Sur Farid Dellero, 66 ans, pèse nombre de charges : dilapidation de deniers publics, abus de pouvoir et complicité. L'accusé se résignera-t-il à porter seul le chapeau des turpitudes financières de l'établissement ? L'instruction de l'affaire Banque nationale de développement économique (BNDE) suit son cours. Le juge d'instruction près de la Cour spéciale de Justice (CSJ) a entamé, hier lundi 9 août, l'audition de Farid Dellero, l'ex-président-directeur général de la banque. Après l'enquête de l'Inspection générale des Finances (IGF), le ministère de la Justice l'a transmise au juge d'instruction près de la Cour spéciale de justice, en attendant que les textes désignent les cours d'appel qui seront habilitées à reprendre ce brûlant dossier devant cette juridiction d'exception, amenée à disparaître. Le mis en cause, en état d'arrestation à la prison civile de Salé après un interrogatoire, jeudi 3 juin à la préfecture de police de Rabat, est poursuivi pour détournement et dilapidation de deniers publics, abus de pouvoir et complicité…Si complicité il y a, elle est assurément à plusieurs niveaux. Si l'instruction est menée à terme, elle révélerait, au grand jour, les innombrables ramifications d'un système ayant conduit à la perte d'un fleuron bancaire national. Bien que le traitement politique voulu par le Premier ministre Driss Jettou, exécuté par son argentier Fathallah Oualalou, fait table rase du passé, l'affaire BNDE risque d'être riche en rebondissements. Présentée comme « élégante », la solution technique de sauvetage de la banque ne tient pas compte du lourd passif, fruit d'une mauvaise gestion constatée par le rapport IGF. Ainsi, parmi les manquements relevés, sur près d'un milliard de DH consenti au financement de nouveaux investissements, le dernier exercice de Dellero a fait ressortir que 50 % des projets l'ont été sous la forme de préfinancements. À l'opposé de l'autre moyen de financement, le déblocage normal impliquant plusieurs avis et des degrés différents de contrôle, Farid Dellero a personnellement signé des bons à payer pour plus de 500 millions de DH. Cette procédure permettait au bénéficiaire d'entrer en possession de 30 % du financement …Sans aucun justificatif. Pis, le projet à la recherche de financement auprès de la BNDE, trouvait souvent les fonds nécessaires sans que le dossier ne soit étudié. Aucune étude de faisabilité, encore moins de business plan n'étaient déclinés. Un simple appel téléphonique faisait souvent l'affaire ! L'instruction en cours, dressera assurément la longue liste des bénéficiaires. Toutefois, de source proche du dossier, le cœur du système Dellero, ayant causé sa perte, épinglé par le rapport IGF, a un rapport direct avec un agent immobilier bien connu des R'batis. Les livres comptables de la BNDE font état d'un grand débiteur : le cabinet Bensoulaymane, agent immobilier de la banque, dont l'un des actionnaires n'est autre que Badr Dellero, fils du P-DG de la BNDE. L'agent a un découvert sur son compte, tenu par la banque, de 73 millions de DH ! Plus grave encore, le cabinet immobilier, par ailleurs agenceur et designer de l'ensemble du réseau BNDE et BMAO, est à l'origine de 16 cas constatés de détournement et dilapidation de deniers publics. Une plainte a d'ailleurs été déposée par le conservateur de la ville de Berkane. Le haut fonctionnaire, scandalisé par l'ampleur de l'escroquerie, n'a pas hésité à exercer son devoir d'alerte. La ville compte deux agences BNDE, alors que, selon des banquiers, l'implantation d'une n'est pas justifiée. Le conservateur s'est élevé contre le montant faramineux de la transaction, partant des tarifs pratiqués dans sa ville. Le système mis en place par la filière portait sur l'acquisition d'agence pour la banque. La malversation est prouvée. Les deux cas les plus frappants sont ceux d'Oujda et de Kénitra. Dans le premier cas, l'agent a acquis un F2 pour une valeur inférieure à 100.000 DH. Une semaine plus tard, le bien a été vendu à la banque à 4 millions de DH . Edifiant ! Dans le second, Kénitra cette fois ci, l'emplacement de l'actuelle enseigne du géant du fast-food américain, sur l'avenue Mohammed V, a fait l'objet d'une spéculation historique. Lorsque l'ex-propriétaire, le pâtissier de Jawhara a voulu vendre son fonds de commerce, les experts de la BNDE lui ont fait une offre n'exédant pas les 5000 DH le m2, contre 8000 DH demandés par le propriétaire. Grande fut la surprise du conservateur de la ville de remarquer la passation d'une transaction entre l'agent Bensoulaymane et la banque à un prix …de 19 000 DH le m2 ! Aux interrogations de l'IGF, l'ex-P-dg de la BNDE aurait répondu que ; « la commission devant statuer sur l'acquisition des agences bancaires étudiait en profondeur chaque cas proposé ». Par conséquent, la commission, constituée des hauts responsables de la banque : MM. Frej, Tazi, Bouziyane, Benadada et Chafik, auront assurément à répondre de ces choix. Selon des cadres de la banque, le système féodal instauré par Dellero ne laissait aucune marge de manœuvre aussi étroite soit-elle à ses lieutenants. Ils se devaient d'exécuter aveuglement et d'entériner ses décisions. Sa mauvaise gestion s'étend à d'autres dossiers, dans le nord cette fois. Outre l'affaire Limadet, reprise depuis par la Comanav, d'autres dossiers électriques, en relation avec le voisin ibérique, sont en suspens. Un autre maillon de la longue chaîne du système Dellero. Une affaire à suivre !