au redécoupage territorial et au seuil électoral. Les dispositions en vigueur lors des précédents scrutins ont apparemment montré leurs limites et ne siéent pas, de toute évidence, au contexte actuel. Les enjeux sont tellement déterminants qu'aucune formation ne semble vouloir céder quelques concessions, au risque d'en pâtir au moment crucial, comme le souligne un professeur de sciences politiques, pour qui le débat sur la loi électorale est loin d'être innocent, puisqu'il détermine le cours des événements politiques. «C'est à peine exagéré de dire que de la loi électorale dépendra la configuration du prochain Parlement», ajoute Najib Mouhtadhi, enseignant à la faculté de droit de Mohammédia. Pour les autres aspects, les partis politiques auront moins de pression, comme lorsqu'il s'agira de prendre en compte le vote et le droit des MRE à se porter candidats, tout comme les quotas pour les jeunes et les femmes, dans leurs instances dirigeantes. Certes, des divergences peuvent apparaître par la suite, lorsque les débats de fond seront menés. Pour l'instant, rien ne semble encore être acquis ou même décidé, même sur la question d'élections simultanées, législatives et communales, qui commencent à faire son bout de chemin. Dans l'hypothèse probable d'élections anticipées, le renouvellement de la deuxième Chambre implique nécessairement celui des conseils régionaux. Il s'agit d'un grand ménage pour tout dire, sauf dans l'hypothèse où l'on dissoudrait uniquement la Chambre des représentants, une option prévue par la Constitution. Dans ce cas, les élections locales pourraient se tenir après le législatives ou meme avant, comme le clamait dernièrement, le député du PJD, Lahcen Daoudi. Pour les défenseurs des élections couplées, une grande première au Maroc, cette option aurait l'avantage de mobiliser les électeurs sur un double objectif, et en même temps de permettre aux partis de se doter également d'une forte assise dans les conseils des régions. Ces pistes, encore au stade de gestation, trouvent encore des bases solides dans les dispositions de la Constitution. Le nouvel article 137 reconnaît en effet que «les régions et les autres collectivités territoriales participent à la mise en oeuvre de la politique générale de l'Etat et à l'élaboration des politiques territoriales, à travers leurs représentants à la Chambre des conseillers ». Cela voudrait dire tacitement qu'un renouvellement parallèle des instances législatives et régionales est tout à fait envisageable. Ce qui est sûr, c'est qu'un vide juridique devrait être comblé par une loi organique, qui détaillera «les conditions de gestion démocratique, le nombre des conseillers, des règles relatives à l'éligibilité, aux incompatibilités et aux cas d'interdiction du cumul des mandats», selon l'article 146. Jusqu'à présent, les partis sont frileux devant les scénarios qui ne tiennent pas compte d'un temps «mort», qui doit être accordé avant de se mettre en course pour les prochaines élections. Les jours sont, dans tous les cas comptés, et les partis politiques ont tout intérêt à se départir de leur semblant de léthargie pour se mettre aux choses sérieuses. Certains sont déjà bien avancés, afin de parer à toute éventualité, car 2012, c'est aussi demain... Scrutin, mode d'emploi Preuve que les temps ont changé, jamais dans l'histoire politique du Maroc, un débat n'a autant tenu en haleine l'opinion publique et les partis politiques. Les rencontres en coulisses qui se multiplient, comme celle tenue mercredi dernier entre le ministre de l'Intérieur et des partis politiques, dans le sillage des rencontres informelles qui se tiennent régulièrement pour accorder les violons sur plusieurs questions, en sont la preuve. Le mode de scrutin pour les prochaines élections paraît cristalliser toutes les tensions. Il faut dire que l'enjeu véritable du scrutin est à ce niveau. Si, de toute évidence, l'héritage de Chakib Benmoussa sera liquidé à cette occasion, le choix du mode définitif sera cette fois assez complexe. Pourtant, selon un expert en sciences politiques qui se base sur la nature politique du royaume, ses élites et ses formations politiques, «le système uninominal à deux tours apparaît comme le scrutin le mieux adapté à la situation du Maroc d'aujourd'hui». En effet, il est de nature à conforter «les élites politiques qui sont d'abord des individualités, avant d'être des militants au sein d'un parti», et l'introduction d'un deuxième tour aidera à centrer le vote, en éliminant un parti au détriment d'un autre. «Cela apportera davantage la polarité du système politique que nous souhaitons, dans le cadre d'une monarchie parlementaire voulue par tous», ajoute t-il. Mais aussi valable que soit l'argument, surtout en cette ère où il est beaucoup question d'émergence d'une nouvelle élite, son caractère couteux et assez complexe ne plaide pas beaucoup en sa faveur. Ce qui est sûr, c'est que la nouvelle loi électorale devrait tenir compte du fait qu'un mode de scrutin «peut favoriser l'éclosion d'une majorité qui est appelée à jouer pleinement son rôle de contrôle du gouvernement ou, au contraire, une majorité bigarrée et composite qui s'empêtre dans les alliances ponctuelles, les intrigues, et qui affaiblit le rendement des élus de la nation». Cela doit primer le débat sur l'aspect relatif à celui de certains partis au détriment d'autres. Le marigot politique est ainsi fait, les grands poissons mangent toujours les petits...