Ce que nous vivons c'est le retour du refoulé et des questions laissées en suspens depuis la phase des indépendances. Il s'agit donc de sortir des canons de pensée hérités de la colonisation et des schèmes imposés. Réduire l'alternative à la bonne gouvernance est un peu court… Prenez vos marques, la bataille, la vraie, ne fait que commencer. Elle se gagnera sur le plan des idées et non des slogans… Février est le mois de la révolte arabe. Le 11 février, l'ex-président égyptien Moubarak fut «dégagé» ; le 15, attroupement de Bahreinis sur la place de la Perle annonçant un mouvement de contestation dans cette paisible principauté ; le 17, déclenchement à Benghazi de l'insurrection libyenne ; le 20 février, manifestations dans les villes marocaines à l'instigation du mouvement qui porte le même nom. A Taëz, au Yémen, au même mois, un grand mouvement de foule occupe la place Taghyir (le changement). Ces mouvements en cascade bousculaient quelques fausses idées érigées en vulgate : il y des pays arabes et point de monde arabe, les pays arabes sont hermétiques à la démocratie, la greffe de la démocratie ne peut provenir que de l'extérieur et ne prendre que par la force…A charge pour chaque pays de forger son slogan qui rend compte de cette tendance : «l'Egypte au-dessus de tout», «l'Algérie en premier et en dernier», «la Jordanie d'abord», «Taza avant Gaza»… Qui oserait dire de nos jours qu'il n'y a point de trame commune à ce monde qui se présentait, il y a plus d'un demi-siècle, comme un géant culturel en puissance, à l'image de la Chine et de l'Inde ?…Il fut recalé au stade de «cancre de l'Histoire» selon l'expression de l'historien marocain Abdellah Laroui, un monde réduit à être un terrain d'expérimentation d'idées généreuses et de recettes prêtes à porter qui ne firent qu'exacerber le sentiment de frustration et d'échec… A chaque saison, un rapport concocté par quelques «experts» internationaux pour faire un diagnostic accablant et tracer «la voie royale» pour le développement économique et humain…Vous connaissez la chanson. Le «printemps arabe» est venu mettre fin à un état de mise en tutelle. C'est peut-être une rupture avec un ordre post-colonial conforme à ses schèmes et à ses canons, avec moins d'efficience…C'est un fait. Les quelques cas de «success stories» n'étaient en fait que la reproduction du schéma colonial aménagé : des économies duales liées au capital mondial avec des relais locaux et les pays réduits à des espaces géographiques où on fait fi de leurs cultures, de leurs peuples et de leurs aspirations…Les peuples étaient sous contrôle à travers des élites apprivoisées ou cooptées… La machine sécuritaire faisait le reste. Point de souci donc R.A.S. Un ciel si lourd a besoin de tempête pour s'éclaircir (So foul a sky clears not without a strom), comme disait Shakespeare. Et la tempête eut lieu, et elle continue, avec des effets ravageurs là où la mainmise était forte. L'an II de la révolution arabe risque d'émousser les élans des débuts, de donner aux forces conservatrices du poignant. Mais de tels phénomènes ne se jugent que sur le long terme, comme disait l'activiste tunisien, dans un article publié dans Le Monde du 20 avril 2011, celui qui allait devenir président de son pays, Moncef Marzouki : «La révolution arabe est une révolution normale. Comme toutes les révolutions, elle entraîne une phase de chaos, de contre-révolution, de luttes intestines et d'instabilité s'apaisant progressivement au fur et à mesure que prennent forme les nouvelles configurations politiques, sociales et surtout mentales». Le «printemps arabe» n'a de sens que s'il opère une rupture avec ce que j'ai appelé l'ordre post-colonial. Ce que nous vivons c'est le retour du refoulé et des questions laissées en suspens depuis la phase des indépendances. Il s'agit donc de sortir des canons de pensée hérités de la colonisation et des schèmes imposés. Réduire l'alternative à la bonne gouvernance est un peu court…Prenez vos marques, la bataille, la vraie, ne fait que commencer. Elle se gagnera sur le plan des idées et non des slogans…