Le ministère de l'Intérieur et les prochaines élections Pour une fois le rôle du ministère de l'Intérieur dans la préparation des élections fait l'unanimité. Signe des temps, le changement donne ses fruits. Les changements intervenus à la tête du ministère de l'Intérieur commencent à produire leurs effets. Au-delà des hommes, c'est aussi le style qui a bénéficié d'un sérieux lifting. Mais ce sont les hommes qui font le style et cela est perceptible dans les nouveaux rapports établis entre ce super ministère et toute la classe politique. M. Jettou et son équipe peuvent se targuer d'avoir, pour la première fois au Maroc, brisé la couche de glace qui séparait naguère les opérateurs politiques et les cadres techniques de l'Intérieur. A telle enseigne qu'aujourd'hui, aucune voix ne s'est élevée pour contester le rôle et la mission dévolues à ce ministère dans la préparation des conditions pour le déroulement des prochaines opérations électorales. Même la mise en veilleuse de la fameuse commission de suivi des élections n'a pas suscité de position discordante. Est-ce à dire que M. Jettou a réussi à rétablir la confiance entre son département et les partis en réduisant sensiblement les suspicions réciproques ? Un rôle naturel Tout porte à l'affirmer à présent, puisque les projets présentés par ses équipes sont tous passés comme lettre à la poste. Et pour cause, l'approche consensuelle et surtout la force de persuasion du ministre de l'Intérieur ont eu gain de cause. Ce qui fait dire à M. Mohamed Brahimi, gouverneur directeur général des collectivités locales : “le rôle joué par le ministère de l'Intérieur entre tout à fait dans son périmètre de compétence et lui échoit tout naturellement au sein de l'équipe gouvernementale”. Par cette affirmation, c'est tout une page qui a été tournée, laquelle faisait de ce département un mastodonte capable d'écraser de son poids toute la société. Et M. Brahimi d'ajouter que “la personnalité de M. Jettou, sa crédibilité à toute épreuve et sa grande capacité d'écoute et de conciliation ont fait que le consensus auquel a appelé Sa Majesté le Roi, que Dieu l'assiste, a pu être réalisé et les points de vues qui paraissaient au départ si divergents rapprochés autour de l'objectif sacro-saint de tenir des élections au-dessus de tout soupçon, libres, sincères et transparentes, dont chacun mesure tout le profit pour les enjeux du futur”. L'opinion publique qui a suivi tout le processus de préparation et de consultation entre le ministère et les formations politiques a vu se dégager très tôt une tendance nette à la clarification de la situation. C'est que d'après M. Brahimi : “il n'y avait pas de divergences majeures sur les objectifs, mais des différences nettes d'appréciation sur les moyens”. La principale difficulté rencontrée par le ministère résidait notamment dans la recherche du compromis sur le choix du mode du scrutin puisque deux positions tranchées s'opposaient au début. D'une part, la plupart des partis de la majorité qui plaidaient pour le scrutin de liste à la proportionnelle, considéré comme le moyen à même de faire échec aux dérives électorales du passé et d'autre part, les partis de l'opposition qui souhaitaient le statu quo ; en l'occurrence le maintien du système uninominal à un tour, pour cause d'impréparation du corps électoral et d'absence de culture politique et électorale adaptée au scrutin de liste. Compromis sans compromission Ces positions ont amené M. Jettou et son équipe à sortir tout leur arsenal de persuasion afin de trouver une solution de compromis qui ne compromettrait pas pour autant le consensus. Dans ce cadre, la solution médiane consistait à retenir le mode de scrutin de liste tout en essayant de ramener les circonscriptions électorales à des échelles de proximité. C'était en quelque sorte partager la poire en deux. Chose qui a été réalisée puisque tous les partis, malgré quelques réserves somme toute normales, ont finalement béni cette solution. Il s'agit en effet, poursuit M. Brahimi, de “ne pas trop éloigner le périmètre électoral de l'électeur, car il faut garder ce lien de proximité à travers des circonscriptions proches des lieux de vie, personnalisant le rapport tant avec le parti qu'avec les élites choisies ; les listes régionales ayant l'inconvénient de distendre ce lien, auquel le citoyen reste profondément attaché”. Une fois les divergences aplanies, le projet de loi électoral a été soumis au parlement. Son adoption, nonobstant les dizaines d'heures de débats et d'échanges parfois épiques au sein des deux chambres, n'a pas été somme toute difficile à réaliser, surtout après les nombreuses explications et réponses fournies par M. Driss Jettou aux députés et conseillers lors des réunions des commissions parlementaires et des séances plénières. A l'issue de ce processus une véritable nouveauté allait conquérir l'espace public. En effet, le ministre de l'Intérieur allait lancer une campagne de communication et de sensibilisation destinée d'une part, à appeler les citoyens à exercer leur droit d'inscription sur les listes électorales et de vote et d'autre part, à tendre vers la généralisation de la carte d'identité nationale. En ce qui concerne ce deuxième volet, il faut dire que les discussions ont été très vives et parfois controversées puisque beaucoup de partis politiques souhaitaient instituer l'obligation pour l'électeur de justifier son identité, pour exercer son droit de vote par le seul moyen de la carte d'identité nationale. Ce principe ne pouvait être retenu pour des considérations techniques et juridiques. En effet, M. Brahimi estime que “s'il peut paraître tout à fait légitime de considérer la CIN comme seul document pouvant faire foi pour identifier l'électeur et valider son vote, afin de prévenir la fraude, cette évidence bute contre la triste réalité de notre contexte social. Si on devait appliquer ce principe à la lettre en effet, cela reviendrait à priver une partie de l'électorat de son droit de vote, ce qui serait politiquement inconcevable et juridiquement anticonstitutionnel. Le droit de vote est un droit fondamental garanti par la constitution. Aucune loi ne peut valablement s'y opposer. Face à cette problématique et parallèlement à la campagne de communication, le ministre de l'Intérieur déploie d'importants efforts pour assurer aux citoyens ce document de base. Dans ce sens et depuis le début du mois de novembre, plus d'une centaine d'unités mobiles de la DGSN sillonnent le territoire national pour délivrer la carte d'identité nationale aux populations selon des procédures simplifiées à l'extrême. Par cette action, si la généralisation est toujours difficile à atteindre eu égard au déficit cumulé, néanmoins une grande partie de la population sera dotée de ce document. D'ores et déjà les chiffres parlent d'eux-mêmes. En effet, 7.000 cartes sont délivrées quotidiennement. Mais pour M. Brahimi même avec un rythme exceptionnel de 1.000 cartes par jour, fixé par le ministre de l'Intérieur aux responsables de cette campagne, il est bien certain qu'au moment des élections en septembre prochain, des centaines de milliers d'électeurs ne disposeront toujours pas de ce document. Cependant, les craintes invoquées par les partenaires politiques, liées à la non-généralisation de la carte d'identité nationale, sont évacuées selon le ministère de l'Intérieur, qui tient à rassurer en mettant en avant les garanties juridiques et pratiques prises pour le déroulement régulier du vote. Ainsi pour faire échec aux votes multiples par une même personne, la loi organique a prévu l'apposition de l'encre indélébile sur le pouce de chaque électeur. D'un autre côté, la substitution du bulletin unique de vote aux traditionnels bulletins de couleur permettra de limiter considérablement les risques d'achat de consciences. Pour leur part, les listes électorales font l'objet depuis le 28 mai et jusqu'au 16 juin d'une révision exceptionnelle adoptée par une loi votée et mise en œuvre par décret. Cette opération permettra de compléter et d'assainir les listes. Le principe de la révision exceptionnelle a été retenu au lieu de la refonte totale, réclamée par tous les partis au départ, en raison des contraintes de délais, pour tenir les élections législatives à la date décidée par S.M. le Roi. Une commission technique mixte formée de cadres de l'Intérieur et des représentants des partis politiques s'attellera au contrôle informatique de ces listes pour identifier, le cas échéant, et redresser les doubles inscriptions. Ensuite et pendant le déroulement des opérations électorales des commissions provinciales de suivi seront constituées sous une nouvelle forme qui reste à déterminer. Nonobstant le caractère technique et la portée politique de la mission du ministère de l'Intérieur, ce qui retient le plus l'attention est cette disponibilité dont attestent les cadres de ce département à fournir toutes les explications nécessaires. Une franchise de ton qui accompagne la clarté de l'objectif et dénote un changement radical dans l'approche faite par rapport aux élections et par rapport à l'opinion publique en général. Le nouveau concept de l'autorité n'en sort que plus renforcé. Et c'est tant mieux !