Les entreprises leur offrent peu de chances, elles continuent à juger les gens sur leurs diplômes plutôt que sur leur compétence. A défaut de pouvoir postuler à des postes d'encadrement ou de direction, le meilleur moyen pour arriver au sommet est encore de créer sa propre entreprise. «Grande société pharmaceutique cherche dans le cadre de son développement des responsables régionaux de formation bac+4 scientifique et/ou en management…». «Filiale d'un important groupe international cherche un chef de projet informatique… Le candidat devra être diplômé d'une grande d'école d'ingénieur…». «Important groupe offre des possibilités de carrière dans le domaine commercial à des titulaires de BTS». Ce genre d'offres d'emploi, on en trouve tous les jours dans la presse. Leur point commun est qu'elles s'adressent exclusivement à des diplômés de l'enseignement supérieur. Très souvent, le bac est le niveau minimum requis. De là à dire que les entreprises n'aiment pas les autodidactes, il y a un pas qu'on peut très vite franchir sans risque de se tromper. Le complexe du diplôme, un héritage de la culture française, est très vivace dans notre environnement. A tel point que le diplôme devient un élément du statut social. Ne voit-on pas des managers mépriser des collègues qui ont des formations jugées moins cotées. Les exemples sont nombreux. Ainsi, des polytechniciens nous ont avoué qu'ils préféraient s'asseoir à la même table que des collègues ayant le même cursus universitaire. Demandez à un HEC comment il juge un Essec et vice versa ? Certains employeurs préfèrent le diplômé d'une petite école européenne à un lauréat d'une formation locale. Expérience, ouverture et rigueur, de bons moyens de franchir les paliers Bref, contrairement au pragmatisme anglo-saxon qui met en avant les compétences personnelles (motivation, dynamisme, rigueur, organisation, sens du commerce, du service et des chiffres), au Maroc, on préfère juger les gens sur la longueur de leur CV et le prestige des écoles qu'ils ont fréquentées. Difficile donc pour les non diplômés de prétendre à des postes de responsabilité alors qu'ils ne peuvent même pas postuler pour un emploi non valorisé. Bref, les connaissances sont très peu reconnues quand elles ne passent pas par un savoir normatif, l'enseignement en l'occurrence. Les autodidactes ne sont pas pour autant condamnés à rester sur la touche, même s'ils ne peuvent saisir leur chance que dans le privé, sachant que le secteur public est complètement verrouillé par le système des échelles, déterminé pour l'essentiel par le niveau et la nature des études. En effet, certains d'entre eux ont réussi à sortir du carcan dans lequel veut les confiner le système. Entrée dans le monde de l'entreprise juste après le bac, R.H., une femme de caractère, a réussi à se hisser au poste de responsable des relations sociales dans une grande entreprise et entretient une vie associative très animée. Parti d'un poste d'aide-comptable, B.F. est devenu directeur financier vingt ans après ses débuts. Dans le système de management français que nous mimons jusque dans ses pires défauts, des autodidactes sont devenus des managers hors pair. L'icône de ces dirigeants atypiques est aujourd'hui Jean François Dehecq, président de Sanofi-Synthelabo-Aventis, qui était prof de maths à ses débuts. Notons aussi que Xavier Couture, qui a dirigé Canal+ du temps du tout puissant Jean Marie Messier, n'avait que le bac. Ils ont souvent une capacité d'analyse remarquable Le dénominateur commun de ces personnes ? Elles ont fait preuve d'une solide volonté d'apprentissage et sont très ouvertes sur leur environnement. Ces personnes s'imposent en outre beaucoup de rigueur du fait qu'elles doivent, à chaque étape de leur parcours, prouver leur valeur. Psychologiquement, elles ont aussi réussi à se décomplexer vis-à-vis de leurs collègues. C'est dire que l'expérience accumulée vaut toutes les écoles de la terre. Par ailleurs, et comme le souligne Essaïd Bellal, administrateur-directeur général du cabinet Diorh, nombre de bacheliers des années 70 ou plus sont plus compétents que les licenciés d'aujourd'hui. Il n'en reste pas moins que, sur la place, toutes les entreprises ne donnent pas leur chance aux autodidactes. Généralement, ce sont les entreprises familiales et les filiales de multinationales qui sont les plus ouvertes à ces profils. Dans les PME qui ont su garder une structure souple, il est aussi possible de franchir des paliers sans avoir à présenter un CV bourré de diplômes. C'est aussi le cas dans le secteur hôtelier, explique Jamal Amrani, DRH d'Accor Maroc, qui évoque le cas d'un animateur devenu directeur d'hôtel et d'un gouvernant promu au rang de manager. Plus loin de chez nous, et notamment aux Etats-Unis, Aziz A., Marocain de 33 ans, raconte comment il s'est retrouvé gérant d'un hôtel de la chaîne Best Western à 29 ans, cinq ans après avoir raté le passage en deuxième cycle de l'Institut supérieur de Tourisme de Tanger. Parti pour un stage chez Disneyworld, en Floride, il a vécu ensuite en clandestin avant de réussir à se faire une place au soleil. «Certes, raconte-t-il, il a fallu trimer dur et, au sein de l'hôtellerie, j'ai pratiquement grimpé tous les échelons. Il faut dire que je passais mes soirées à apprendre le métier des autres en donnant un coup de main par ci par là.» Une stratégie payante qui illustre bien la différence de cultures entre deux systèmes: l'un qui fait du diplôme un pré-requis de compétence et l'autre qui favorise en priorité le savoir-faire. Cela dit, et à défaut de pouvoir obtenir une validation des acquis pour postuler à des postes d'encadrement ou de direction, le meilleur moyen pour arriver au sommet reste la création d'entreprise. En regardant autour de nous, on s'aperçoit que les plus grands groupes locaux sont créés par des self made men. Miloud Chaabi (Ynna Holding), feu My Ali Kettani (groupe Wafabank), Azbane, Rahal… Les exemples sont nombreux. A côté de ces mastodontes, qui n'ont eu au départ que leur flair et beaucoup d'audace, nombre de dirigeants de PME ont réussi à faire prospérer leur affaire. Leur caractéristique principale est qu'ils ont souvent commencé très jeune à développer un embryon d'activité, défiant parfois la logique de ce qui est enseigné dans les grandes écoles de management. «Leur capacité d'analyse est remarquable», assure M. Bellal. Et d'ajouter que leur force, c'est aussi de savoir s'entourer de gens compétents et cela, tout manager, aussi bien formé soit-il, doit pouvoir le faire. Aziz A., Marocain de 33 ans, s'est retrouvé gérant d'un hôtel de la chaîne américaine Best Westernà29 ans, cinq ans après avoir ratéle passage en deuxième cycle de l'Institut supérieur de Tourisme de Tanger. Le système anglo-saxon donne leur chance à ceux qui en veulent. Les plus grands groupes locaux sont créés par des self made men. Miloud Chaabi (Ynna Holding), feu My Ali Kettani (groupe Wafabank), Azbane, Rahal… Contrairement au pragmatisme des Anglo-Saxons qui privilégient les compétences personnelles, le complexe du diplôme, héritage de la culture française, est encore très vivace au Maroc.