USFP/Istiqlal Après avoir été mise à mal par les divergences et les rivalités, la Koutla démocratique est appelée, aujourd'hui, à la rescousse par l'USFP et l'Istiqlal. Motivations et logique d'un rapprochement qui veut tirer les leçons des échecs passés. “Il n'y a pas de crise politique”, s'évertuent à dire le nouveau secrétaire général de l'USFP, Mohamed Elyazghi et le numéro un du parti de l'Istiqlal, Abbas El Fassi. Rien ne nécessite à l'heure actuelle, selon eux, d'envisager un changement gouvernemental important. L'actuelle équipe, dirigée par Driss Jettou, enregistre de bons points dans la réalisation du programme sur lequel elle a été investie, même si des réformes plus audacieuses restent attendues. Le rapprochement des points de vue des deux principaux partis de la Koutla est assez manifeste, si l'on considère que ce “Front démocratique” a été plutôt mis en veilleuse, sinon en crise, durant les dernières années du magistère de Abderrahman Youssoufi. Rapprochement d'ordre rhétorique, tactique de circonstance ou vision à plus long terme ? Deux types de considérations, l'une liée à la relation au pouvoir, l'autre à l'évolution interne de ces deux partis entrent actuellement en jeu et détermineront, prochainement, la portée réelle de cette remise à l'ordre du jour de la Koutla. L'USFP de Mohamed Elyazghi est à l'origine de cette relance. L'ambiguïté de l'attitude de Abderrahman Youssoufi, au lendemain des élections législatives de septembre 2002 et surtout après les communales de septembre dernier, semblait remettre en cause non seulement la coalition gouvernementale, qualifiée de tous les maux, mais aussi marquer un froid insurmontable avec l'Istiqlal. L'évolution d'une “crise politique” imminente semblait annoncer le retour de l'USFP dans l'opposition et proclamer l'échec de “l'alternance consensuelle”. Depuis son élection à la tête du parti, Mohamed Elyazghi s'est employé à prendre nettement le contre-pied de cette ambiguïté. En clair, il ne s'agit pas, pour lui, de jeter le bébé de l'alternance avec l'eau sale des dernières élections. La perspective réformiste est placée sur le moyen et le long terme et ne saurait être mise en jeu par les accidents de parcours ou les humeurs passagères. L'évaluation de l'expérience de l'alternance reste, grosso modo, assez positive, ou tout au moins assez nuancée. Pour la direction de l'USFP, malgré tous les retards, les blocages et les imperfections qui l'entachent, la gestion gouvernementale a mis en mouvement nombre de dossiers. Une simple comparaison avec les longues années d'inertie et de conservatisme généralisé qui avaient précédé l'alternance serait assez éclairante. Certes le mouvement engendre le besoin d'un mouvement plus intense mais on estime que cela doit pouvoir être négocié avec le pouvoir, à partir des acquis de l'alternance, assumés pleinement et non pas en provoquant une rupture et une crise politique qui remettrait en cause la “confiance” difficilement établie avec la Monarchie. Force de négociation Selon cette logique, l'USFP viserait davantage à consolider les quelques avancées enregistrées pour préparer le terrain à des réformes plus profondes. C'est ici que la référence à la Koutla démocratique prend tout son sens. Il s'agit d'une part, d'un gage vers le pouvoir pour poursuivre l'expérience et d'autre part, d'une force de négociation et de proposition en vue des futures évolutions à susciter. Le constat de l'affaiblissement des partis de la Koutla, du fait de leurs divisions, qualifiées parfois de “lamentables”, au cours des élections communales et qui leur ont fait perdre des mairies de grandes villes et la présidence de nombre de communes, semble avoir ramené les dirigeants de ces formations à plus de raison et de réalisme. La nécessité de faire jouer la règle démocratique en faveur du mieux placé est aujourd'hui évoquée avec regret. Ainsi le retour à une Koutla régénérée par l'autocritique et ayant fait le bilan de ses divisions et de son manque de cohérence viserait donc un double objectif : recréer un pôle politique majeur et préparer, au mieux, les échéances à venir et les réformes à négocier et à entreprendre avec le pouvoir, y compris en matière constitutionnelle. Sur le plan interne, la restructuration des instances de l'USFP, qui a fait l'objet d'une longue préparation au sein du bureau politique et qui est en cours de validation par la Commission administrative réunie dimanche 21 décembre courant à cet effet, ne signifie pas pour Elyazghi et ses pairs au sein du bureau politique un repli identitaire sur soi-même. Un tel repli qui menacerait à nouveau le parti de luttes et de divisions internes entre courants ou entre générations ou, pis encore, entre ambitions plus ou moins avouées, doit être contrebalancé par un constant rappel des réalités de la phase actuelle que traverse le pays. La nécessaire ouverture du parti sur la société, qui est un leitmotiv du discours actuel sur la rénovation, implique la prise en compte des alliances et en premier lieu au sein de la Koutla. Le premier parti de la gauche ne veut plus incarner “une force de refus” mais jouer davantage un rôle de catalyseur pour entreprendre les grandes réformes. L'importance accordée à nouveau à la question de l'alliance au sein de la Koutla de toutes les forces réformistes constitue aussi un message vers les composantes du parti. C'est la stratégie de la réforme démocratique, jugée seule réaliste et réalisable dans le contexte institutionnel actuel, qui est ainsi réaffirmée pour constituer l'axe rassembleur interne. Deux écueils sont ici à surmonter : celui de la menace islamiste extrémiste et celui de la paralysie que peuvent engendrer les forces conservatrices et les nouvelles rivalités au sein du pouvoir. La célébration du 28ème anniversaire de l'assassinat de Omar Benjelloun est, en cette mi-décembre, le moment de la réaffirmation de cette identité, tout autant que de “l'héritage militant” de ce parti. Celui-ci cherche, visiblement, à effacer les scories des récentes divisions et à susciter la mobilisation des éléments qui avaient gelé leur activité et, surtout des jeunes qui avaient été “déboussolés” par les querelles et les scissions successives. Enjeux similaires Pour le parti de l'Istiqlal les enjeux sont pratiquement similaires. Quoique la réunion du Conseil national de ce parti, les 14 et 15 décembre dernier, ait été davantage dominée par l'élection des membres du comité central et d'autres instances statutaires que par la discussion du rapport politique présenté par Abbas El Fassi. Ce dernier a eu toute latitude de réaffirmer, au nom du parti, son appui à l'action du gouvernement, aux réformes, notamment celle de la Moudawana, son refus de l'extrémisme terroriste et son attachement renouvelé à la Koutla. L'optique de la modération, au nom de laquelle il a critiqué les “excès” de certains journaux jugés “irresponsables”, et celle de l'évolution “vers l'extension de l'espace démocratique” et des réformes sont mises au premier plan ainsi que le désir de relancer l'action unitaire de la Koutla après avoir effectué une autocritique de celle-ci et des mésaventures électorales. En soulignant qu'il est actuellement le premier parti, selon les résultats des dernières élections, l'Istiqlal mesure le caractère aléatoire de cette position dans un champ politique émietté et où les marges d'influence et de pouvoir sont étroites. Pendant que l'incertitude demeure la règle concernant les reclassements qui s'annoncent dans la sphère économique, ce parti conservateur modéré mesure à quel point il ne peut espérer se faire entendre qu'à travers une alliance politique pouvant faire suffisamment le poids. Alors qu'un semblant d'ouverture démocratique et de rajeunissement internes est annoncé (même si cela est contesté par ailleurs), l'Istiqlal ne veut plus donner l'image d'un vieux parti de notables, même “éclairés”, mais celle d'une organisation qui veut participer à la modernisation, sans ruptures brutales. La Koutla offre, sur ce plan, un espace où cette ambition peut être davantage créditée alors qu'au sein du pouvoir, la dimension générationnelle est devenue un élément de toute évaluation des élites et des forces politiques. Les autres composantes de la Koutla ne sont pas en reste : le PPS clame sa satisfaction alors que le parti de la Gauche socialiste unifiée semble ne pas verser dans une approche euphorique des retrouvailles de la Koutla selon lui, car aucune avancée ne serait possible sans une réforme garantissant réellement le passage à “l'Etat des institutions”. De quoi ranimer le débat politique qui avait, si longtemps, été éclipsé par les marchandages et les clanismes.