On a vu la bibine sans alcool, la charcuterie sans porc et voilà que l'on nous parle aussi d'une chaîne d'hôtels sans boissons alcoolisées. A ce rythme, il ne reste plus qu'à inventer par exemple le bordel sans putes. La hausse probable de 50 % de la taxe sur les alcools, annoncée en plein mois de Ramadan, est, si l'on ose dire, pain bénit pour le quotidien Attajdid qui s'est félicité de cette décision frappée au coin de la foi et de la bonne. Pour le fisc, c'est une niche, pour les viticulteurs c'est un coup de Jarnac et pour les autres, c'est selon. Il faut dire que le timing de l'annonce n'est pas innocent et fait un peu dans le m'as-tu-vu faussement religieux sinon dans la tartufferie, qui font des adeptes de plus en plus voyants et nombreux notamment pendant le mois de Ramadan. Bon, pour l'heure, ce sont surtout les producteurs de raisin qui sont en colère. Les raisons (les raisins ?) de la colère ? Une telle mesure serait improductive et contradictoire avec les propos de l'Etat et l'encouragement des investissements dans le secteur suite aux dernières concessions de la Sodea et de la Sogeta passées à des personnes et groupes privés. Le lobbying des producteurs de vin risque de rester sans portée en ce mois sacré durant lequel même les alcoolos les plus accomplis laissent tomber la picole, voire la pourfendent dans la ferveur des prières post-f'tour. En effet, le grand chic aujourd'hui, c'est de se rendre à ces tarawih, prières supplémentaires et ininterrompues, une sorte de rabe spirituel dans lequel même les âmes les plus pourries espèrent se racheter une pureté. C'est donc râpé pour le soutien d'une opinion publique toute à son exercice de foi islamique après une journée de jeûne et d'abstinence. Par contre, une autre campagne de pub pour une marque d'alcool aurait bien marché mais sans l'alcool. Comment ça ? On s'explique. On avait annoncé il y a quelques mois l'arrivée au Maroc d'une bière sans alcool, produite par une filiale de la fameuse marque Heineken, et en Egypte en plus. Une bière sans alcool, fabriquée au pays d'Al Azhar et répondant au doux nom de Fayrouz, voilà une boisson halal de chez halal. On dit qu'elle est à base de malt mais au goût de fruits exotiques : c'est un peu la limonade Hawaï qui aurait la couleur de la bière, le goût de la bière mais qui n'est pas la bière. C'est fou ce que certains musulmans, pratiquants ou pas, cultivent ce fantasme du «sans» (en arabe «bidoune» et qui n'a rien à voir avec «bidon», encore que.. .). On a vu la bibine sans alcool, la charcuterie sans porc et voilà que l'on nous parle aussi d'une chaîne d'hôtels sans boissons alcoolisées. A ce rythme, il ne reste plus qu'à inventer par exemple le bordel sans putes. Cette «quête du sans» a remplacé la quête du sens des choses. La tentation du péché est là mais on veut fauter sans payer la rançon du vice qui est inhérent à tout péché et qui, peut-être, fait tout son attrait. Loin du péché et du vice, ces chiffres avancés par le ministre des Habous et des Affaires islamiques dans un entretien avec la presse : il y a cinq millions de personnes qui se rendent dans les mosquées. Et le ministre d'ajouter cette précision mystérieuse : derrière chaque fidèle qui prie, il y a cinq membres de sa famille qui en font autant. Ce qui nous fait : 5 x 5=25 millions. Sur 30 millions de Marocains, ça fait beaucoup de monde. On ne sait pas si le ministre, historien de formation et homme de lettres pour le plaisir, faisait dans la métaphore ou dans la pensée magique. Adepte du soufisme, il a dû s'emmêler les chiffres et les extases mystiques. Cependant, pour les cinq millions de fidèles qui se rendent physiquement à la prière, on a lu le même chiffre dans la presse, qui avait cité les Renseignements généraux comme source. (En général, c'est le contraire car ce sont les RG qui citent la presse dans leurs fiches). On connait les estimations toujours contradictoires de la police et des organisateurs de grèves: 100 000 selon les syndicats, 50 000 selon la police. Ailleurs, la police dispose maintenant d'une technique de comptage sur photos qui a fait ses preuves, après avoir compté à la louche à partir des balcons et des terrasses. Chez nous, on ne sait pas en quoi consiste la technique de comptage et de la police et des Habous. Mais avouez que s'il y avait cinq millions de personnes qui se rendaient cinq fois par jour dans les mosquées, ça se saurait. Si on retient aussi les 5×5 =25 millions extrapolés, selon le ministre des Habous, on peut alors considérer que le Maroc est une immense salle de prière. A force de jouer avec les chiffres et la croyance, à force de mettre de la mystique là où on doit instaurer la cohérence et la raison, on finit par se prendre les pieds dans le tapis de la prière des gens sans foi. Une prière, disait Kafka, est «une main tendue pour saisir une part de grâce.» Mais il faut croire que certains la tendent pour saisir une part de gâteau.