C'est un constat des plus flagrants. La réforme constitutionnelle en cours a cristallisé tous les débats sur les prochaines échéances électorales de 2012, éclipsant au passage les discussions sur les amendements à apporter aux différentes lois électorales, le code électoral et les lois sur les partis politiques, notamment. Ce débat a été entamé depuis belle lurette, avant que le mouvement du 20 février ne vienne changer la donne, en engendrant des éléments nouveaux au contexte politique. En principe, le projet de loi dans ce sens passera au Parlement lors de l'actuelle session printanière. Déjà, le cabinet du Premier ministre a mis sur pied une commission chargée de se pencher sur la question, de concert avec le ministère de l'Intérieur et les différentes formations politiques qui devront, en principe, soumettre leurs propositions. Il est vrai que dans le sillage de la réforme constitutionnelle, qui débouchera sur la mise en place de nouvelles institutions, dont un Parlement aux pouvoirs renforcés, un gouvernement issu des élections et responsable de sa politique, des assemblées régionales exécutives, l'enjeu de la refonte prend, du coup, une nouvelle ampleur. Si la réforme constitutionnelle apparaît comme la clé de voûte de la réorganisation institutionnelle enclenchée, celle des lois électorales constitue sans aucun doute la condition préalable et stratégique capable de donner un sens véritable à tout le processus engagé. En effet, comme le souligne le professeur Najib Mouhtadi, «c'est de cette loi électorale que dépendra la configuration du prochain Parlement». C'est sur ce point, d'ailleurs, que les avis des différents partis politiques convergent. Les dispositions actuelles ont montré leurs limites et ne peuvent en aucun cas, répondre aux aspirations démocratiques qui sont désormais les préoccupations quotidiennes des citoyens. La moralisation du champ politique et la réhabilitation de l'action politique, que tous les acteurs, partis comme citoyens, appellent de tous leurs vœux, ne pourra se réaliser sans un nouveau cadre qui permettra d'insuffler une nouvelle dynamique au paysage politique, marqué ces derniers temps par une coupure béante entre les électeurs et les élus et dont la preuve la plus indiscutable est à chercher dans les taux d'abstention enregistrés lors des dernières consultations électorales. C'est donc avec une nette conscience de cette nécessité et surtout de tous ces enjeux, que se déroulent les concertations au niveau des partis politiques. Certaines formations, comme le PJD, font de l'opportunité qu'offre la tenue de l'actuelle session parlementaire, l'occasion propice de conduire les discussions devant aboutir à la mouture de la future loi électorale. En tout cas, tous les partis sont unanimes. La question doit être tranchée avant la fin de 2011. Il faut dire qu'à ce niveau, la justesse de cette option se légitime par le temps limité qui nous sépare de 2012, année de tous les défis. Attendre la veille des scrutins pour trancher en urgence sur la question serait loin de signifier un gage de réussite. Divergences Le principal aspect de la réforme de la loi électorale qui suscitera bien des débats, sera assurément le choix du mode de scrutin pour les élections à venir. L'actuel mode de scrutin, le proportionnel au plus fort reste, en vigueur depuis 2002, ne fait plus l'unanimité. Il y a fort à parier que cette fois, le consensus qui a servi de base à son adoption, ne sera pas de mise. Au PAM, par exemple, on considère que ce mode de scrutin est «un acquis pour le Maroc», sans pour autant plancher sur des aménagements en vue de consolider cette option, qui comporte plusieurs variantes. C'est presque la même position adoptée par le RNI, avec toutefois le relèvement du seuil de représentation à 8 ou 10%. Et un peu aussi, le PJD, qui préfère plutôt la moyenne nationale. Mais la piste du scrutin uninominal, à un ou deux tours, commence à susciter beaucoup d'intérêt. Pour le professeur Mouhtadi, c'est le mode de scrutin qui, par excellence, apparaît comme la meilleure option pour tenir compte du contexte politique actuel et permettra d'apporter des réponses concrètes aux multiples défis qui découleront des réformes politiques actuelles. Ce mode de scrutin, défendu naguère par l'USFP, est cependant trop complexe et assez coûteux. L'un dans l'autre, l'élément principal dans ce débat est relatif aux objectifs visés à travers le choix du mode de scrutin. Pour Lahcen Daoudi du PJD, «il n' y a pas de mode de scrutin idéal, qui serait supérieur à un autre. Tout dépend des objectifs qu'on veut atteindre». Pour preuve, le député souligne que son parti a, par le passé, milité pour le scrutin de liste, mais «il a été dénaturé jusqu'à ressembler au mode uninominal, parce qu'on a morcelé le Maroc en petites circonscriptions». C'est pourquoi, le parti de Benkirane a opté pour l'élargissement de la circonscription, au niveau régional ou, à la limite, provincial. Cette vision est partagée par le RNI et sera de toute façon prise en compte en raison de l'intégration de la nouvelle loi sur la régionalisation qui sera en filigrane de tout le processus de réformes. Le seul couac à ce niveau, est que les objectifs divergent au niveau non seulement des partis, mais surtout de leur taille sur l'échiquier politique. Question de représentativité C'est en effet le choix du mode de scrutin qui déterminera à tous points de vue la représentation des formations politiques au Parlement et surtout la constitution d'une majorité forte, gage de stabilité, ou éclatée, source de tous les conflits. À ce niveau, la question de la représentativité divise également les partis, puisqu'il s'agit soit de permettre la mise en place d'un Parlement où siégeront la majorité des formations politiques (une trentaine actuellement), ou au contraire, un Parlement resserré avec les partis qui ont bénéficié des plus grands scores électoraux. Le relèvement du seuil de représentativité à 8 ou 10% que défendent le PJD et le RNI par exemple, est mal perçu par les «petites formations», qui voient là, un prétexte pour les écarter de la course aux sièges. Si la trame de fond des discussions reste dominée par le choix du mode de scrutin ou le redécoupage des circonscriptions électorales, d'autres points nécessiteront également des amendements, afin de les adapter à la nouvelle donne politique. Outre les modifications à apporter sur la loi sur les partis politiques de 2006, la question de la représentativité des femmes et des jeunes sera à l'ordre du jour. Le système de quota, qui a permis l'émergence de femmes politiques leaders sera assurément reconduit, mais quid des jeunes ou des MRE ? À défaut d'un consensus entre les partis politiques, des pistes visant à encourager une nouvelle dynamique interne au sein de nos formations politiques sont envisagées. Il s'agit par exemple d'introduire un système de quota dans la répartition des listes ou de la composition des organes de direction, ne serait ce qu'au prix d'une incitation financière, de la part de l'Etat. Le PJD a par exemple proposé une liste nationale de 172 sièges pour les femmes, les jeunes et les MRE. La question de la transhumance politique des élus, devenue un véritable phénomène ces dernières années, sera également au cœur de la discussion. À ce niveau, l'option qui semble la plus plausible, est la démarche adoptée un peu partout dans les régimes démocratiques. Le député qui quitte un parti perd automatiquement son titre et s'il en a été exclu , il siègera en indépendant. Aux grands maux, les grands remèdes. «La discrimination positive est parfois indispensable»Najib Mouhtad : Professeur de sciences politiques à l'université de Mohammédia. Les Echos quotidien : Quels sont les véritables enjeux de la réforme actuelle de la loi électorale et de la loi sur les partis politiques et quels impacts la nouvelle loi pourrait-elle avoir sur la réhabilitation des partis politiques et, surtout, le rôle d'un Parlement aux pouvoirs renforcés ? Najib Mouhtadi : La loi électorale est un texte de loi stratégique qui détermine le cours des événements politiques. Ce n'est pas exagéré de dire que de la loi électorale dépendra la configuration du prochain Parlement. En effet, le choix d'un mode de scrutin n'est jamais innocent et les débats qui ont eu lieu lors de la dernière loi électorale démontrent avec éloquence les craintes des petits partis qui se voyaient déjà éliminés de la course par la seule option du système électoral retenu. Pour cela, un scrutin peut favoriser l'éclosion d'une majorité qui est appelée à pleinement jouer son rôle de contrôle du gouvernement, ou au contraire, une majorité bigarrée et composite qui s'empêtre dans les alliances ponctuelles, les intrigues et affaiblit le rendement des élus de la nation. Au regard des expériences nationales et étrangères, quel pourrait être le «meilleur» mode de scrutin pour les prochaines élections législatives ? Au regard de la nature politique du Maroc, ses élites et ses formations politiques, il me semble que le système uninominal à deux tours est le scrutin le mieux adapté à la situation du Maroc d'aujourd'hui. D'un côté, ce système conforte les élites politiques qui sont d'abord des individualités, avant d'être des militants au sein d'un parti, ce que les électeurs reconnaissent d'ailleurs. Ensuite, l'introduction du deuxième tour aidera à centrer le vote, en éliminant un parti en faveur d'un autre. Cela apportera davantage la polarité du système politique que nous souhaitons dans le cadre d'une monarchie parlementaire voulue par tous. Le système des quotas ou de liste nationale pourra-t-il, comme c'est le cas pour les femmes en 2007, permettre une meilleure représentativité des jeunes ? Sinon, quelles sont les alternatives possibles pour permettre l'émergence d'une nouvelle élite politique ? S'il faut rappeler que le système des quotas est par définition non démocratique, il faut tout de même reconnaître que la discrimination positive est parfois indispensable pour forcer un changement dans la pratique politique. Il existe plus ou moins à présent un consensus sur la représentativité des femmes tant sur le plan national que local. Mais vouloir faire la même chose avec les jeunes est une insulte à la démocratie. Les jeunes devraient d'abord intégrer les partis et ces derniers devraient leur accorder plus d'importance et de crédit. À partir de là, la régulation se fait par un jeu subtil de négociation et de médiation, basé sur le degré réel d'implication des jeunes dans la vie politique et de la représentation de leurs voix dans les urnes. Il faut laisser le temps au temps pour que de nouvelles habitudes s'installent, c'est le meilleur cadeau à offrir à la démocratie. En fonction de la situation politique actuelle et des débats en cours au niveau des partis politiques et de la place qu'ils occupent sur l'échiquier politique national (résultat des dernières élections), vers quels scénarios s'acheminera-t-on après 2012 ? Toutes les configurations sont possibles. Nous vivons des moments d'accélération de l'histoire ! Dans ces moments exceptionnels, il y a beaucoup d'aléas, et je peux dire que nous vivons actuellement des moments d'incertitude... Ceci étant, il me semble que l'USFP fera un bond qualitatif dans un scénario de scrutin uninominal à deux tours, au détriment du PAM qui reviendra à une dimension beaucoup plus réaliste. Et si l'Istiqlal devrait normalement reculer cette fois dans la logique du vote sanction, le PJD risque de réaliser un score inattendu. Tout le jeu électoral se dessinerait alors à partir des alliances de vote, et dans ce scénario le parti qui gagnera la majorité sera celui qui s'assurera effectivement de l'alliance des partis centristes (RNI, MP ou UC). Comment peut-on réellement, dans le cadre des réformes constitutionnelles en cours, véritablement réhabiliter le paysage politique national ? La révision constitutionnelle est, elle-même, une source majeure de dynamisation de la vie politique, car son adoption par référendum entraînera de nouvelles élections législatives, puis de nouvelles élections régionales et locales, en conformité avec l'adoption de la loi sur la régionalisation avancée, et enfin la mise en place d'institutions régionales qui sont de nature à désormais focaliser l'attention des élites nationales peut-être un peu plus que le pari parlementaire. C'est donc tout un programme ! Personnellement j'apprécie la commission désignée pour la révision constitutionnelle et demeure convaincu que le monitoring mis en place avec la participation des chefs de partis et des syndicats en collaboration avec le cabinet royal est un mécanisme ingénieux et une garantie contre l'hégémonie d'une partie.