L'instruction du dossier de la BNDE tire à sa fin Près de six mois après son incarcération à Rabat, Farid Dellero, ex-Pdg de la BNDE (Banque nationale pour le développement économique), impliqué dans une sale affaire de détournement de deniers publics, fini par craquer. Il a avoué des noms, des montants de crédits octroyés mais non restitués, des bénéficiaires, des donneurs d'ordre, des complices… Tout est consigné dans le rapport du juge d'instruction près la Cour d'appel de Rabat, Bouabid Saba, qui a lancé la machine judiciaire à l'encontre d'une brochette parmi les ex-responsables de la faillite de la banque. Enquête. Depuis quelques jours, une information persistante fait état de la convocation de plusieurs ex-hauts responsables de la BNDE, pour citation à comparaître, par le juge d'instruction près la Cour d'Appel de Rabat, Bouabid Saba, sur les dépassements ainsi que les irrégularités constatés au niveau de la gestion de la BNDE. Un scandale financier qui a fait l'objet de plusieurs enquêtes d'inspection de la CDG et de l'IGF, tenues secrètes, ainsi que d'investigations policières et judiciaires. La nouvelle a enflé au point qu'elle a fait l'objet de quelques manchettes incendiaires dans des journaux, ce qui a provoqué toute une polémique entre les responsables du ministère de la Justice et les représentants d'une publication bien connue sur la place casablancaise. Vérification faite, il y a eu effectivement demande de citation à comparaître formulée par la défense de Farid Dellero, ex-Pdg de la BNDE seul à payer pour plusieurs années de mauvaise gestion de la BNDE, mais pas de convocation des autres ex-hauts responsables de la banque. Pas pour l'instant en tout cas. Hormis le témoignage à charge de quelques fonctionnaires du ministère des Finances (l'autorité de tutelle) et les cadres de la banque. Au jour d'aujourd'hui, selon des sources bien informées, ladite demande a été effectivement communiquée par la défense de Dellero au juge Bouabid Saba qui l'a, à son tour, transmise au ministère de la Justice pour prendre les décisions adéquates. Ou en plus clair, pour obtenir le “feu vert” pour lancer la machine judiciaire. L'information serait donc fondée et exacte, mais elle est un peu exagérée. Une source bien introduite au ministère de la Justice a déclaré à LGM qu'il est pratiquement impossible d'enquêter sur le dossier de la BNDE sans le passage obligé des autres auteurs de cette rapine, à grande échelle, comme protagonistes avérés. Et ces auteurs pourtant identifiés et identifiables, c'est Farid Dellero, ex Pdg de la BNDE, lui-même qui insiste pour qu'ils le rejoignent à la prison civile de Salé. Près de six mois après son arrestation, en juin 2004, par la Brigade criminelle relevant de la préfecture de police de Rabat, quelques tabous sont tombés. Les autres pièces du puzzle commencent effectivement à s'assembler. Aveux concluants Tout au long des interrogatoires judiciaires et d'un déballage affligeant, Farid Dellero a fini par craquer. Il n'est pas question pour lui de payer pour les autres, comme le dit bien l'un de ses avocats lors de sa plaidoirie devant le juge d'instruction. Conscient de la gravité des charges retenues contre lui, vol, dilapidation et détournement de deniers publics, Farid Dellero a tout dit, ou presque. Il a divulgué des noms et révélé des montants de crédits octroyés mais non restitués, des bénéficiaires, des donneurs d'ordre, des complices… Tout est consigné dans les rapports du juge d'instruction près la Cour d'appel de Rabat qui veille au grain pour qu'aucune information ne fasse l'objet d'un étalage dans la presse. Contrairement aux autres affaires présentées à la Justice, et non encore réglées, comme la BP, le CIH, la CNSS, les minotiers et bien d'autres non moins importantes, celle de la BNDE est entourée d'une confidentialité et d'un black out sans précédent. Aussi bien le rapport de l'IGF de Abdelali Benbrik, l'inspecteur général des Finances, que celui de la Caisse de dépôt et de gestion de Bakouri (la Caisse a été la première à auditer les comptes de la BNDE juste après l'opération de fusion CDG-BNDE), en passant par les rapports de l'enquête policière, n'ont pas été communiqués officiellement à l'opinion publique. Derrière ce mutisme, le ministère de la Justice. Le même département qui avait rendu publique l'incarcération de Dellero, en juin 2004, quelques jours seulement après l'annonce faite par LGM. Raison souvent invoquée : secret de l'instruction du dossier. Et pourtant, les ardoises laissées aux héritiers de la BNDE ont des noms. Et ces noms ont, incontestablement, bénéficié des largesses des donneurs d'ordre, dont au jour d'aujourd'hui celui de Farid Dellero. Un ex-commis de l'Etat, au-dessus de tout soupçon, nommé à la tête de la BNDE en août 1994, en remplacement de Mustapha Faris parti rejoindre la BMCI. En tout et pour tout, ce sont huit années, de 1994 à 2001, de mauvaise gestion pour lesquelles Dellero est poursuivi à présent à Rabat. Liberté provisoire rejetée En plus clair, on lui reproche des irrégularités bancaires qui concernent notamment l'octroi de crédits sans études circonstanciées, des résiliations et exonérations de crédits ordonnées sans aucune justification légale, des achats de locaux d'agences aujourd'hui faisant partie du patrimoine de la banque, à travers une société appartenant à son fils Nizar Dellero et une autre appartenant à un certain Abdelhaq Ben Soulaimane, en fuite, pour le compte de la BNDE à des prix jugés trop excessifs, la cession douteuse d'appartements et des villas (situés à Marina Smir au Nord du pays et à Marrakech sur l'avenue de France en face du Palais des Congrès) à quelques hauts cadres de la banque…. Selon des sources proches de l'enquête, Farid Dellero se servirait lui-même, autant qu'il pouvait, des caisses de la banque pour financer ses propres projets et ceux de son fils Nizar, dont notamment une créance de 170 millions de Dh, non déclarée et jamais recouvrée par la banque. Devant le juge d'instruction, Dellero n'a pas donné, pour autant, de réponses convaincantes. Toutefois, en voulant se disculper, il a enfoncé tous ceux qui ont validé ses décisions au conseil d'administration de la banque et celui du haut comité de crédit composé, dans leur majorité, par de hauts représentants de l'Etat. Dans le lot figurent tous ceux qui ont présidé au devenir de la banque, écartés, jusqu'à nouvel ordre de toute poursuite judiciaire. On y trouve, entre autres, un ex-gouverneur de Bank Al Maghrib, Mohamed Seqat, un ex-Pdg de la Banque, Khalid Kadiri, un ex-secrétaire général du ministère des Finances et également ex-Pdg de la banque, un ancien secrétaire général du ministère du Commerce et de l'Industrie, M. Aissaoui, ancien directeur général adjoint de la BNDE et ex-président de la Caisse marocaine des marchés (CMM) et actuel haut cadre au ministère des Finances (convoqué mais il ne s'est pas présenté), Mustapha Goulami, président de la CMM et ex-Dg adjoint de la BNDE (atteint de paraplégie en plein interrogatoire devant le juge d'instruction), un certain Barkia, un ex-Pdg de la BNDE, et plusieurs autres ex-membres du comité de crédit de la BNDE ainsi que des bénéficiaires de la rapine qu'a connue la banque. Pour la défense de Farid Dellero, composée de Me Faïçal Khateb, Me Taïeb Laâlwi et Me Fertat, la stratégie étant de politiser et donner autant d'ampleur au procès pour trouver une sortie honorable à Farid Dellero. Chasse aux sorcières Il réclame la présence de tout ce beau monde avant la clôture de l'instruction et le transfert du dossier, à mi-décembre 2004, à la troisième chambre criminelle de la Cour d'appel de Rabat présidée par le célèbre juge de la Cour spéciale de justice, dissoute il y a à peine quelques semaines, Boubker Sedrati, qui avait jugé, entre autres, l'affaire des minotiers en 2001 et avait au passage accordé la liberté provisoire à Ghali Sebti, le président de l'APM. Le collectif de la défense de Dellero est catégoriquement déterminé à engager la responsabilité de tous les protagonistes que la procédure d'instruction aura confondus pour qu'ils répondent de leurs délits et remboursent ce qu'ils doivent à la BNDE. Et enfin mettre à nu les zones d'ombre et les non-dits qui ont marqué jusqu'à présent le procès de la BNDE. Il ne s'agit pas d'une chasse aux sorcières, mais plutôt d'une chasse aux voleurs déclarée afin de définir les responsabilités pénales et civiles de chacun des acteurs de la gabegie de la banque, constituée partie civile dans ce procès et représentée par l'un des meilleurs avocats du barreau de Casablanca, Me Azzedine Kettani. Celui-ci a en effet esté en justice les mauvais clients pour recouvrer les créances de la banque (notre confrère économique Challenge Hebdo reviendra prochainement sur la liste complète des clients récalcitrants de la BNDE). Lors des différentes comparutions de Farid Dellero devant le juge d'instruction, la dernière en date du jeudi 25 novembre, la défense de ce dernier a été informée du refus du procureur général du Roi d'accorder la liberté provisoire, et ce pour la deuxième fois consécutive, à son client. Raison invoquée : les charges sont très lourdes et Dellero ne présente pas suffisamment de garanties pour se présenter au procès. D'ailleurs l'un de ses complices, Abdelhak Ben Soulaimane, recherché activement par les services de police, pour avoir signé des engagements non réalisés pour l'équipement des agences de la BNDE et sa filiale la BMAO, est en cavale à l'étranger. Dans ce registre, Farid Dellero est soupçonné d'avoir incité plusieurs promoteurs à tremper dans des opérations de malversations et de création de fausses sociétés civiles immobilières pour bénéficier illégalement du soutien financier de la BNDE. Plusieurs milliards de Dh sont partis ainsi en fumée depuis plus d'un quart de siècle de la création de la BNDE. Le rapport d'inspection de l'IGF, sur lequel s'est basée l'enquête judiciaire, est dur, même s'il n'est pas suffisamment explicite ! Il met au jour les différentes malversations et dilapidations des deniers publics, derrière la faillite, non avouée de la banque publique, en citant, occasionnellement, les attributaires. S'agit-il d'une omission, d'un oubli, ou carrément d'une ingérence avérée pour étouffer le gros du scandale ? Pourquoi a-t-on commencé par Farid Dellero, sachant qu'il y a d'autres commis de l'Etat qui l'ont précédé et lui ont succédé ? Il s'agit là, déclare sur un ton définitif une source proche du ministère de la Justice, d'un début qui aura à coup sûr des prolongements judiciaires. Mohammed Bouzoubaâ, ministre de la Justice, a exprimé ouvertement sa volonté de mener le dossier de la BNDE jusqu'au bout. Quelle que soit la stature des personnes impliquées de près ou de loin. Et même quelles que soient les options que prendra cette affaire au terme du processus judiciaire bien engagé. La justice a les choses bien en main et d'ores et déjà l'affaire prend les dimensions d'un vrai scandale d'Etat. Un scandale qui n'a divulgué qu'une petite partie de la face visible de l'iceberg de la banque publique qu'était la BNDE. Le reste sera dévoilé, au fur et à mesure et tout au long des plaidoiries publiques à la Cour d'Appel de Rabat. Affaire à suivre