Le Chargé de Recherches au Programme Sécurité Energétique et Changement Climatique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (KAS – REMENA), Yassine Zegzouti, revient dans une interview à la MAP, sur la décarbonation et son impact sur l'industrie et l'économie au Maroc. – Comment la décarbonation profite-t-elle à l'économie ? Le Maroc s'est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre jusqu'à 32 % d'ici 2030. Cet objectif devra être atteint tout en maintenant une forte croissance économique, ce qui est une condition préalable. En général, pour que les pays en développement puissent prospérer, les mesures d'atténuation sont principalement considérées comme économiquement coûteuses et tous les coûts encourus sont considérés comme un fardeau. De ce fait, les pays doivent mettre de côté l'idée classique selon laquelle les mesures d'atténuation n'imposent que des coûts à l'économie. Comme alternative, les pays doivent faire des analyses plus larges et inclusives des changements qu'une stratégie faible en carbone apporte à leur économie et plus particulièrement à leur prospérité future. C'est dans ce contexte que la décarbonation offre des possibilités d'améliorer la productivité du capital et des ressources au Maroc. Cela pourrait être réalisé principalement en réduisant la part du charbon, le combustible le plus intensif en carbone, en faveur des énergies renouvelables dans la production d'électricité et l'utilisation de l'énergie industrielle, d'autant plus que plus de la moitié de l'électricité du Maroc est produite à partir du charbon. L'amélioration de l'efficacité énergétique technique, c'est-à-dire la quantité d'énergie nécessaire pour produire un bien ou un service particulier, peut également contribuer à la croissance du PIB. Un autre exemple est l'utilisation de l'hydrogène et de l'ammoniaque vert pour réduire la dépendance de l'industrie des engrais aux combustibles fossiles. Un autre secteur qui contribue au développement de l'économie marocaine est celui du transport, dont la décarbonation par l'utilisation des carburants verts et aussi l'adoption de transports publics permettra de créer des emplois verts et de réduire la congestion routière. J'estime que la mise en œuvre de projets visant à décarboner différents secteurs au Maroc permettra d'ouvrir la possibilité à des collaborations avec des pays qui ont fait des progrès importants en matière de décarbonatation et de transition énergétique, comme l'Allemagne. Ces collaborations draineront des financements importants pour l'économie marocaine, sans oublier que les incitations fiscales ( taxe carbone ... ) qui peuvent être associées à la décarbonation peuvent également bénéficier à la croissance économique. – Le Maroc avait lancé le programme « Tatwir croissance verte » pour l'appui à la décarbonation des TPME industrielles. Quelle lecture faites-vous des efforts consentis pour faire aboutir et surtout réussir cette transition de l'industrie nationale ? Un programme très important qui opte pour une approche proactive de décarbonation des très petites, petites et moyennes entreprises (TPME) pour être compétitif sur le marché. En fait, ce programme préparera les TPME au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) qui couvre actuellement le ciment, l'aluminium, les engrais, la production d'énergie électrique, le fer et l'acier. Dans les années à venir, d'autres activités seront couvertes par MACF, qui concernent principalement les secteurs menés par les PME. A mon avis une communication sur les TPME ayant bénéficiées de ce programme peut inspirer les autres entités à recourir à ce choix et donc à se procurer des systèmes et des technologies pour la décarbonation de leurs produits et leur démarche. En particulier, plus la même chaîne de valeur partage l'objectif de décarbonation, meilleurs seront les résultats. Ce climat d'affaires favorisera bien évidemment l'investissement dans les secteurs liés aux technologies propres, notamment avec les avantages offerts dans le cadre de la loi 03-22 formant la charte de l'investissement et aussi avec le lancement des zones industrielles de nouvelle génération. – Quelle place occupe l'économie circulaire dans cet écosystème ? Et comment pourrait-elle contribuer au processus de décarbonation ? L'un des piliers les plus importants de la stratégie de développement à bas carbone à l'horizon 2050, qui s'articule autour de 7 orientations stratégiques , est l'économie circulaire, laquelle vise une utilisation plus efficace des matériaux et des produits, par le biais du recyclage, de la réutilisation, de la réparation, de la remise à neuf et de la fabrication. L'économie circulaire a récemment gagné en importance dans les agendas des décideurs politiques en tant que moyen supplémentaire pour favoriser la décarbonation par des moyens non énergétiques et en tant que solution potentielle à l'approche actuelle de décarbonatation partielle. En effet, les actions d'économie circulaire telles que l'optimisation de l'utilisation des ressources, l'optimisation de l'utilisation des produits et l'augmentation du bouclage des flux de matières peuvent également entraîner des économies d'énergie et donc une réduction des émissions des gaz à effet de serre. Cependant, jusqu'à présent, les politiques marocaines d'économie circulaire et d'atténuation du climat sont à peine liées et plutôt que d'être considérées comme deux silos, l'économie circulaire peut être utilisée comme un mécanisme pour atteindre la décarbonation. Par conséquent, il est absolument nécessaire de faire un éclairage sur la mesure dans laquelle l'économie circulaire peut soutenir la décarbonation de l'économie marocaine d'ici 2050. À cette fin, les politiques et stratégies innovantes qui peuvent accélérer la transition vers une économie circulaire devraient être mises en œuvre avec un engagement fort dans la planification des programmes et la participation de multiples acteurs. Il est à noter que ces stratégies ne sont pas simples à déployer. Bien que la « circularité » ait pris beaucoup d'ampleur ces dernières années, de nombreuses solutions ne sont pas mises en œuvre à grande échelle. En outre, les entreprises qui cherchent à mettre en œuvre des solutions circulaires sont confrontées à un certain nombre de défis, notamment un manque d'accès aux matériaux et même un manque de capacités. La complexité réside dans le fait que de nombreuses solutions impliquent une série d'acteurs le long de la chaîne de valeur, les entreprises et les parties prenantes ayant souvent une interaction limitée entre elles. En plus de tous ces défis, un avis consultatif a été émis par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur l'économie circulaire, qui a déclaré que les efforts déployés et surtout l'arsenal juridique ont montré leurs limites pour garantir une transition vers l'économie circulaire, puisque le modèle actuel est basé sur une économie linéaire, d'où la nécessité d'actualiser cet arsenal en fonction des spécificités du Nouveau modèle de développement.