Les médecins n'informent pas leurs patients des effets secondaires des médicaments prescrits par leurs soins, et ne les sensibilisent pas à l'importance de signaler les effets qu'ils constateraient. Des fiches de pharmacovigilance existent bel et bien, mais la loi n'oblige pas à la déclaration. Le secteur de la santé au Maroc a récemment été ébranlé par les inquiétudes affectant médecins et patients quant à l'utilisation ou non de certains produits pharmaceutiques. Entre autres, le vaccin contre l'hépatite B, qui provoquerait une maladie neurologique rare, la sclérose en plaques et l'Ibuprophène (anti-inflammatoire non stéroïdien), qui occasionnerait des complications cutanées graves. Les inquiétudes ont été telles qu'afin de réunir davantage d'éléments scientifiques qui mettraient définitivement fin à cette polémique, la commission nationale de pharmacovigilance a réuni des experts marocains mardi 21 septembre. Pour le Pr Abdelaziz Agoumi, directeur du Médicament et de la pharmacie au ministère de la Santé, les choses ne sont pas aussi tranchées : toute décision relative à un médicament nécessite l'appréciation du rapport bénéfices/ risques. Ainsi, dans le cas de l'Ibuprophène, par exemple, les bénéfices sont très importants et donc son utilisation ne doit pas être entachée, avec évidemment toutes les précautions d'usage, qui ont été bien explicitées dans la note ministérielle du 16 septembre 2004, précise-t-on. Mais ces événements, qui défraient la chronique médicale marocaine, ne sont que la partie visible d'une grande problématique nationale, celle de la non-notification et de la non-déclaration spontanée des effets indésirables des médicaments par les professionnels de la santé. Cette déclaration, tient à éclaircir le Pr Rachida Soulaymani Bencheikh, directrice du Centre antipoison et de pharmacovigilance du Maroc, ne constitue une sanction ni vis-à-vis du médecin, ni vis-à-vis du médicament. La loi de 1977 n'impose pas de contrainte au corps médical Il est naturel qu'un médicament puisse donner parfois des effets indésirables, renchérit-elle, même quand toutes les règles de qualité sont respectées, que la production est faite selon les standards internationaux et que toutes les précautions d'usage sont prises. Mais le plus important est que le médecin ainsi que le patient déclarent les effets indésirables des médicaments. Car ce genre de démarche est essentiel pour que les autorités de tutelle puissent entreprendre à l'avenir les actions adéquates afin de prévenir des situations dramatiques. Si dans l'Hexagone il y a une obligation pour le médecin et pour le pharmacien de déclarer les effets indésirables des médicaments, dans notre pays, le seul texte législatif existant est le décret de 1977, qui oblige uniquement les laboratoires pharmaceutiques à la déclaration dans le pays d'origine du médicament en cause. Aujourd'hui, le paysage de l'industrie pharmaceutique a complètement changé, dans le sens où le Maroc produit plus de 80% de ses besoins en médicaments. L'obsolescence de ce texte de loi est évidente et il est donc urgent de procéder à son actualisation. Par ailleurs, l'industrie pharmaceutique marocaine, par le biais notamment de l'Association marocaine de l'industrie pharmaceutique, doit avoir l'intelligence et l'honnêteté intellectuelle et scientifique de publier dans son rapport d'activité 2004, tous les effets secondaires relevés sur le terrain. Une tâche nullement impossible puisqu'elle dispose des remontées d'informations fournies par son armée de visiteurs médicaux, qui sillonne villes et villages du Royaume, à l'écoute des prescripteurs. De son côté, le Pr Agoumi tient à rappeler à tous les professionnels de la santé (médecins, pharmaciens et infirmiers) que tout médicament, dispensé ou administré, doit bénéficier d'un suivi rigoureux pour son effet positif attendu, curatif ou préventif. Il les incite également à être à l'écoute du malade en cas de déclaration d'effets inattendus. Et surtout de procéder à des notifications dans la fiche de recueil de pharmacovigilance, mise à leur disposition par le Centre marocain de pharmacovigilance. D'ailleurs, ce système de surveillance opère à grande échelle puisque 70 pays disposent actuellement de centres nationaux de pharmacovigilance, reliés par un réseau international, initié par l'OMS dès les années 1960. Et cela, avec un objectif primordial : déclencher rapidement l'alerte dès la validation d'un effet indésirable grave La non-déclaration d'effets secondaires par les médecins marocains serait-elle liée à un manque de sens civique, à l'absence d'une culture de déclaration ou plutôt au vide juridique ? Aucune étude n'est disponible pour répondre à ces interrogations. Cependant, il est inadmissible pour le Maroc – avec ses 13 000 médecins travaillant aussi bien dans le secteur libéral que pour le compte des ministères de la Santé, de la justice, de l'Intérieur ou autres – notamment le secteur militaire- qu'on ne déclare que 1 500 effets secondaires des médicaments par an. A titre de comparaison, en France, il y a 500 000 déclarations. Un gouffre nous sépare !