Sur le conflit du Sahara, Jacques Chirac est resté prudent en s'interdisant de “s'ingérer dans les relations maroco-algériennes”. Il a toutefois plaidé pour le dialogue entre Rabat et Alger et assuré que les propositions de Baker “méritent d'être sérieusement examinées”. Et c'est bien la première fois qu'un chef d'Etat français s'exprime ainsi en territoire algérien. Pour trois jours, la rue algérienne a fait de Jacques Chirac son roi. A Alger comme à Oran, la population, par centaines de milliers, n'a pas été avare de son enthousiasme. Les cris réclamant des visas sont certainement un vote-sanction pour le régime algérien et un signal pour Paris, mais la masse dans ce rare bain de foule, n'avait d'yeux et de mains tendues que pour le président français. Abdelaziz Bouteflika, que certains de ses compatriotes soupçonnent de solliciter la “cooptation” française pour briguer un second mandat en 2004, a mis les petits plats dans les grands pour accueillir son hôte français. Et hormis quelques journaux, la presse algérienne qui a, d'habitude, le nationalisme à fleur de peau, n'a pas tari d'éloges. A voyage exceptionnel, accueil exceptionnel et demi. Ce n'est certes pas la première fois qu'un chef d'Etat de “la métropole” se rend dans l'ancienne “Algérie française”. Valéry Giscard d'Estaing, en 1975, y a séjourné puis François Mitterrand, en 1981, y a effectué une visite claironnée déjà comme un moment de retrouvailles. Pour donner au sonnant un sens trébuchant, Paris avait alors accepté de revoir le contrat gazier qui l'unissait à Alger et d'en revaloriser le coût au profit de l'ancienne colonie. Mais, avec Jacques Chirac, c'est bien la première fois, depuis l'indépendance de l'Algérie, qu'un président français effectue une visite d'Etat dans ce pays. Les relations entre les deux Etats, les deux peuples, les deux pays sont trop complexes et trop passionnelles pour que le triomphe fait à Jacques Chirac ne soit pas lu comme le signe de quelque chose qui bouge dans cette Algérie longtemps pétrifiée, face à la France, par un souverainisme exacerbé. En retard d'une paix, des journaux comme “Le Matin” ont continué à entonner le chant du passé. Ils n'ont toléré ni la manière dont Jacques Chirac leur a “ fait la morale”, ni accepté la façon dont il a mis sur un pied d'égalité Moujahidines pour l'indépendance du pays et Harkis qui avaient choisi le camp de l'Algérie française pendant la guerre de libération. Mais dans son ensemble, l'Algérie semble, aux urnes de l'applaudimètre, avoir opté pour “la refondation des relations” entre les deux pays. Jacques Chirac à l'écoute de la demande algérienne a apporté dans ses bagages une “nouvelle alliance algéro-française” qui a besoin de se construire sur des rapports apaisés. Le président français n'a pas été très clair dans l'explication des moteurs et des ressorts de ce futur fait de proximité et d'amitié. Mais la France -premier client et deuxième fournisseur- et l'Algérie ont la ressource nécessaire pour réussir une coopération diversifiée et mutuellement fructueuse. Ce voyage qui intervient juste avant que la guerre d'Irak, imminente, ne change la nature des rapports de force dans le monde, a permis au président français, brocardé par l'alliance américano-britannique, lâché par une partie de l'Union européenne - actuelle et future - de marquer en Algérie “son territoire”. Il n'est pas uniquement algérien, mais maghrébin. Pour le contrat de confiance et le nouveau partenariat qu'il a proposé à cinquante - et - un pays de l'Afrique au sommet de Paris, Jacques Chirac cherche dans la sous-région un ensemble maghrébin harmonieux capable, au Nord du continent, de l'arrimer à l'Europe et de s'intégrer dans le mouvement du monde moderne. “L'intégration maghrébine est une voie naturelle” pour le développement, a-t-il plaidé à Alger, avant d'ajouter : “la France sera vigilante pour que la priorité accordée à la Méditerranée [au sein de l'UE] soit préservée, notamment en donnant un nouveau souffle au processus de Barcelone”. Jacques Chirac imagine ainsi au sein de ce processus “des coopérations renforcées” entre l'Union européenne et le Maghreb, pour favoriser l'intégration de ce dernier. Encore faudrait-il que l'Union du Maghreb arabe redémarre. C'est l'un des volets importants du voyage du président français qui sait que l'UMA n'est possible que si “l'axe” Rabat-Alger, grippé par le conflit du Sahara, reprend du service. Jacques Chirac reste prudent car il n'est pas question pour lui “de s'ingérer ni dans les affaires algériennes, ni dans les affaires marocaines, ni dans les affaires algéro-marocaines”. Néanmoins, cette question est à ses yeux “importante pour la stabilité et le développement de l'ensemble du Maghreb. La France et l'Algérie entretiennent un dialogue sur le Sahara Occidental, en toute amitié et en toute confiance”, assure-t-il en se déclarant “persuadé qu'une solution politique réaliste doit être recherchée entre les parties, dans le cadre des Nations Unies, pour trouver une issue à ce conflit qui retarde les progrès de l'intégration maghrébine”. C'est dans ce sens qu'il considère que les propositions de James Baker “méritent d'être examinées sérieusement”, même s'il estime par ailleurs que son pays “n'a pas à se prononcer sur leur contenu”. Seul, de son point de vue, un dialogue approfondi entre Alger et Rabat permettrait de progresser vers une solution. L'implication française dans ce dossier peut paraître manquer “d'engagement”. C'est oublier que Jacques Chirac ne s'est pas privé de s'exprimer également devant le parlement algérien pour le dialogue entre Rabat et Alger. Et c'est bien la première fois qu'un président français s'aventure à évoquer publiquement en territoire algérien un sujet qu'il sait sensible et allergène. En Algérie même, on attribue à une partie du pouvoir la volonté de mettre de l'eau dans son vin face au projet de loi-cadre concocté par James Baker et déjà rejeté par le “Polisario”. Mais la complexité des rapports de force en Algérie est telle qu'il demeure difficile de lire et d'interpréter l'attitude algérienne à la lumière de la seule visite de Jacques Chirac.