Les tractations sur le mode de scrutin aux prochaines élections législatives mettent à nu le caractère hétéroclite de la majorité gouvernementale. La recomposition du champ politique qui se dessine laisse planer « l'inconnue islamiste ». D'où l'exigence d'une clarification des enjeux électoraux pour contenir les risques de surenchères… Le mode de scrutin continue de diviser la majorité gouvernementale. Lors des réunions successives entre ses composantes et le ministre de l'intérieur, l'Union des mouvements populaires (UMP) de Aherdane et Laenser n'a cessé de s'opposer au maintien du scrutin de liste et d'exiger le retour au scrutin uninominal, quitte à réserver un quota à une liste nationale “comprenant des femmes et des cadres”. Aherdane a même laissé entendre qu'une crise serait provoquée au sein du gouvernement par une éventuelle démission de ses membres. Alors que même le RNI semble être revenu sur ses réticences et a rejoint les partis de la Koutla en faveur du scrutin de liste aménagé, l'obstruction de l'UMP fait dans la surenchère. C'est ainsi que ce parti aux prises avec d'incessants remous internes a signé un communiqué commun avec l'Union constitutionnelle (UC), parti censé être d'opposition, pour réclamer le scrutin uninominal et «protester» contre la manière dont le ministre de l'intérieur conduit les consultations, laquelle exclut les partis hors majorité. Cette étrange démarche est venue illustrer le caractère hétéroclite et dissonant de la majorité du gouvernement Driss Jettou. L'UMP ainsi que le RNI se sont, entre-temps, signalés par leur hostilité aux propositions de la Koutla et des organisations de gauche relatives à une éventuelle réforme constitutionnelle. A l'unisson de l'ensemble des partis d'opposition, PJD y compris, cette conjonction conservatrice veut surtout faire pièce à la Koutla, la plupart de ses membres essayant par là même de s'assurer quelque gage pour leur propre survie. On assiste donc à une polarisation conjoncturelle où se démarquent la Koutla et la gauche d'un côté et toutes les composantes des divers conservatismes d'autre part. Le cas UMP En fait ceci traduit surtout les appréhensions et les calculs électoraux des uns et des autres. Le cas de l'UMP est à cet égard le plus symptomatique. Rassemblement de clientèles et de notables locaux, il craint de faire les frais de la polarisation souhaitée au cours des élections de l'automne 2007. N'ayant pu tant soit peu se définir et se structurer plus clairement, traînant une image politiquement floue et archaïque, l'UMP a le plus grand mal à sortir de la logique des « élites locales » longtemps chère au ministre de l'intérieur sous le règne précédent. Ne pouvant incarner aucun positionnement distinct à l'échelle nationale, sauf la référence implicite à «la berbérité» et au «monde rural» où d'autres organisations le concurrencent, ses seuls atouts sont d'ordre local. Le scrutin de liste est de ce fait pénalisant car il fait éclater les rivalités entre les prétendants à la tête des listes. Au-delà de leurs territoires respectifs, les notables n'ont qu'une audience incertaine et tout dépend de l'entente qui peut être assurée entre eux à l'échelle d'une vaste circonscription provinciale. L'UMP est dans ce cas de figure vouée à ses divisions inévitables, inhérentes à l'absence d'un véritable parti sous son sigle «unitaire». Cependant jusqu'où Aherdane et Laenser pourraient-ils maintenir leurs surenchères ? Il paraît d'ores et déjà que le retour au scrutin uninominal est considéré comme anachronique et à contre-courant. Les trois grands partis que sont l'Istiqlal, l'USFP et le PJD n'en veulent pas ainsi que le PPS et le RNI. L'UMP se trouve ainsi isolée aux côtés de ce qui reste des «partis administratifs», l'UC et le PND. Après leur baroud d'honneur, Aherdane et Laenser finiront sans doute par se plier à la règle majoritaire. L'UMP déjà soumise à rude épreuve, du fait des défections qui se sont multipliées en son sein est plus que jamais confrontée à la nécessité de changer de nature ou d'être vouée à un irrémédiable déclin. Ceci pose à l'avance la question des alliances et des coalitions probables futures. La prochaine échéance constituera à cet égard un moment de vérité pour toutes les composantes du champ politique actuel, notamment celles qui risquent d'être laminées ou remises en cause. Ceci implique que les enjeux de cette échéance soient davantage et plus clairement identifiés et exposés aux larges couches de l'électorat. D'autant plus que le risque est désormais plus grand d'un détournement du discours politique et électoral vers une dominante populiste-islamiste. Populisme islamiste L'option démocratique n'est pas tout à fait à l'abri de ce renversement de tendance auquel œuvrent des courants très mobilisés. Le PJD qui n'a cessé de donner des gages de sa loyauté envers la monarchie et de son intégration au système, reste prisonnier de son atavisme idéologique. Celui-ci se manifeste à travers son association-mère le MUR et par la voix du chef de file du courant plus radical qu'est Mustapha Ramid. Le MUR vient encore de donner le ton en désavouant son ex-président, Ahmed Raïsouni qui a osé soutenir l'idée d'un compromis entre le Hamas palestinien et Israël. Le parti pris anti-israélien est réaffirmé comme un dogme idéologique et non comme une simple attitude de solidarité avec le peuple palestinien qui n'exclut pas dans l'absolu la reconnaissance de l'Etat juif. Pour compenser aux yeux de sa base et de ses électeurs potentiels sa « modération » et son intégration au système, le PJD semble aussi voué à la surenchère en matière de tutelle moralisatrice au nom de la religion. Au parlement cette démarche prend des allures grotesques car parmi les milliers de questions orales et écrites qu'il a adressées au gouvernement figure la plainte d'une épouse contre les pratiques sexuelles peu orthodoxes que lui fait subir son mari ! La plupart des autres questions ont été rejetées comme inadéquates par le gouvernement puisque, comme l'a révélé le ministre istiqlalien des relations avec le parlement, il s'agit de demandes de particuliers désireux de bénéficier d'agréments, autorisations et autres commodités. Le clientélisme est ici érigé en pratique institutionnelle, ce qui laisse présager de la conduite des affaires publiques à laquelle se prépare le PJD. Moralisme inquisiteur et clientélisme démagogique suffiront-ils à conférer à ce parti la crédibilité et la capacité que requiert la gestion publique ? On peut encore en douter, d'où le risque de le voir recourir aux surenchères pseudo-religieuses et à la démagogie populiste en cas d'échec. Aussi est-il nécessaire que le débat électoral soit, sans ambiguïté, dégagé de cette confusion. Autrement tout le jeu risque d'être piégé : la référence à la religion servira à la fois à ratisser plus de voix et à couvrir les échecs éventuels. Il est nécessaire de mettre en garde l'opinion publique par tous les moyens afin que personne ne puisse prétendre sanctifier sa politique par la « référence » au religieux. Il faut plus que jamais clarifier l'enjeu des élections qui n'est censé porter que sur des programmes et sur la gouvernance, aucun n'étant plus musulman que les autres. Une société désemparée et souffrant de graves inégalités et déficits sociaux est très perméable aux discours invoquant la religion et truffés de promesses populistes. Démarcation La démarcation doit se faire plus nette entre ceux qui prônent la voie des réformes et d'une perception lucide des retards multiples que la société doit combler pour sortir du sous-développement et ceux qui sont dans le déni des réalités et des retards, notamment culturels, et n'offrent que des mythes passéistes de compensation, porteurs d'oppression. Faut-il se résigner à voir la vie politique dominée par des discours et des pratiques qui rivalisent d'archaïsme ? Le regain d'activisme des sections d'Al Adl Wal Ihsane dans les différentes régions a fait monter de quelques crans la tension avec le pouvoir. Celui-ci a fait interdire les réunions « portes ouvertes » de sensibilisation de masse mêlant propagande et rituels confrériques de l'organisation islamiste non reconnue. On a pu s'interroger sur les raisons de cette mobilisation en ce moment. Est-ce une façon de manifester sa présence dans le contexte pré-électoral comme force à la fois hors du système et pouvant influer sur le déroulement du scrutin ? Tout en continuant à exclure le recours à la violence, l'organisation d'Abdessalam Yacine colporte des visions de « qawma » (mouvement de désobéissance générale sinon de soulèvement ?) et prône un changement de régime pour instaurer un califat selon le « modèle prophétique ». Voulant prévenir les débordements auxquels cette ambiguïté agissante pourrait donner lieu, le pouvoir se montre ferme et veut indiquer les limites à ne pas franchir. Une telle montée de la tension fait-elle le jeu du PJD ou bien est-elle perçue comme une pression éxercée sur lui par un courant qui se veut plus radical ? L'agitation des adeptes d'Al Adl s'accentue après les mesures prises à leurs encontre, des tracts ayant été encore une fois distribués à la sortie des mosquées le vendredi dernier. On semble s'acheminer vers un nouveau bras de fer et un nouvel été chaud. On mesure ici ce qu'il pourrait en coûter de laisser le champ politique s'enliser dans cette seule confrontation.