Nonobstant la stratégie blanquiste qui a connu un net recul après l'échec de l'expérience de la Chabiba islamiya et à part la stratégie attentiste prônée par Al Badil Al Hadari ( Alternative civilisationnelle), il faut dire que le mouvement islamiste marocain a adopté, en général, deux stratégies opposées: la stratégie électoraliste et la stratégie de la Kawma ( révolution populaire à l'iranienne). Cette dernière est l'apanage d'Al Adl Wal Ihsan et sera traitée ultérieurement. La stratégie électoraliste La stratégie électoraliste comprend bien évidemment une tactique. Celle-ci est le moyen approprié pour atteindre l'objectif de prise du pouvoir et pour imposer le changement voulu. Ce changement, qui se veut radical, aspire à l'édification de l'Etat islamique en exploitant les mécanismes de l'Etat laïc. Dans ce cadre, l'expérience du Front islamique du salut en Algérie est édifiante. Les mouvements de masse n'adoptent la tactique électoraliste qu'exceptionnellement quand celle-ci s'avère être le chemin le plus court pour entamer le changement. Pour leur part, les organisations qui adoptent la stratégie électoraliste n'ont pas pour but de renverser les régimes existants. Elles se contentent de revendiquer des réformes purement formelles. La distinction entre la tactique et la stratégie commence avec l'attachement au principe selon lequel l'élection est un dispositif d'arbitrage qui accorde au peuple l'opportunité de faire des choix unilatéraux. Quelles sont donc les caractéristiques de l'activiste politique qui adopte la tactique électoraliste?. Il y a plusieurs caractéristiques: • Il ne reconnaît pas la légitimité religieuse et politique du régime. • Il ne reconnaît pas le système normatif (légal) adopté. • Il se présente comme un pouvoir alternatif doté d'un projet social alternatif. Tout activiste politique qui a ces caractéristiques n'exploite les urnes et les élections que dans le cadre d'une tactique quand le rapport de forces lui est favorable. Il ne participe pas aux élections pour cautionner le pouvoir, mais il essaie de l'écarter. Donc, cette tactique électoraliste peut être considérée comme une révolution en douceur. Cette tactique allait réussir en Algérie n'était le "coup d'Etat démocratique" de l'armée algérienne. D'autre part, quelles sont les caractéristiques de l'activiste politique qui adopte la stratégie électoraliste? Il y a là également, plusieurs caractéristiques : • Il reconnaît la légitimité religieuse et politique du pouvoir. • Il agit dans le cadre du système normatif en vigueur. • Il aspire à la gestion des affaires publiques. Donc, c'est un activiste qui agit dans le cadre du système en place et utilise les élections comme outil de légitimation du système social en vigueur. Dans ce cadre, le mouvement Al Islah Wa Attajdid peut être considéré comme l'exemple même de l'activiste qui adopte la stratégie électoraliste. Son orientation se situe à deux niveaux : la reconnaissance de la légitimité du pouvoir et l'adoption du schéma partisan. La reconnaissance de la légitimité du pouvoir Le mouvement Al Islah Wa Attajdid reconnaît la légitimité du pouvoir non seulement au niveau politique, mais également sur le plan religieux. Pour ce mouvement, le régime marocain est authentique et enraciné dans l'histoire. Ce n'est pas un régime né pendant ou après la période coloniale. Il bénéficie d'un prolongement historique qui s'étend de la dynastie alaouite à Moulay Idriss. Ce n'est pas un régime laïc qui écarte la religion. Au contraire, c'est un régime qui est institué sur la légitimité religieuse incarnée par l'acte d'allégeance qui est la formule légale de la gouvernance en Islam. De même qu'il a ajouté à l'identité islamique authentique des dispositions modernes incarnées par une constitution qui insiste sur le caractère islamique de l'Etat…Le régime marocain, dans le cadre de la monarchie constitutionnelle, est le seul régime qui a adopté la légitimité islamique au plus haut niveau de la hiérarchie notamment en adoptant l'institution d'Amir Al Mouminine ( Commandeur des croyants). L'adoption du schéma partisan La stratégie électoraliste s'appuie sur la volonté de gérer les affaires publiques. Et puisque le mouvement Al Islah Wa Attajdid est totalement intégré dans la stratégie de l'Etat qui tend à écarter les activistes religieux du champ politique, il a ainsi adopté le schéma partisan. Son initiative avortée de créer un parti en l'occurrence le “renouveau national” tendait à faire la distinction entre l'activisme religieux du mouvement et l'action politique pure. A ce propos, la réflexion s'est portée sur deux choix: soit créer un nouveau parti, soit intégrer un parti légal. Création d'un parti Le 4 mai 1992, les leaders du mouvement Al Islah Wa Attajdid ont déposé les statuts de leur parti appelé "parti du renouveau national". L'initiative avait plusieurs raisons d'être. Tout d'abord, elle devait souligner que le mouvement Al Islah Wa Attajdid n'est pas concerné par l'action politique qui est susceptible de provoquer des remous à cause des dispositions légales interdisant la création d'un parti islamiste. C'est pour cela que les statuts ont stipulé que "les membres du mouvement Al Islah Wa Attajdid ne seront pas forcément adhérents au parti quoique certains leaders en sont les fondateurs. Cette situation provisoire peut trouver son aboutissement lors de l'organisation du premier congrès qui élira les instances dirigeantes". Ainsi donc, il y est spécifié que le “parti du renouveau national” ne peut être considéré comme le prolongement du mouvement Al Islah Wa Attajdid. C'est un parti qui appartient à tous les citoyens marocains nonobstant leurs penchants religieux, tant qu'ils respectent les orientations et les choix du parti. Dans ce sillage, les dirigeants du mouvement expliquent ce choix par le fait "d'éviter à ce que l'action éducative, culturelle et de prédication tombe dans le piège des confrontations politiques. Nous refusons d'exploiter les mosquées pour faire de la propagande politique et considérons que le mouvement Al Islah Wa Attajdid a pour mission d'accompagner l'action des mosquées avec d'autres outils qui sont compatibles avec l'évolution de la société ( conférences, colloques, communication directe, action éducative etc.)…Nous voulons préserver l'action éducative et de prédication des conséquences des confrontations politiques, pour ne pas dériver vers l'exploitation de la religion en politique, puisque c'est cette disposition qui interdit le création d'un parti islamiste dans un Etat islamique et pour que la confusion soit évitée surtout quand les autorités s'opposent au projet politique d'un groupe islamiste et quand la lutte s'étend aux structures culturelles et éducatives donnant ainsi l'impression que l'Etat commence à combattre l'Islam à travers ces structures". Le parti du renouveau national confirme que son action s'inscrit "dans le cadre de la monarchie constitutionnelle et des lois en vigueur dans le royaume". Ses objectifs sont définis comme suit: • La confirmation et la consolidation de l'identité musulmane du peuple marocain. • La consolidation du rôle de langue arabe et le soutien à la politique d'arabisation. • La sauvegarde de l'intégrité territoriale et le renforcement de l'indépendance politique et économique du royaume. • Le soutien au processus démocratique dans le cadre des constantes de la nation. • La contribution à l'encadrement des citoyens et la défense de leurs intérêts. • La contribution au développement de la société à travers l'encouragement de l'esprit d'initiative, du profit légitime et de la justice sociale. • La consolidation de la stabilité et de la paix sociales en instituant la justice, la solidarité et la tolérance. • Le soutien du rôle civilisationnel historique du Maroc. • Le soutien aux orientations unionistes de la nation arabe et islamique. • L'adoption des justes causes de la nation arabe et le soutien des mouvements de libération de par le monde. • Cependant et malgré la confirmation de la distinction entre le parti et le mouvement, l'assemblée constitutive a démontré le contraire. En effet, neuf des dix membres élus à l'instance dirigeante du parti sont membres, également, du comité exécutif du mouvement. Ainsi et bien que les dirigeants aient insisté sur le caractère non islamiste du parti, les autorités avaient considéré qu'ils ne pouvaient lui accorder la légalisation à cause de "la non conformité de ses objectifs, contenus dans ses statuts, avec les lois en vigueur". Cette décision a donc contraint les dirigeants du mouvement à choisir une deuxième option qui est celle d'intégrer un parti légal. L'intégration à un parti légal Juste après le refus des autorités d'accorder l'autorisation à la création du “parti du renouveau national”, les dirigeants du mouvement Al Islah Wa Attajdid ont décidé, en 1992, d'entamer les contacts en vue d'intégrer un parti légal. Leur choix s'est porté sur le Mouvement populaire constitutionnel et démocratique qui a été créé en 1966 par le Dr. Abdelkrim Khatib. Ainsi, une délégation du mouvement d'Al Islah Wa Attajdid a tenu une réunion de concertation avec le Dr. Khatib, au cours de laquelle elle a proposé d'intégrer son parti. Ce dernier a accepté la proposition, mais il a tenu à poser une condition sine qua non qui est celle d'adhérer au parti à titre individuel et non pas en tant que mouvement. D'ailleurs, cette condition avait été acceptée par le Conseil national du mouvement d'Al Islah Wa Attajdid tenu le 21 juin 1992. Quelles sont donc les raisons de ce choix ? Abdelilah Benkirane devait expliquer que : "notre contact avec le Dr. Khatib et son parti était le résultat de plusieurs facteurs. En effet, notre initiative de créer un parti politique ayant avorté, et puisque les échéances électorales approchaient, la situation nous a contraint de revoir certaines de nos positions. Nous avions alors pris l'initiative de contacter le Dr. Khatib, qui s'est avéré être un musulman authentique, clairvoyant et ayant une grande conscience des attentes de la nation. Il s'est montré hospitalier et prêt à coopérer avec une mouvance islamiste. C'est ce qui a facilité notre choix et par conséquent, nous avions décidé d'intégrer son parti". L'aboutissement du processus d'intégration au MPCD s'est illustré par la tenue du congrès extraordinaire du parti en juin 1996 qui a définitivement entériné l'adhésion du mouvement d'Al Islah Wa Attajdid au parti du Dr. Khatib. Et après la fusion d'Al Islah Wa Attajdid avec la Rabita d'Al Moustaqbal Al islami pour créer le mouvement d'Attawhid wal Islah, la même stratégie électoraliste restait à l'ordre du jour du mouvement. Cette stratégie allait se confirmer plus tard, quand le MPCD changea d'appellation pour se transformer en parti de la Justice et du Développement ( PJD).