Yassine Tebaa, Senior Manager, Energy & Utilities chez PwC au Maroc Seules les entreprises marocaines faisant appel à l'épargne sont dans l'obligation de publier leurs rapports ESG. L'état des lieux montre une forte hétérogénéité dans l'engagement dans la décarbonation. La création et la reconnaissance au niveau international d'un label marocain certifiant la décarbonation peuvent constituer une mesure incitative. A quel point les entreprises marocaines prennent-elles en compte les enjeux environnementaux, sociaux, et de gouvernance dans leur politique de croissance ? Il faut d'abord rappeler que ces enjeux sont avant tout planétaires. Parmi les 175 pays ayant ratifié l'Accord de Paris, 168 parties ont d'ores et déjà communiqué leurs premières contributions déterminées au niveau national (CDN) sur les changements climatiques. D'ailleurs, le Maroc a annoncé, à l'occasion de la récente COP26, son objectif de réduire ses émissions de 42% à 45,5% d'ici 2030. Dans ce contexte, il nous paraît évident que la contribution des entreprises à l'atteinte des engagements tenus par le pays, en termes de lutte contre le changement climatique et d'atténuation des impacts de leurs activités, sera au centre d'attention des donneurs d'ordre. Pour le moment, seules les entreprises marocaines faisant appel à l'épargne sont dans l'obligation de publier leurs rapports ESG (exigés par la circulaire de l'AMMC n°03/19 du 20 février 2019 relative aux opérations et informations financières). Toutefois, nous avons noté ces trois dernières années un véritable engouement pour ces sujets avec de grandes entreprises marocaines qui ont rejoint le mouvement en intégrant le risque carbone de leurs activités, soit en anticipation des futures politiques du pays au regard des objectifs ambitieux fixés pour l'environnement ou bien en préparation des imminentes barrières non tarifaires envisagées par nos partenaires commerciaux pour accéder à leurs marchés. Quel est l'état des lieux de la décarbonation au niveau des entreprises, notamment industrielles ? Quels sont les secteurs les plus concernés par ce processus ? A l'échelle mondiale, le Maroc est classé dans la catégorie de pays dits «faibles émetteurs». Malgré cela, il présente un potentiel de réduction des GES qui reste important. Le nouveau modèle de développement, ainsi que la nouvelle Stratégie nationale de développement bas carbone à l'horizon 2050 illustrent parfaitement la politique volontariste menée par le pays dans cet objectif. Il faut dire que pour atteindre notre neutralité carbone, tous les secteurs de notre économie devront se transformer. La croissance affichée par le pays est, en grande partie, tirée par son secteur industriel, secteur qui n'a cessé de progresser ces dernières années. L'industrie représente à elle seule plus de 1/5e des besoins en énergie nationaux. Trois branches de notre industrie se démarquent par leur caractère énergivore : Les cimenteries et industries des matériaux de construction, l'agroalimentaire et les industries chimiques. L'état des lieux montre une forte hétérogénéité dans l'engagement dans la décarbonation entre les grandes structures qui ont d'ores et déjà lancé de grands projets pour maîtriser leurs émissions directes et indirectes liées à leurs consommations énergétiques et les structures moyennes et plus petites qui ont pris du retard par rapport à cette transition. Aujourd'hui, plus que jamais, face à la volatilité des prix sur les marchés énergétiques et à l'instauration imminente de la taxe carbone aux frontières européennes, la décarbonation constitue la clé de la compétitivité de nos entreprises industrielles, qu'elles soient exportatrices ou pas. Le nouveau mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) sera bientôt imposé. Les entreprises marocaines n'ont d'autres choix que de répondre aux critères exigés. Comment s'y préparent-elles ? Présenté comme le chantier phare du «Pacte vert» pour l'Europe, le mécanisme d'ajustement aux frontières devrait entrer en vigueur de manière progressive à compter du 1er janvier 2023. Lors de la période de transition, prévue sur les 3 premières années, les émissions carbones des produits seront uniquement déclarées par les importateurs européens. Et ce n'est qu'à partir de l'année 2026 que celles-ci seront payées. Ce mécanisme ne concerne, dans un premier temps, que les secteurs à fortes émissions exposés au commerce international, à savoir l'aluminium, l'acier, le ciment, l'électricité et les engrais. Il pourra être élargi aux autres secteurs à partir de l'année 2026. Concrètement, l'Union Européenne appliquera un surcoût à tous les biens importés sur son territoire et dont les processus de production affichent un bilan carbone supérieur à un seuil jugé acceptable. A ce jour, ces seuils ne sont pas encore fixés et devront l'être cet été. Ce sont des mesures contraignantes et lourdes de conséquences pour nos industries et notre économie. La décarbonation est une démarche essentielle si nous voulons à la fois préserver notre écosystème industriel et relancer notre économie pour gagner de nouvelles parts de marché à l'international. D'ailleurs, dans le plan de relance 2021-2023, le Maroc affiche clairement l'orientation pour une industrie nationale innovante, décarbonée, et compétitive. Aussi, un programme dédié «Tatwir – Croissance verte» a été mis en place pour accompagner les TPME industrielles dans leur démarche de développement de processus et produits décarbonés pour l'émergence de nouvelles filières industrielles vertes. Les entreprises ayant entamé leur transition envisagent leur décarbonation à travers des initiatives liées à l'intégration des énergies renouvelables et du stockage électrique, à l'efficacité énergétique, à l'efficacité des ressources et à la mise en œuvre de modes de transports plus verts pour leurs marchandises. Malgré le fait que nos industries ne sont pas totalement préparées, nous restons convaincus que le mouvement vers la décarbonation est bien enclenché, et que cette transformation devra se faire de manière ciblée, secteur par secteur et par chaque segment des chaînes de valeur. Avec des moyens adaptés pour qu'aucune composante du tissu économique ne soit oubliée dans cette transition. La levée des barrières réglementaires autour de l'autoproduction et de l'injection des énergies renouvelables dans les réseaux nationaux est également la clé pour atteindre leur plein potentiel. Autrement, comment les entreprises, dans l'incapacité de s'adapter, pourraient-elles survivre, si elles sont écartées de leur principal marché à l'export ? Le MACF prévoit une période de transition qui constitue une flexibilité destinée à permettre aux entreprises de s'adapter et aux autres entreprises, non concernées par ce premier jalon, de se préparer à la future intégration de leur secteur d'activité dans le mécanisme. A terme, toutes nos industries exportatrices seront concernées. Tout le défi se trouve dans la prise de conscience rapide par ces entreprises et l'engagement de leur transformation. Il faut savoir qu'en termes de décarbonation, le chemin de transformation est souvent lent et nécessite une mobilisation considérable des ressources des organisations. Toutefois, des «quick wins» existent, c'est-à-dire des mesures simples et rapides à mettre en œuvre qui permettent des gains conséquents sur le bilan carbone des organisations. Pour gérer ce risque de perte de compétitivité et assurer leur pérennité, nos entreprises exportatrices n'auront de choix que de s'adapter. Pour cela, elles devront avoir confiance en leur capacité à se transformer et coopérer avec les grandes entreprises ayant avancé dans leur décarbonation et l'Etat devra agir pour protéger celles qui seront en difficulté. La facilitation de l'accès au financement, la création et la reconnaissance au niveau international d'un label marocain certifiant la décarbonation, la création d'un cadre fiscal incitatif, la fourniture d'une énergie verte, l'électrification des usages de l'énergie et l'efficacité énergétiques constituent des mesures stratégiques qui peuvent apporter un appui considérable à nos entreprises, quels que soient leur taille et leur secteur d'activité. Quelles sont les raisons pour lesquelles les entreprises pourraient rechigner sur les moyens pour faire de la décarbonation un facteur de croissance de l'entreprise ? Comme dans tout projet de transformation, ces questionnements sont tout à fait légitimes et répondent très souvent aux préoccupations des dirigeants face à ces projets d'envergure, lents et coûteux en termes de ressources. Toutefois, s'agissant de la décarbonation, les entreprises vont devoir agir sous la contrainte de la réglementation, il en va de la pérennité de leurs organisations. Avec quelques années de recul, nous pouvons désormais affirmer que les industriels qui ont sauté le pas de la décarbonation tirent un bilan positif de leurs investissements. Ces bénéfices sont mesurables en termes de rentabilité, sur la qualité des produits, sur la réputation et l'image de marque. D'ailleurs, lors d'une enquête récente PwC «Finance et RSE : Vision de l'esprit ou avenir de l'économie et des entreprises», nous avons prouvé que durant la pandémie les entreprises responsables affichant une bonne performance ESG ont démontré une forte résilience financière et ont enregistré une surperformance financière de 16,8 points par rapport aux autres entreprises. Ce qui laisse à conclure que ce type de projets peut représenter une valeur ajoutée en termes de qualité et de résilience sur le marché financier. En résumé, pour répondre à cette question, la décarbonation ne doit pas uniquement être vue sous l'angle de la contrainte, avec un nouveau risque carbone à considérer et à gérer au sein de l'organisation. Elle constitue surtout une réelle opportunité pour les entreprises d'optimiser leur fonctionnement, de renforcer leur résilience, de gagner de nouvelles parts de marché et d'envisager de nouveaux relais de croissance. «Notre offre de services liée à la décarbonation vise à accompagner les acteurs économiques dans leurs efforts» La décarbonation nécessite un accompagnement. De quelle manière PwC au Maroc assure cet accompagnement et mène les entreprises vers cette décarbonation ? PwC au Maroc a pour ambition stratégique de devenir l'acteur de référence de la création de confiance et de la transformation durable des entreprises, en ligne avec la stratégie mondiale du réseau PwC, The New Equation. Notre offre de services liée à la décarbonation et au risque climat vise à accompagner les acteurs économiques du pays dans leurs efforts de décarbonation. Pour les acteurs du secteur énergétique, nous les accompagnons dans le verdissement de leurs activités et le développement des EnR (Energies renouvelables). Les établissements publics et les collectivités territoriales sont accompagnés dans leur transition bas carbone et le développement de mobilité du transport. Et enfin, les industriels sont accompagnés dans le développement de produits bas carbone et de stratégie de décarbonation Nous conseillons les entreprises pour préparer leur avenir dans un monde bas carbone, en les accompagnant à partir de leurs simples interrogations quant aux projets d'envergure, pour élaborer leurs stratégies de décarbonation et la feuille de route associée ; anticiper et évaluer les impacts des nouvelles réglementations sur leurs activités à court et à long terme ; identifier les projets de décarbonation adaptés et à structurer leurs modèles financiers ; adapter les modèles opérationnels pour accélérer leur décarbonation ; évaluer les défis et les occasions à venir en matière de conformité. Et enfin, réaliser leur bilan carbone et les reporting ESG pour conduire la transformation. Nous disposons pour cela au Maghreb et en France d'un réseau de plus de 80 consultants ayant une forte expertise dans l'accompagnement sur les enjeux climatiques et une solide expérience auprès de nombreux acteurs financiers. Nos équipes locales s'appuient sur une plateforme stratégique mondiale Sustainability regroupant près de 2 000 personnes dans 70 pays qui nous permet d'accompagner nos clients de la stratégie à l'exécution. Par ailleurs, PwC s'est engagé dans une politique NetZero à l'horizon 2030 et interagit avec ses parties prenantes (gouvernements, clients, collaborateurs, partenaires, acteurs institutionnels...) autour des enjeux RSE portés par la firme.