Zone MENA A la veille des assemblées générales du FMI et de la Banque mondiale à Dubaï, deux hauts responsables de cette dernière ont animé récemment à Paris une discussion sur les défis pour le développement de la région MENA. Leurs propos équilibrés n'ont pu, hélas, dissiper l'ampleur de la morosité qui pèse déjà très lourd sur la situation socio-économique de cette région dans la prochaine décennie. Des questions sont restées sans réponses, notamment celles concernant l'avenir de l'Irak, des territoires occupés, le rôle des institutions financières internationales à leur égard. Christian Roortmann, vice-président de la Banque mondiale pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord et Jean-Louis Sarbib, premier vice-président et responsable Développement humain pour cette zone, ont eu du mal à trouver les mots adéquats pour justifier leurs deux interventions n'ayant pas dépassé, toutes les deux, la demi-heure. De ce fait, les questions des participants à cette discussion n'avaient rien d'extraordinaire. Si le premier n'a pas réussi à cacher son pessimisme, conseillant au passage, les investisseurs intéressés par le marché irakien de rester dans l'expectative pour l'instant, en attendant que les choses s'éclaircissent, le deuxième, quant à lui, a été un peu plus “agressif”, n'hésitant pas à interpeller l'Europe, en lui demandant d'ouvrir ses marchés, notamment aux produits agricoles et aux services en provenance des pays avec qui elle a signé des accords de partenariat. Il a également insisté sur la complémentarité démographique. «D'une part il y a, dit-il, une Europe vieillissante qui n'arrive pas à payer les indemnités des retraités, et de l'autre, les pays de la région MENA dont 60 % de leurs populations ont moins de 24 ans, qui sont en plein emploi ». Cela dit, il faut trouver et rapidement, le bon équilibre pour satisfaire les intérêts du Nord à court terme et ceux de la Méditerranée à moyen terme. A part cette réflexion, les grandes lignes du rapport publié sur le développement au Moyen-Orient, en Afrique du Nord sur la meilleure gouvernance ne sont guère encourageantes. Le triptyque Pour les pays de la région MENA, le commerce extérieur et l'investissement privé sont essentiels pour assurer de nouveaux moteurs de croissance et de dynamisme. Au cours de la décennie à venir, le principal défi du développement sera de créer suffisamment d'emplois pour faire face à la croissance rapide de la population active. Au cours de la période 2000-2010, le nombre des nouveaux entrants dans la population active sera en moyenne de l'ordre de 4,2 millions par an, soit deux fois le nombre des nouveaux arrivés sur le marché durant les deux décennies précédentes. Le moyen le plus sûr et le plus durable de relever ce défi est d'accélérer le processus d'intégration de tous les pays de la région au commerce extérieur et à l'investissement, avec l'aide de leurs partenaires. Une transition s'impose dès lors. L'ancien modèle reposant sur le secteur public, appuyé par les hydrocarbures, l'aide extérieure et les envois de fonds des travailleurs à l'étranger, n'est plus en mesure de générer une croissance plus rapide ou plus d'emplois. La plupart des gouvernements de la région ont déjà commencé à opérer ce changement. Les réformateurs les plus avancés sont notamment la Jordanie et la Tunisie qui se sont ouvertes au commerce, et qui ont promu un climat d'investissement plus accueillant, avec des résultats encourageants. Le Maroc et l'Egypte ont également pris des mesures plus importantes concernant la réforme du commerce extérieur et de l'investissement. Parmi les économies basées sur les ressources naturelles, l'Algérie et l'Iran ont entamé la réouverture de leurs régimes commerciaux et encouragé l'investissement privé. En ce qui concerne les pays du Golfe, les Emirats Arabes Unis, plus particulièrement Dubaï, poursuivent une ambitieuse stratégie d'ouverture sur l'extérieur avec des gains importants. En revanche, ces pays sont confrontés à la baisse régulière des recettes pétrolières par habitant, des influx d'aide stratégique et des envois de fonds. La concurrence croissante sur les marchés mondiaux est à l'origine d'une pression accrue. Ces développements ne feront qu'accentuer la pression sur l'emploi. Un capital démographique potentiel court donc le risque de se transformer en une crise sociale plus profonde. Les taux de chômage, qui ont augmenté au cours des deux dernières décennies, sont actuellement déjà parmi les plus hauts du monde. Un certain pessimisme quant au potentiel commercial de la région dissuade de nombreux pays de la zone MENA d'accélérer leurs réformes. Ce pessimisme est omniprésent, à quelques exceptions près, notamment la Tunisie, la Jordanie ou les Emirats Arabes Unis. A ce pessimisme s'ajoutent les craintes quant à la capacité de soutenir la concurrence sur les marchés mondiaux. La situation des pays de la région MENA n'est pas unique à cet égard. Ce pessimisme est toutefois infondé, constatent les experts de la Banque mondiale. Dans ce même ordre d'évaluations, ces derniers estiment que les pays de la région MENA peuvent également attirer plus d'investissements de l'étranger, et encourager un investissement intérieur plus important. En outre, les influx d'investissements directs étrangers (IDE) que la région pourrait anticiper atteindraient cinq à six fois leur volume actuel – environ 3 % du PIB, soit une hausse par rapport à une moyenne de 0,5 %. Le secteur des services se développera également avec un retrait prononcé des secteurs public et privé des services et de l'agriculture à faibles niveaux de productivité. Il sera essentiel de poursuivre les initiatives de valorisation des ressources humaines et de généraliser les améliorations au niveau de la gouvernance et de l'équité entre les sexes afin de favoriser une réorientation en faveur d'activités davantage basées sur le savoir. Dans les réformes La Banque mondiale se concentre ici sur les réformes dans les pays dotés de rares ressources naturelles comme l'Egypte, la Tunisie, le Liban, le Maroc et la Jordanie. Bien qu'il y ait des différences, les pays de ce groupe sont relativement avancés dans l'orientation générale des réformes. Le défi, selon les responsables de la Banque mondiale, consiste maintenant pour ces pays à opter en faveur d'une nouvelle série de mesures de libéralisation du commerce, plus décisives et plus crédibles. D'un autre côté, les politiques du taux de change doivent venir à l'appui d'une réforme accélérée du commerce. Dans le passé, les experts considéraient que la surévaluation persistante du taux de change au Maroc a contribué substantiellement à sa faible performance en matière d'exportation au cours des années 1990, mais la situation s'est récemment améliorée. Les barrières tarifaires et non tarifaires ont fait également partie du menu. En effet, à titre d'exemple, les taux au Maroc et en Tunisie sont de 36 % et 30 % respectivement. Ce qui est toujours plus du double de la moyenne de tous les pays à bas revenu et à revenu intermédiaire. Ainsi, les réformes devraient viser à réduire ces taux. Les tarifs de pointe doivent faire l'objet d'une réduction drastique. Par exemple, au Maroc et en Tunisie, les tarifs agricoles sont toujours très importants (jusqu'à 358 %), tandis que les impôts records pour d'autres produits font toujours l'objet d'une distorsion du fait du haut niveau de production accordé aux biens produits localement. Pour ce qui est de l'Afrique, Jean-Louis Sarbib affirme que le processus de réformes dans ce pays a connu des hauts et des bas. Malgré les fortes réserves en devises enregistrées ces dernières années, les réformes attendues n'étaient pas au rendez-vous. D'après lui, ce ne sont pas les recettes en hydrocarbures qui vont dynamiser l'économie et la productivité. Il estime que durant cette période électorale, il ne faut pas s'attendre à voir des réformes de grande envergure. De plus, force est de souligner que lesdites réserves n'ont jamais participé jusqu'ici au processus de réformes. A la veille des assemblées du FMI et de la Banque mondiale à Dubaï, le pessimisme semble être de mise, et ce, en dépit de toutes les autres apparences. La zone MENA sera elle aussi, comme les autres, confrontée à des défis de taille qui rendront sa situation plus complexe que la précédente décennie.