La France universelle, celle des Lumières, pourra apporter un souffle d'espoir pour être le partenaire du Maghreb, pour le bien commun des peuples de la région et celui de la France. Dans les grands tournants de l'Histoire, la France universelle a mis en avant ses enfants qui ont porté ses idéaux haut et fort, pour être ce que les concepteurs de la déclaration de l'homme et du citoyen voulaient qu'elle fût : une conscience universelle. Il n'y a pas pays européen, avant la Seconde Guerre mondiale, qui avait autant d'aura aux yeux du monde arabe que la France. Elle aura contribué à faire de l'Egypte moderne, avec l'expédition de Napoléon et son armée de chercheurs et d'ingénieurs dans les arts et les métiers, son monumental travail de «description de l'Egypte», l'introduction de l'imprimerie… Après la défaite de la France à Waterloo en 1815, nombre de saint-simoniens élurent domicile en Egypte, en faisant de ce pays un laboratoire de leurs idées avant-gardistes et contribuèrent à faire ce qu'on appelle la Renaissance égyptienne et, partant, arabe. Il y aura les Champollion, les Lepssis, le corpus juridique inspiré du code de Napoléon, l'architecture du Caire, la presse et autres fleurons de la modernité. L'Algérie servit à partir de 1830 d'exutoire à la France pour retrouver sa gloire freinée par la perfide Albion sur la plaine de Waterloo. L'idée d'un empire arabe sous l'égide de Napoléon III avait germé un moment. Un diplomate français du nom de Prévost Paradol glosera sur la portée de l'aventure française en Afrique du Nord en 1868, dans des termes on ne peut plus clairs : «Quel moyen nous reste-t-il pour nous ménager dans ce monde ainsi renouvelé autre chose qu'un souvenir honorable… ?» L'Afrique du Nord, après la conquête de l'Algérie, répond-il, et d'ajouter : «Puisse-t-il venir bientôt, ce jour où nos concitoyens, à l'étroit dans notre France africaine, déborderont sur le Maroc et sur la Tunisie et fonderont enfin cet empire méditerranéen qui ne sera pas seulement une satisfaction pour notre orgueil, mais sera certainement, dans l'état futur du monde, la dernière ressource de notre grandeur». La vision de ce diplomate était de son temps, mais la question sur la grandeur de la France et la réponse qu'il apporte ne semblent pas anachroniques. Il y eut, après, la colonisation, mais il y eut, parallèlement, son œuvre de modernisation, certes pas pour les beaux yeux des «indigènes, des bougnoules et des bicots». Il y eut aussi des erreurs fatales. La tuerie de Sétif en mai 1945 creusa un fossé entre les deux communautés musulmane et européenne en Algérie d'abord, et dans les deux autres pays du Maghreb. Elle changera le destin de l'Algérie et des relations entre les deux communautés. La colonisation s'est avérée non seulement une domination mais aussi une exclusion. Elle était condamnée à terme. Mais la France universelle, c'est-à-dire celle des Lumières, continuait à hanter les esprits des intellectuels et les politiques arabes. Les officiers qui renversèrent la monarchie en Irak choisirent le 14 juillet 1958 pour leur acte. Les promoteurs du panarabisme dont Michel Aflaq ou Nadim al Baytar étaient imprégnés de la culture française et maniaient la langue de Molière. Il faut rappeler aussi le rôle que la France jouait dans la protection des minorités chrétiennes au Levant. La décolonisation ne s'est pas faite sans heurts et particulièrement en Algérie… Mais là où il n'y avait pas le passé colonial, la politique de la France était plus posée et plus équilibrée. Qu'il s'agisse de la guerre des Six jours, de l'Irak dans sa guerre contre l'Iran, ou surtout de la question palestinienne, la position de la France au Moyen-Orient tranchait avec celle biaisée des Etats-Unis. Qui pourra oublier l'image du premier ministre français Lionel Jospin à Beir Zeit à qui des colons israéliens lançaient des pierres pour avoir pris fait et cause pour le peuple palestinien ? Ou le discours de l'ancien ministre des affaires étrangères Dominique Villepin en début de l'année 2003 au Conseil de sécurité s'insurgeant contre l'expédition militaire américaine en Irak ? Ou la petite phrase de l'ancien président français, Jacques Chirac, à l'Assemblée générale de l'ONU: «Il faut appeler un chat un chat» pour signifier que la présence des Etats-Unis en Irak était bel et bien une occupation. Le bilan de la politique arabe de la France est plus que positif, il est honorable…Quelle relation s'inscrivant dans la durée pourrait se targuer d'être sans entaches ? Dans le contexte dudit printemps arabe, il ne s'agit pas de rectifier le tir ou d'adopter une nouvelle approche, mais d'une refonte qui ne peut être que salutaire pour la France et le monde arabe, ou du moins le flanc sud de la Méditerranée si la France -et je reprends les termes de Prévost Paradol- «veut qu'elle puisse un jour peser dans l'arrangement des affaires humaines». Une nouvelle vision s'impose. N'est-ce pas au nom des valeurs qui font la philosophie des Lumières et la Révolution du 14 juillet que les jeunes du monde arabe ont investi la rue pour briser un ordre fossilisé, en appelant à la justice, la liberté et la dignité ? C'est incontestablement l'esprit de l'article du ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, publié dans Le Monde du 28 juin, pour «écrire ensemble en amitié et en partenariat avec les peuples (arabes) – la parenthèse est de moi, j'aurais mis du monde arabe – faisant de la Méditerranée un espace prometteur de partage et de coopération». Au-delà de la nouvelle approche déclinée par le chef de la diplomatie française, il y a deux grands dossiers qui sont un examen de passage à cette nouvelle politique arabe de la France : – Un nouveau cadre de coopération avec les pays sud de la Méditerranée qui tienne compte des peuples, avec une vision prospective qui tranche avec les approches technocratiques qui ont prévalu jusqu'à l'heure. L'actuel cadre de l'Union pour la Méditerranée n'est plus approprié, et pour tout dire, caduc. – Une nouvelle politique maghrébine. Le rapport de la France au Maghreb est passionnel, vu, à la fois, les liens historiques, les intérêts économiques et stratégiques, mais aussi le passif inhérent au passé. Il faudra passer du passionnel au rationnel. L'ordre colonial et post-colonial doit être scellé. Il est malheureux qu'une certaine France soit toujours nostalgique de cet ordre, avec ses fantasques et ses frasques. Cela pourrait corriger le regard biaisé de certains dirigeants de l'Algérie vis-à-vis de la France et du Maroc qui, comme l'ont montré les révélations de Wikileaks, procèdent par transfert, au sens psychanalytique du terme. On perçoit toujours le Maroc comme étant le continuum de quelques nostalgiques de «l'Algérie française». Comment serait-il le cas pour un peuple qui a versé son sang pour l'indépendance de l'Algérie ? Ce que le peuple marocain a fait n'est et ne saurait être une dette, mais un devoir. Aucun peuple n'a autant d'affinités avec le peuple marocain que le peuple algérien, et vice versa. La France pourrait procéder à une sorte de «mainlevée», avec un nouveau redéploiement aussi bien au Maghreb que dans le Sahel pour qu'on aborde ensemble l'avenir, dans le respect, la confiance mutuelle et la préservation des intérêts communs. Car je persiste à croire que l'affaire du Sahara n'est pas la cause du différend entre le Maroc et l'Algérie, mais bien la conséquence. La cause est ailleurs, et il faut la chercher, entre autres choses dans le déficit de confiance, et la confiance est une patiente construction. Le statu quo ne profite pas bien sûr au Maroc, mais il ne profite pas à l'Algérie non plus. De grands espoirs pointent, mais de grands dangers se profilent. La France universelle, celle des Lumières, pourra apporter un souffle d'espoir pour être le partenaire du Maghreb, pour le bien commun des peuples de la région et celui de la France. Dans les grands tournants de l'Histoire, la France universelle a mis en avant ses enfants qui ont porté ses idéaux haut et fort, pour être ce que les concepteurs de la Déclaration de l'homme et du citoyen voulaient qu'elle fût : une conscience universelle. Elle l'a prouvé dans sa position conséquente et courageuse dans le drame syrien en se ralliant, de manière claire et sans équivoque, au peuple syrien.