Apparues depuis quelques années, des chaînes youtube didactiques marocaines semblent brasser un trafic relativement non négligeable. Le web peut-il suppléer les lacunes du petit écran en matière de contenu didactique ? Vulgarisateurs de sciences, dévoileurs de secrets d'histoire ou simplificateurs de concepts politiques, des jeunes marocains sortis de la grande matrice virtuelle génèrent des centaines de milliers de vues et d'abonnés grâce à un contenu de qualité, aux sources vérifiées, complètement dispensé en darija. Si le phénomène existe depuis longtemps en Europe ou aux Etats-Unis, où les youtubeurs les plus regardés parviennent même à vivre décemment de leur activité, son éclosion au Maroc mérite encouragement. Et pour cause. Les chiffres sur l'analphabétisme ne rendent pas compte de la déficience réelle du savoir, dans un système scolaire en défaite. Le miracle Youtube Najib El Mokhtari est un ingénieur, diplômé de Telecom Bretagne, pour le moins passionné par la science. Son engouement a commencé très tôt, lorsque ses grands frères, de formation scientifique également, lui expliquaient la carte du ciel en langage assimilable pour l'enfant qu'il était. Lorsque le miracle internet fut, il consomma tout ce qu'il trouva comme contenu, disponible uniquement en anglais. «Avec la révolution youtube de 2007 à 2009, il y a eu une sorte de rupture avec le contenu didactique institutionnalisé organisé à l'école. Etait venue l'ère ou l'on devait aller soi-même à la recherche de l'info», nous dit-il. Une nouvelle génération de youtubeurs est donc arrivée sur la toile, avec un peu de retard mais le recul nécessaire pour produire du contenu à la fois sérieux et ludique. Comme lui, Marouan Mharzi Alaoui s'attaque à l'histoire du Maroc à travers sa série «Tarikh Li ma qarawnach» (L'histoire qu'on ne nous a pas enseignée), pendant que Elmustapha Elfakkak, alias Swinga, explique pour les nuls, des concepts politiques de base, avec un bon travail de graphisme et d'animation. Disent-ils vrai ? Pour éviter de se «ridiculiser» sur la toile ou de manquer de consistance, un sérieux travail de documentation s'impose. Le background scientifique ne suffit malheureusement pas pour Najib El Mokhtari qui se heurte souvent à des résistances au sein même des écoles d'ingénieurs au Maroc. «La rigueur scientifique exige des références solides, tels que les grandes revues scientifiques crédibles de par le monde, ainsi que des avis d'experts reconnus», nous explique Najib El Mokhtari. Chacun de ses contenus doit alors se baser sur des sources de premier degré, c'est-à-dire des articles dans les revues spécialisées. On appelle sources de deuxième degré celles fournies par un journaliste spécialisé et de troisième degré celles rédigées par un journaliste généraliste. Pour ce qui est des experts, Najib bénéficie de l'appui et des conseils de l'astrophysicien américano-algérien Nidhal Guessoum ou du professeur d'algorithmique maroco-suisse Rachid Guerraoui. Même défi pour les autres chaînes youtube qui s'appliquent à citer les références et les écrits étayant leur contenu. Le pari n'est pas gagné pour autant, surtout lorsque s'opposent la science et les croyances populaires ou mystiques. Le nerf de la guerre Autre atout de ces chaînes didactique est le format court et ludique des vidéos. Quel que soit le sujet, l'aspect anecdotique de l'information est un élément majeur pour capter l'attention volage de l'internaute. Pour Najib Mokhtari, internet a signé la fin de l'attitude professorale. De plus, la recherche permanente de l'interactivité pousse ces passeurs du savoir à innover dans leur manière de transmettre l'info. Et ça marche. «Les gens s'intéressent vraiment aux choses qui touchent leur quotidien, comme par exemple la raison pour laquelle l'année lunaire est en décalage d'un pays à l'autre. Ça leur permet de comprendre pourquoi nous ne jeûnons pas le même jour», explique Najib El Mokhtari. En toute évidence, ces courtes vidéos demandent plus de moyens et de temps qu'il n'y paraît. Najib El Mokhtari, lui, a renoncé au confort d'un emploi stable pour se dédier à sa vocation de passeur de science. Qu'y gagne-t-il ? Pas grand-chose apparemment. «Aux USA, avoir un million de vues vous ramène à peu près 3000 dollars. Au Maroc : 2000 DH. Tout est dit. C'est une question de taille de l'écosystème», nous explique Najib El Mokhtari. Possible voie à explorer, pour ce genre de contenu, le crowdfunding encore titubant ou alors le sponsoring, pour peu que les annonceurs réalisent l'intérêt de l'entreprise. Reste alors le petit écran qui non seulement dispose des moyens, mais connaît un réel besoin en matière de programme de vulgarisation du savoir. A bon entendeur !