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Jeu et enjeux de la démocratie
Publié dans La Gazette du Maroc le 17 - 06 - 2002


En perspective des échéances de septembre
Le Maroc s'apprête à élire en septembre prochain son nouveau parlement. Une nouvelle étape décisive pour la transition démocratique se dessine à l'horizon.
A nouvel enjeu, nouvel outil représenté par le mode de scrutin de liste et les nouvelles dispositions juridiques accompagnant l'opération électorale.
Entre la loi et la pratique électorale, désormais, la bataille sera rude.
Après l'adoption, par le parlement, de la nouvelle loi organique pour l'élection de la Chambre des représentants, l'histoire électorale aura pris un tournant important. En effet, pour la première fois, les Marocains auront à élire leurs représentants selon le mode de scrutin de liste à la proportionnelle. Il n'est pas nécessaire pour autant de revenir sur les négociations qui ont eu lieu à ce propos entre les partis politiques, la commission royale consultative et le ministère de l'Intérieur. Ce dernier a joué, pourtant, un rôle décisif dans la recherche d'un consensus après avoir constaté les divergences d'approche vis-à-vis des dispositions juridiques qui cadrent l'opération électorale. Ceci dit, tout discours relatif au mode de scrutin ne peut se limiter aux seuls volets juridiques. Il est nécessaire également de prendre en considération les garanties politiques qui accompagnent les élections. Dans ce sens la nouvelle loi électorale ne peut être considérée comme un objectif en soi. Elle est, avant tout et d'abord, un moyen susceptible de relever quelques paris. Pourquoi, donc, parier sur les élections de septembre 2002 ?
Les enjeux de septembre
Avant de déterminer les enjeux des opérations électorales de septembre, il est approprié de rappeler que toutes les élections qui ont eu lieu au Maroc ont fait l'objet de contestations. Depuis 1963 jusqu'à 1997, en passant par 1976-1977 ou 1983-1984, toutes les consultations ont été vigoureusement dénoncées par les partis de l'ex-opposition. Ceux-ci ont toujours revendiqué des garanties suffisantes pour le déroulement d'élections libres et transparentes qui permettent aux Marocains de choisir leurs représentants en toute liberté sans aucune forme d'ingérence de la part des autorités. Il ne faut pas non plus oublier que les partis de la Koutla démocratique, qui constituent le noyau dur du gouvernement de l'alternance, ont tous dénoncé les falsifications opérées lors des élections législatives de 1997. Mais en dépit du fait que certains observateurs ont relevé la contradiction qui a existé entre cette dénonciation et l'entrée de la Koutla dans des institutions “non représentatives”, la déclaration, présentée au mois d'avril 1998 par le Premier ministre Abderrahmane Youssoufi devant le Parlement, était survenue pour justifier cette participation. Il s'agissait, en fait, de souligner que l'acceptation de l'offre de feu Hassan II était dictée par le souci d'opérer une transition démocratique dans le pays qui nécessite d'inaugurer des chantiers importants susceptibles de fournir les garanties nécessaires, juridiques et politiques, pour des élections libres et sincères. Nonobstant les objectifs tracés par l'équipe de Youssoufi et en dehors du bilan qu'il faut faire de son action, le Premier ministre avait, à maintes reprises, déclaré que son gouvernement aura accompli sa mission dès lors qu'il aura réussi à organiser, enfin, des élections propres qu'aucune force politique ne contesterait.
Or, pour atteindre cet objectif, le gouvernement devait agir à un double niveau. Il se devait, d'abord, de proclamer la moralisation de la vie publique et de confectionner une nouvelle loi électorale qui institue un nouveau mode de scrutin.
Les enjeux du nouveau mode de scrutin
Les arguments présentés dans la défense du scrutin de liste à la proportionnelle sont allés dans le sens de l'éradication du phénomène de l'utilisation de l'argent. Ce mode est donc appelé à introduire une nouvelle culture électorale qui privilégie les programmes politiques et diminue l'influence des notables. Or, cet argument, nous semble-t-il, n'est pas tout à fait cohérent. En effet, l'enjeu de tout mode de scrutin ne se situe pas à ce niveau. L'éradication de l'utilisation de l'argent ne se fera pas à l'aide du scrutin de liste si le découpage prévoit de deux à cinq sièges par circonscription. De même, il est erroné de dire que ce nouveau mode met en avant les programmes des partis, comme si les électeurs selon l'ancien mode ne votaient que pour des personnes. A notre avis, le principal enjeu a trait à la structure partisane en elle-même. Si nous voulons instaurer une bipolarisation à la Britannique, nous optons pour le scrutin uninominal à un tour. Et quand nous voulons instaurer le jeu des alliances, nous optons pour le scrutin majoritaire à deux tours, comme en France par exemple. Mais si nous voulons instaurer un système pluraliste basé sur l'indépendance des partis, nous optons pour le scrutin de liste à la proportionnelle, comme c'est le cas pour l'Italie.
Dans ce cadre, le véritable enjeu pour les Marocains est de rationaliser la carte politique. En effet, feu S.M. Hassan II avait exprimé, dans son discours du 6 novembre 1993, son vœu de voir s'instaurer une bipolarisation du champ politique de telle sorte qu'il y ait, d'une part, la Koutla démocratique et d'autre part le bloc du Wifaq. Cependant avec l'actuelle floraison des partis, toutes les interrogations sont posées quant aux enjeux de ce nouveau mode de scrutin. Il est vrai que c'est au niveau pratique que l'on pourra juger de l'efficience de tel ou tel mode. Toutefois, il faut dire que si le scrutin uninominal n'a pas réussi à dégager une bipolarité puisqu'il a contribué davantage à la balkanisation de la carte, le nouveau mode de scrutin ne réussira pas, non plus, à apporter des changements significatifs sur la carte politique.
Problématique de l'élargissement de la base électorale
Ceux qui parient sur la sincérité des élections de septembre prochain ont essayé d'introduire dans la loi électorale toutes les garanties juridiques pour une large participation des citoyens. Ceci, d'autant plus que tout indique que le taux d'abstention sera très fort. Ces craintes ont donc poussé les milieux politiques à lancer des opérations de mobilisation de proximité en utilisant tous les moyens susceptibles de sensibiliser les citoyens et de les inciter à s'inscrire sur les listes électorales. Cependant, nous constatons que le gouvernement de l'alternance n'a pas réussi à imposer le principe du vote obligatoire. Il s'est contenté de la formule finale indiquant que “ le vote est un droit et un devoir national ”. La question qui se pose alors, a trait au refus de baisser l'âge de voter à 18 ans, seule condition devant garantir une large participation. A vrai dire, il n'y avait pas suffisamment de volonté politique pour ce faire.
Malgré ces interrogations, il n'en demeure pas moins que la quête d'une plus forte participation aux élections a conduit le ministère de l'Intérieur à lancer une campagne de sensibilisation, à grande échelle, pour l'inscription sur les listes électorales. Néanmoins, pourquoi s'est-on contenté de réviser partiellement ces listes au lieu d'établir de nouvelles listes électorales ? Pourquoi le ministère de l'Intérieur se substitue-t-il aux partis politiques, censés encadrer les citoyens ?
La représentation des femmes
Les débats qui ont accompagné, depuis le début, le projet de loi électorale ont insisté sur la nécessité de garantir une plus forte représentativité des femmes selon le principe de la discrimination positive. Ainsi, il était prévu de faire un découpage instaurant 295 circonscriptions en plus d'une liste nationale réservée aux femmes. Mais, les discussions et les multiples interprétations politiques ont fait que le conseil des ministres tenu à Dakhla a finalement opté pour une liste nationale de 30 membres conformément aux dispositions de l'article 8 de la Constitution qui souligne l'égalité entre les deux sexes dans le domaine des droits politiques. Et même cette formule a été sujette à des interprétations contradictoires. La formule définitive retenue dans l'article 1 de la loi électorale stipule que 30 membres du parlement seront élus sur la base d'une liste nationale. Cette dernière option rend la représentativité féminine dépendante non pas d'un droit politique garanti par la loi, mais bel et bien d'une position politique qui transcende le caractère conservateur du texte juridique.
En tout état de cause, le Maroc organisera en septembre prochain des élections législatives basées sur une nouvelle loi électorale. Mais, faut-il pour autant s'attendre à ce que les pratiques et les traditions électorales soient apprivoisées par la loi ?


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