Renforcer l'inclusion financière et combattre l'informel passera par le digital. L'esprit entrepreneurial prend du terrain. Les banques se transforment mais les coûts technologiques freinent leur élan. Sur fond de forte progression de la téléphonie mobile, du déploiement progressif du haut débit et de l'émergence d'une multitude de start-up, on peut dire qu'en matière de digital, l'Afrique d'aujourd'hui innove à grande vitesse. Un succès construit autour de cinq grands sauts. L'explosion des Télécoms spécialement depuis le déploiement du mobile. Selon l'Association internationale GMSA qui représente les intérêts de plus de 750 opérateurs et constructeurs de téléphonie mobile de 220 pays du monde, le continent atteindra, en 2024, 1 milliard de connexions mobile. Et un taux de pénétration de plus de 50% d'abonnés d'ici 2025. Le deuxième saut est indéniablement le paiement mobile où le continent, pionnier dans ce domaine, continue de développer des modèles facilitant ainsi l'inclusion financière. Le troisième est le e-commerce, avec une augmentation des ventes en ligne, malgré la persistance de certains freins tel que l'accès à internet, l'utilisation importante du cash... Le quatrième saut est en rapport avec le e-gouvernement qui a subi sans nul doute un booste depuis la crise sanitaire. Les citoyens ont eu besoin d'interagir avec leurs administrations. Le digital a été dans ce cas vital. Le dernier saut concerne l'économie des plateformes qui oblige les acteurs privés et publics à repenser leurs business model, afin de mieux répondre aux attentes des usagers. Mais cette Afrique en pleine mutation continue à évoluer à grande vitesse. La biométrie, l'identité digitale, la blockchain sont des directions que le continent a pris à bras-le-corps. Le succès de cette transformation est tributaire d'une conformité et une confiance dans la sécurité inscrite dans chaque développement. La cybersécurité est, à ce titre, un pilier de la digitalisation et la protection des données, qui est le nouvel eldorado, l'or noir des industries futures. Pour voir un peu plus clair sur l'accélération numérique, un webinaire a été tenu cette semaine par Africa Pay&ID Expo pour donner la parole à des experts reconnus dans leurs domaines respectifs qui ont mis la lumière sur les 15 tendances qui façonneront l'Afrique de demain dans le domaine du paiement, du mobile, de l'identité et de la cybersécurité. Le paiement électronique, un outil stratégique de développement du pays Concernant le paiement électronique, Abdeslam Alaoui, CEO du groupe HPS, souligne les efforts effectués par les acteurs du paiement durant ces dernières années et estime que le meilleur à tirer de cette pandémie est cette prise de conscience que le cash était un vecteur de virus et qu'il n'était plus une valeur refuge pour cela. Un bon stimulus pour utiliser moins de cash et, de facto, accélérer le paiement électronique. On ouvre ici la parenthèse pour mentionner que le coût du cash pèse de plus en plus lourd sur les économies africaines, puisqu'il représente entre 0,2% à 0,8%du PIB, selon les pays. Le fait de réduire le cash serait une aubaine pour tous. M. Alaoui affirme que «dans certains pays, une grande réflexion a été menée pour sensibiliser, obliger ou donner envie à un commerçant de ne pas accepter de cash, à un payeur de ne pas aller à un guichet automatique pour retirer de l'argent. Le but étant de se rapprocher le plus d'un modèle de société plus ''électronique''». Et les retombées sur l'économie ne seront que bénéfiques. «En offrant des services administratifs à des personnes préalablement identifiées de manière numérique, on limitera drastiquement le poids de l'informel- (NDLR qui brasse dans certains pays du continent quasiment deux fois le PIB) et l'on pourra même récupérer ces flux hors circuit financier pour les réinjecter dans l'économie. La refonte des ces modèles de commission de paiement qui deviennent gratuits dans certains pays est d'ailleurs importante», enchaîne M. Alaoui. Un autre cercle vertueux constaté par le CEO de HPS, est l'esprit entrepreneurial de plus en plus présent depuis la crise sanitaire. Dans plusieurs pays, et notamment au Maroc, malgré cette culture de «prudence», d'aversion du risque ancrée dans l'éducation des générations, ils sont de plus en plus de jeunes à préférer l'entrepreunariat au salariat. Les fonds d'investissement accompagnent d'ailleurs cette tendance, et malgré une année catastrophique, le nombre d'investissements dans les start-up a augmenté de 44% au Royaume (le volume de l'investissement a tout de même baissé). En parallèle, un second marché s'installe aujourd'hui. «Nous ne sommes plus dans des start-up en phase de démarrage, mais plutôt dans des entités en phase de scalabilité», observe l'expert. Une autre tendance observée, que ce soit au niveau des banques, des néobanques et des fintechs qui naviguent aujourd'hui dans un écosystème constamment évolutif. La fragmentation du paiement ramène de nouveaux entrants munis de solutions intelligentes en réponse à des industries spécifiques. Exemple du microcrédit, du transfert d'argent, du paiement instantané, etc. Devant cette pression et cette mutation du paysage, les banques se transforment et présentent de plus en plus d'offres digitales en «self service», elles ne privilégient plus les visites en agence. Et, dans leurs stratégies elles misent toutes sur le digital factory pour revoir leurs parcours client, etc. «Certes, cette tendance ne donne pas forcément des résultats à tous les coups, car la deep banking, dans son sens le plus procédural du terme, continue à peser. Et quand la dette technologique est trop lourde à porter, ces banques ne réussissent pas forcément la transformation due à cette pression exercée de l'extérieur. Mais on pourrait retenir tout de même que les banques se transforment profondément et ce n'est pas que du marketing !» L'identité digitale fait partie des combats africains Dans son intervention, Lacina Kone, CEO de Smart Africa Rwanda, considère l'identité digitale comme un combat africain. Le système de l'identité numérique est un outil efficace pour atteindre les populations marginalisées, améliorer la prestation du service public et débloquer certaines opportunités économiques. «Deux grands défis empêchent aujourd'hui notre continent de profiter pleinement de cet aspect. Un : 55% de la population d'Afrique subsaharienne ne dispose pas d'une pièce d'identité officielle. Ce qui exclut, de facto, cette population des services de base. Deux : nos systèmes d'information sont pour la plupart fragmentés et nationaux, rendant l'accès aux services peu pratique, que ce soit pour les citoyens ou pour les entreprises. Pour réussir à développer le système d'identité numérique, nous souhaitons travailler sur deux grands chantiers, à savoir la protection des données personnelles et l'interopérabilité des systèmes», explique-t-il.