Votre excellence, A l'occasion de votre visite d'Etat et de travail dans notre pays, nous avons jugé utile de nous adresser à votre excellence, a propos d'un sujet d'une importance essentielle pour nos deux peuples relatif aux relations algéro-françaises et les moyens appropriés pour les hisser au stade souhaité par les deux parties, à savoir celui de l'amitié entre les peuples.
Nous demeurons convaincus que ce qui lie les peuples et les Etats du monde ne peut avoir un sens que s'il découle d'une parfaite connaissance mutuelle entre eux, d'une coopération saine et d'une amitié sincère surtout lorsqu'il s'agit de deux peuples voisins.
Votre excellence, Afin que nos deux peuples réalisent ce vœu, pour que se concrétise cet espoir partagé entre nos deux peuples et dans le but de mettre en œuvre cette coopération dynamique, il est de notre devoir à tous de fournir les efforts nécessaires pour annihiler l'ensemble des obstacles qui empêchent ce projet de se concrétiser.
Il existe, en effet, un nombre de questions qui demeurent suspendues et qui méritent d'être réglées. Malgré leur nombre et leur complexité, il n'en demeure pas moins que celles générées par la colonisation, 130 ans durant, se taillent la première place parmi ces celles-ci, si elles n'en constituent pas la première source.
Il est du domaine de l'imaginaire de penser qu'une amitié entre l'Algérie et la France est possible sans le règlement définitif des contentieux générés par la mémoire de la colonisation.
Votre excellence, Notre peuple, nos terres et notre honneur ont subi, 130 ans durant sous le joug du colonialisme français, les pires crimes qu'aucun autre peuple n'a connu à travers l'histoire. Le colonialisme a porté atteinte à toutes les valeurs de l'humanité et pour énumérer les méfaits de ce système abject, nous citerons les crimes dont il s'est rendu coupable en Algérie : -L'homicide et les massacres collectifs -La torture -La condamnation à mort des résistants à la politique du colonialisme -La ségrégation et la purification ethniques -L'utilisation des mines le long de nos frontières avec les pays voisins -Les essais nucléaires effectués à l'intérieur du territoire algérien -L'application de la politique de la terre brûlée -La répression individuelle et collective -L'exode forcé imposé aux populations -l'exil -La guerre religieuse et la christianisation forcée -la destruction des mosquées et leur transformation en écuries, bars, casernes et églises -L'occupation des lieux de culte et des habous -La propagation de l'illettrisme et de l'ignorance -Le déni identitaire -La déformation de l'Etat civil -La propagation de la culture de la haine entre les composantes du peuple algérien -L'incorporation forcée des Algériens dans l'Armée française lors des deux guerres mondiales et en n Indochine -L'emprisonnement et la déportation particulièrement, en Nouvelle Calédonie et en Guyane -L'isolement dans les camps de concentration -L'isolement par le truchement des lignes électrifiées et minées, Challe et Maurice -La confiscation des terres et des biens -Le pillage et la destruction du patrimoine archéologique et historique -La fermeture et la destruction des écoles coraniques -La liquidation des savants
Il est indéniable que ces méfaits ne peuvent être qualifiés que de crimes contre l'humanité.
Votre excellence, Les Algériens invitent la République française à reconnaître les crimes de la colonisation et à demander le pardon pour l'ensemble des méfaits perpétrés durant l'occupation coloniale ainsi que l'indemnisation nécessaire pour les dommages générés par ces ignominies.
Cette revendication peut paraître excessive, alors qu'elle ne représente en réalité qu'une infime partie des attentes dont notre peuple souhaite satisfaction.
Votre excellence, Si nous nous adressons à vous, en faisant valoir le droit de notre peuple à la reconnaissance des crimes qu'il avait subi le long de la période coloniale, en réalité nous ne demandons pas mieux que ce que les autres peuples ont demandé et obtenu. La France qui a connu l'occupation nazie nous a précédé, en demandant à la nouvelle Allemagne de reconnaître les méfaits de l'occupation et de s'en excuser. La preuve réside dans le fait qu'aucun traité d'amitié n'a été signé entre les deux Etats qu'après la satisfaction officielle de cette revendication ayant permis l'ouverture d'une nouvelle ère pour la coopération entre la France et l'Allemagne. Une coopération qui constitue, aujourd'hui, la locomotive des grands projets de l'Union européenne.
De notre côté, nous nous interrogeons sur les raisons qui empêchent l'Algérie et la France de poser les jalons d'une coopération bilatérale forte, susceptible de consolider les liens entre les deux rives de la Méditerranée, malgré le poids historique important de nos deux pays. Cette heureuse issue est possible, pour peu que la France fasse avec l'Algérie exactement ce qu'elle a exigé de l'Allemagne.
Nous avons assisté à une ère où l'Allemagne nouvelle a reconnu les crimes perpétrés par le nazisme contre les juifs, durant ce qui est connu sous l'appellation de l'holocauste. Aujourd'hui, encore, la France met une condition pour l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, à savoir la reconnaissance de la "répression et des crimes" qui auraient été commis contre les Arméniens. Pas loin de la France, un pays de l'UE, à savoir l'Italie, a eu le mérite de reconnaître les crimes commis durant la colonisation de la Libye, ce qui s'est soldé par la signature d'un traité d'amitié entre les deux Etats.
Votre excellence, En dépit de ce qui précède, nous nourrissons l'espoir que votre visite en Algérie soit une occasion historique que votre excellence saisira pour ouvrir une nouvelle page pour les deux Etats et leurs peuples. Dans cette perspective, il convient de commencer par le respect de la mémoire du peuple algérien et de l'histoire de sa résistance de sa lutte honorables contre le colonialisme. Nous sommes convaincu que votre excellence trouvera dans les valeurs nobles défendues par la Révolution française une source d'inspiration et une forte motivation confirmée à prendre une décision courageuse au nom du peuple français, de reconnaître, au nom de l'Etat français, ses responsabilités historiques, politiques, légales et éthiques quand aux crimes de l'époque coloniale, puis rechercher les moyens concordantes entre les deux Etats, moyens garantissant à la nation algérienne, Etat et Peuple, le droit à une indemnisation matérielle et morale. Nous devons œuvrer ensemble avec les bonnes forces des deux peuples à débarrasser la mémoire commune aux deux peuples des cauchemars de cette époque sombre.
Veuillez agréer, Excellence, l'expression de nos salutations distinguées. Alger, le 10/05/2008
M. Ahmed Lakhdar Ben saïd Porte Parole Du l'Instance Algérienne de lutte contre la pensée coloniale