Ancêtre des instances et associations chargées d'organiser l'islam de France, le «consistoire musulman» en Algérie, s'il n'a en réalité jamais vu le jour, traduit la volonté des autorités coloniales de l'époque de tirer profit des richesses générées par la gestion du culte musulman. L'épineuse gestion du culte musulman en France ne date pas du début du XXIe siècle. Les tentatives de structuration de l'islam ont été amorcées au XIXe siècle par Napoléon III, avec son «consistoire musulman» en Algérie, ancêtre des instances religieuses musulmanes telles que nous les connaissons aujourd'hui en France. «Le contexte était colonial et la loi de séparation n'était encore qu'une idée», écrit le chercheur Raberh Achi dans une tribune au journal Le Monde sur l'intégration des Français de confession musulmane dans la gestion de leur culte. A l'origine, le dictionnaire Larousse nous apprend que le consistoire désigne «l'assemblée solennelle des cardinaux présents à Rome, réunis sous la présidence du pape dans des circonstances très importantes». A l'époque de la colonisation, le catholicisme et l'islam sont les deux religions dominantes en Algérie, explique Oissila Saaidia*, professeure d'histoire contemporaine à l'université Lumière Lyon II et directrice de l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain. A titre de rappel (et de repère) historique, l'Algérie a été colonisée dès le 14 juin 1830, lors du débarquement de l'armée d'Afrique à Sidi-Ferruch, jusqu'à la proclamation officielle de l'indépendance le 5 juillet 1962. «Dans ce contexte colonial, la France mène une véritable politique religieuse. Elle dote les catholiques du cadre juridique prévu par le concordat ; elle définit les modalités d'un culte musulman encadré», poursuit l'enseignante. Il faudra attendre la circulaire du 17 mai 1851 qui «dresse l'acte de naissance du culte musulman» pour voir émerger les premières mosquées officielles et les établissements religieux recensés comme tels, encadrés par des fonctionnaires. L'obsession de la richesse générée par le culte musulman Avant cela, jusqu'en 1835, soit cinq ans après le début de la conquête, ce sont les musulmans eux-mêmes qui chapeautent la gestion de leur culte. En août de la même année, «une dénonciation de l'oukil de La Mecque et Médine (une des fondations pieuses les plus importantes de la ville d'Alger) entraîne sa démission et pousse les autorités coloniales à s'intéresser de plus près au fonctionnement du culte. La mainmise coloniale s'accroît alors : en 1838, la gestion des établissements religieux est placée sous la surveillance et la direction de l'administration financière ; en 1839, les immeubles des établissements religieux musulmans algériens relèvent de l'administration du Domaine», poursuit Oissila Saaidia. Le savoir est la première forme d'ingérence dans l'islam, à travers des inventaires effectués «pour connaître les différents biens religieux, dont les habous, ces biens fonciers ou immobiliers affectés à des œuvres charitables ou pieuses». Au-delà du volet culturel, la gestion de l'islam doit également être fructueuse, financièrement. «L'ingérence se poursuit avec des dénonciations pour gestion frauduleuse des habous, qui visent à en transférer la gestion à La Mecque et Médine : la gestion de l'islam doit rapporter de l'argent.» C'est précisément ce que souligne le chercheur Raberh Achi dans les colonnes du Monde, lorsqu'il évoque la proposition de Hakim El Karoui, auteur d'un rapport financé par l'Institut Montaigne, de créer une Association musulmane pour l'islam de France (Amif) : «Pour retrouver dans l'histoire de France une telle instance et, surtout, un tel contrôle obsessionnel des richesses générées par le culte, il faut remonter au projet de Napoléon III de créer en 1865 un ''consistoire musulman'' en Algérie.» La suggestion de Hakim El Karoui – «qui a aujourd'hui les faveurs de l'exécutif», souligne Raberh Achi – serait en effet chargée de collecter des fonds pour pouvoir financer le salaire et la formation des imams, la construction et l'entretien des lieux de culte, un travail théologique et des actions de lutte contre l'islamophobie et l'antisémitisme, précisait Le Monde. Une manière de prendre le contre-pied des financements étrangers jugés opaques. Le projet d'un «consistoire musulman» entretenu par Napoléon III en 1866, «seul à même de mettre en place des interlocuteurs officiels de l'islam et d'uniformiser la gestion du culte», souligne Oissila Saaidia, n'a pourtant jamais vu le jour, a contrario du judaïsme. Et, paradoxe, c'est finalement la Loi de séparation des Eglises et de l'Etat qui confèrera au culte musulman une existence officielle. (*) Oissila Saaidia, «Algérie coloniale. Musulmans et chrétiens : le contrôle de l'Etat (1830-1914)», Paris, Centre national de la recherche scientifique (2015), 408 pages