Dans son dernier rapport concernant le dossier du Sahara, Kofi Annan, secrétaire général de l'ONU, a changé de ton et a demandé au Maroc de donner une suite favorable au plan Baker II. La diplomatie marocaine est appelée à mettre plus de fuel dans sa machine pour faire sortir le dossier du Sahara de l'impasse. Pour en savoir plus sur l'évolution de ce dossier et comprendre le rôle de chacun des intervenants dans cette affaire, nous avons interviewé Mohamed Darif, politologue, qui nous livre son point de vue. Q : Le dernier rapport de Kofi Annan relatif au dossier du Sahara a-t-il constitué une surprise pour les officiels marocains ? - À mon avis, le problème est lié essentiellement à James Baker, l'envoyé spécial de Kofi Annan dans la région. Depuis le cessez-de feu de 1991, il a fallu trouver une issue politique au conflit du Sahara. C'est ce qu'a d'ailleurs compris James Baker qui a incité les parties concernées à négocier pour trouver une alternative au référendum. Après les rencontres de Houston en 1997 et Berlin en 2000, Baker a formulé l'accord-cadre présenté à l'ONU en juin 2001. Cet accord connu sous l'appellation de « troisième voie » a été accepté par le Maroc, mais avec des réserves, et rejeté par les autres parties (Algérie et Polisario). Cet accord prévoyait une autonomie à la région du Sud sous souveraineté marocaine pour une durée de 4 ans, suivie d'un référendum. Le point tournant dans l'affaire fut les événements du 11-Septembre. Politiquement parlant, l'Algérie et l'Espagne, deux pays hostiles aux intérêts du Maroc, ont bénéficié des attentats du 11-Septembre. Tout le monde se souvient de la fameuse visite du président algérien Bouteflika à Washington. La Maison-Blanche a depuis annoncé le soutien américain aux efforts fournis par l'Algérie dans la lutte contre le terrorisme. En février 2002, James Baker a été contraint de réviser l'accord-cadre rejeté par l'Algérie et le Polisario. Il a donc proposé aux parties concernées quatre choix : le référendum, l'accord-cadre, le partage ou le retrait de l'ONU du dossier du Sahara. Le Maroc a refusé catégoriquement l'idée et a mené une offensive diplomatique pour contrecarrer les convoitises de ses adversaires. En janvier 2003, Baker a entamé une nouvelle tournée dans la région pour trouver un terrain d'entente entre les parties (Maroc, Algérie, Polisario, Mauritanie). Sur la base de ces contacts, l'envoyé spécial de l'ONU dans la région a formulé son rapport de juillet 2003. Ce rapport parle de l'autonomie des provinces du Sud pour une durée transitoire de 4 ans suivie d'un référendum. L'accord donne plus de prérogatives au comité local qui sera chargé de gérer les affaires des Sahraouis ; des prérogatives qui touchent à la souveraineté du Royaume. Le Maroc a donc refusé cette solution. Mais cette fois, le ton de James Baker a changé puisqu'il demande au Maroc d'entériner le Plan. La résolution 1495 a donc été en quelque sorte imposée au Royaume, surtout que l'Algérie et le Polisario l'ont acceptée. La diplomatie marocaine a pu quand même convaincre l'ONU de ne pas imposer n'importe quelle résolution sur les parties concernées par l'affaire du Sahara. Q : Ne pensez-vous pas que les Américains tiennent un discours ambivalent en ce qui concerne l'affaire du Sahara ? Ils soutiennent le plan Baker II et en même temps appellent le Maroc et l'Algérie à trouver une solution au conflit ? - Je ne pense pas ; car Washington soutient les efforts de James Baker pour régler le problème et en même temps respecter l'article 6 de la charte de l'ONU qui énonce qu'il ne faut pas imposer des solutions à des pays en conflit. George Bush a affirmé à Sa Majesté le Roi qu'aucune résolution ne sera imposée au Maroc, en marge des travaux de l'ONU tenus fin septembre dernier. Jacques Chirac a tenu à préciser la même chose à Sa Majesté. Le Maroc a gagné cette bataille, mais il doit absolument formuler une alternative au plan Baker II. Q : Pourquoi, à votre avis, le Maroc a-t-il refusé la résolution 1495 ? - L'autonomie, telle qu'elle est expliquée sur ce plan, touche à la souveraineté du Maroc. Et puis, le grand obstacle reste celui de la définition des électeurs Sahraouis qui seront aptes à voter lors du référendum. Q : Maintenant, quels sont les scénarii possibles après le 31 janvier 2004 ? - Je pense qu'il faut proposer des amendements au plan Baker II pour arriver à un consensus entre toutes les parties. Dans le cas contraire, il y aura, soit un retour aux quatre propositions de février 2002, soit le retrait de l'ONU de l'affaire ; et tout recommencera à zéro. Q : Certains avancent que la diplomatie marocaine a cumulé des erreurs dans la gestion du dossier du Sahara. Qu'en pensez-vous ? - Dans sa gestion du dossier du Sahara, le Maroc a compté sur la diplomatie officielle. Les officiels marocains ont toujours considéré que le problème de Sahara est un problème sécuritaire. La diplomatie populaire n'avait pas sa place. Les partis politiques et les ONG n'ont jamais été impliqués dans la gestion de ce dossier. Par contre, l'Algérie et le Front Polisario, à travers des ONG et des partis politiques ont pu gagner le soutien des ONG et des parlementaires espagnols et américains grâce à leur travail de terrain. Au Maroc, les partis politiques se limitent essentiellement à publier des communiqués concernant l'évolution de l'affaire du Sahara.